Africa-Press – Côte d’Ivoire. La situation foncière sur le site de la forêt déclassée de la Djibi, dans la commune d’Anyama, prend une tournure inquiétante.
Réunis en conférence de presse le samedi 28 juin 2025, le Collectif des Attributaires de la Forêt de la Djibi (CAFOD), par la voix de son président René Ponté Kélétigui, a dénoncé ce qu’il qualifie de « spoliation orchestrée » par le ministère de la Construction et de l’Urbanisme, au profit d’opérateurs immobiliers. Une affaire révélatrice, selon lui, de graves dysfonctionnements dans l’administration publique ivoirienne.
Tout commence dans les années 1967-1968, sous l’impulsion du président Félix Houphouët-Boigny. Désireux de faire de la Côte d’Ivoire une puissance agricole, il affecte des parcelles issues du déclassement partiel de la forêt classée de la Djibi à 48 cadres ivoiriens. Ces lots, d’une superficie totale de 1042 hectares, sont officiellement attribués par arrêtés ministériels et font l’objet de plantations de palmiers à huile, encadrées par la Palmindustrie, anciennement SODEPALM.
Les bénéficiaires respectent leurs engagements contractuels, notamment le paiement de redevances à l’État, en contrepartie de quoi ce dernier s’engage à leur céder définitivement les terres.
Ce processus est entériné par un procès-verbal de 1976 et, plus tard, par une conversion foncière opérée par le ministère de l’Agriculture avant le transfert des terres au domaine urbain en 2005. Pourtant, aujourd’hui, ces terres sont au cœur d’un imbroglio juridique et politique.
Depuis 2021, deux projets immobiliers majeurs se sont installés sur ces terres: Florida City (2237 logements), réalisé par la société Addoha, et Les Jardins d’Ahoué (1378 logements), porté par une filiale de la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC-Capital). Au total, plus de 3600 familles rêvent d’acquérir un toit. Mais le sol sous leurs pieds est miné.
« Il ne s’agit pas ici de conflits de vente coutumière ou de fraude impliquant des guides villageois. Ce qui se joue ici, c’est une tentative manifeste d’expropriation sans base légale, menée par un ministère qui a choisi d’ignorer l’histoire foncière du pays », s’est insurgé René Ponté Kélétigui, président du CAFOD.
Le collectif rappelle qu’en 2016, la Chambre administrative de la Cour suprême a annulé un lotissement opéré par le ministère, baptisé abusivement « Héritiers Ahoué ». Il affirme que toute la procédure d’affectation des parcelles aux promoteurs est entachée d’irrégularités, notamment l’absence d’enquête de commodo-incommodo permettant d’identifier les détenteurs légitimes des droits d’usage.
En avril 2025, selon toujours M. Kélétigui, le gouvernement tente de légaliser rétroactivement la situation en faisant adopter, en Conseil des ministres, un décret érigeant en zone d’utilité publique les 300 hectares en litige. Une manœuvre que le CAFOD rejette fermement.
« Ce décret, en attente de publication, ne saurait couvrir les actes illégaux posés dans le passé. Tant que les droits d’usage des 48 familles attributaires ne sont pas reconnus et indemnisés, toute affectation demeure nulle de plein droit », martèle-t-il.
Le collectif va plus loin, dénonçant une crise de gouvernance foncière susceptible de décourager les investisseurs, nationaux comme internationaux.
« C’est l’État lui-même qui foule aux pieds ses propres lois. Comment faire confiance à un système qui nie des droits établis par décision ministérielle, procès-verbal officiel et décisions de justice? », interroge-t-il.
Morel Dally, aménageur agréé intervenant pour le compte du CAFOD, ne mâche pas ses mots.
« Depuis que nous sommes arrivés pour procéder aux travaux d’aménagement, nous subissons un harcèlement constant: intimidations, arrestations arbitraires, mise en détention de machinistes. Pourtant, nous avons des décisions de justice qui interdisent toute entrave à nos activités sur ce site », dénonce-t-il.
Selon lui, le ministère contourne les décisions judiciaires en s’appuyant sur des « purges coutumières » fictives, accordées à des tiers n’ayant jamais été propriétaires des terrains.
« C’est un montage. Ils fabriquent des propriétaires de circonstance, leur versent des indemnisations, puis utilisent ce prétexte pour justifier la vente de terrains. Le ministère devient agent immobilier et fausse le jeu légal », accuse-t-il.
Le collectif brandit également une ordonnance judiciaire, prononcée en audience publique le 21 juillet 2023, qui précise que le CAFOD ne peut être empêché d’exercer ses droits sur les parcelles. Le non-respect de cette décision par les forces de l’ordre, sur instruction du ministère, remet en question l’État de droit.
« Le ministère agit contre une décision judiciaire claire. Ce n’est plus seulement un conflit foncier, c’est une crise de légalité », alerte Dally Morel.
Face à ce chaos administratif, le CAFOD interpelle l’opinion nationale et internationale. Il appelle le président de la République à intervenir, et réclame une enquête publique indépendante, seul moyen, selon lui, de trancher cette affaire.
« Nous ne laisserons pas nos terres être arrachées par ceux qui sont censés les protéger. Il ne peut y avoir deux poids, deux mesures. Ce qui vaut pour les attributaires de Djibi vaut aussi pour ceux d’Abobo-