Africa-Press – Congo Kinshasa. Le sort est scellé pour l’ancien président Joseph Kabila jugé par contumace pour complicité avec le groupe armé M23 soutenu par le Rwanda. Le ton donné par le ministère public ne présage aucun acquittement. La peine de mort requise contre lui, démontre, selon un diplomate africain en poste à Kinshasa, la volonté du régime à faire payer à Kabila son obsession à reprendre à tout prix le pouvoir même par les armes.
La haute Cour militaire rend son verdict ce vendredi 12 septembre dans l’affaire opposant l’ancien président Joseph Kabila au ministère public, aux parties civiles (Nord-Kivu, Sud-Kivu et Ituri), à l’ONG Défense des victimes de crimes sans frontières (VCSF) ainsi qu’à l’ASBL Actions d’accompagnement des veuves et orphelins victimes de guerre (AVOVIG). Au regard de lourdes charges qui pèsent sur lui, une condamnation se profile contre l’ancien sénateur à vie déchu de ses immunités parlementaires. Même son camp estime que la messe est déjà dite. Inutile de perdre le temps pour un pouvoir qui, selon un ancien membre de son sérail, a levé l’option de liquider l’héritage politique mais surtout d’effacer tous les acquis du règne de Joseph Kabila.
La peine de mort
À l’audience du 22 août, le ministère public avait requis la peine de mort contre le prédécesseur de Félix Tshisekedi et demandé aux juges d’ordonner la mise sous séquestre de ses biens, sa condamnation aux frais, à la contrainte par corps, ainsi que son arrestation immédiate. Le chef du parquet militaire a démontré que les violences commises par le groupe antigouvernemental M23 dans l’est, ont causé «d’énormes préjudices» à la RDC et «entraîné la responsabilité pénale et individuelle» de Joseph Kabila. Il s’est fondé sur les articles 21 bis, 223 point 1 a, et 2 point 2 e, b et z de la loi n°15/022 du 31 décembre 2015, qui modifie le Code pénal congolais de 1940. Ces dispositions visent des actes tels que les attaques contre les civils, le recrutement d’enfants soldats, les traitements inhumains et les atteintes graves aux Conventions de Genève.
Selon le général Lucien René Likulia, Joseph Kabila, «en intelligence avec le Rwanda», a cherché à perpétrer un coup d’État contre le régime du président Félix Tshisekedi, qui lui avait succédé en 2019 au terme d’une élection contestée. L’organe de la loi ajoute que «le prévenu envisageait de renverser par les armes le régime constitutionnel en place», avec l’aide notamment de Corneille Nangaa, président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), lors du scrutin présidentiel de décembre 2018, avant de rallier le M23 en 2023 et d’en devenir le responsable de la branche politique, l’Alliance Fleuve Congo (AFC).
Le parquet militaire accuse surtout l’ancien président de trahison, pour avoir agi en intelligence avec une puissance étrangère, en l’occurrence le Rwanda, ou avec ses agents affiliés au groupe armé M23. L’objectif présumé de ces contacts, d’après la justice, était de faciliter ou d’encourager une agression contre la RDC, voire de fournir à cette puissance les moyens d’agir. Ces faits sont qualifiés de haute trahison et punis par l’article 182 du Code pénal congolais, livre II. Cette disposition est réservée aux actes les plus graves contre la souveraineté nationale.
Faux procès
Dans le camp Kabila, les pontes sont montés au créneau. Ils dénoncent une « persécution politique » orchestrée pour écarter un rival influent. Réapparu des radars, Ramazani Shadary avait anticipé sur l’issue du procès. « Tout le monde sait que la condamnation du président honoraire Joseph Kabila Kabange est déjà acquise par le pouvoir en place. L’arrêt de condamnation est déjà signé avec date et numéro. Tout est déjà fait. Le reste, c’est du théâtre. Le reste, c’est de la mise en scène ridicule », a fustigé le secrétaire permanent du PPRD.
Dans une tribune dans Jeune Afrique, l’ex-chef de l’État lui-même a houspillé, parlant d’un « faux procès » et qualifiant de « mensongères et politiquement motivées » les accusations portées contre lui devant la haute Cour militaire, « orchestrées, d’après lui, par un pouvoir désespéré et incapable d’assumer la responsabilité de ses propres échecs ». Et d’ajouter que: « Tout au long du procès, aucun élément de preuve n’a été présenté pour soutenir lesdites accusations ».
De la conviction de Kabila, ce procès « ne procède pas d’un quelconque souci de justice. Il s’agit d’une stratégie pour faire taire l’opposition dans son ensemble et d’une tentative pour écarter un leader politique majeur de la scène nationale, afin de permettre au régime de gouverner sans contestation et indéfiniment, comme en témoigne la récente tentative de modifier la constitution à cette fin ».
L’ancien président reste convaincu qu’aucun élément de preuve n’a été présenté pour soutenir les charges contre lui tout au long du procès. À ses yeux, il s’agit d’une manœuvre politique. « Le faux procès contre ma personne, l’arrestation de nombreux hauts cadres de l’État, civils et militaires, ainsi que la gouvernance imprudente en cours dans le pays, ne sont pas des événements isolés. Ce sont des symptômes d’une crise plus profonde de leadership, de justice et de direction nationale », a-t-il décrit.
À Kinshasa, les ténors de son parti ( PPRD) sont traqués. Aubin Minaku, le chef de file du PPRD resté au pays, est déjà passé deux fois au parquet militaire pour justifier les choix politiques de son mentor accusé d’être le cerveau moteur de la rébellion qui endeuille l’est congolais. Shadary était aussi une fois convoqué pour les mêmes motifs. Son adjoint, Ferdinand Kambere avait fait la prison pour ses opinions jugées sévères contre le régime. Même Papy Tamba, un autre communicant du PPRD réputé loyal à JKK, s’était fait dernièrement cueillir à l’aéroport de Ndjili alors qu’il voulait embarquer pour l’étranger.
À l’origine de peines de Joseph Kabila, des mauvais calculs politiques que certains de ses proches les lui reprochent aujourd’hui. Il n’aurait pas dû céder le pouvoir, voilà les conséquences. Et un autre au ton plus véhément d’ajouter: « Il est parti faire quoi à Goma ». Dans ce qui s’apparente comme une guerre de courants dans sa famille politique, certaines voix critiques préfèrent se taire.
L’exil
Joseph Kabila, qui vit à l’étranger depuis plus de deux ans, était apparu fin mai à Goma, une ville sous contrôle du groupe antigouvernemental M23, où il avait mené des consultations avec des représentants politiques et de la société civile en vue, selon lui, de «contribuer au retour de la paix» en RDC. Il n’a pas été revu dans le pays depuis. Son procès ouvert le 25 juillet à Kinshasa s’est déroulé en son absence, devant la juridiction militaire.
D’ailleurs, le pouvoir ne le ménage plus. « Kabila n’aura pas un traitement particulier dans la résolution de la crise sécuritaire dans l’est du pays », tance Shabani. Kinshasa lie le sort de l’ex-chef de l’État à celui des rebelles du M23. A Jeune Afrique, le vice-Premier ministre de l’Intérieur, Jacquemin Shabani avait révélé que le cas Kabila sera pris en charge par l’accord de paix de Doha. Mais le gouvernement maintient sa position vis-à-vis de lui. Selon les autorités congolaises, l’ancien président de la République déchu du Sénat est le patron de l’AFC-M23. Kinshasa assure que son dossier va être traité avec celui des rebelles. « Nous n’attendons rien de Joseph Kabila. Il sera pris en charge par l’accord de paix de Doha, négocié directement entre ses hommes et nous. Nous ne pensons pas lui réserver un traitement particulier », avait prévenu Jacquemin Shabani, l’un de chefs de négociateurs congolais à Doha.
De gros nuages couvrent donc la maison Kabila. Nombreux se demandent si l’ancien président, obsessionnel du pouvoir, n’a pas mesuré le danger avant d’aller s’installer à Goma, le principal fief de la rébellion pour légitimer une administration parallèle. Ceux qui le connaissent affirment que le taiseux, humilié à plusieurs reprises et poussé jusque dans ses derniers retranchements, a résolu d’imposer un rapport de force avec son successeur. Malheureusement, analyse un politologue, il se retrouve au fond du trou ne comptant désormais que sur le dialogue des religieux pour se sortir du pétrin. En attendant, l’homme qui a dirigé le Congo-Kinshasa pendant 18 ans risque la prison à perpétuité d’autant plus que les charges à son encontre sont lourdes.
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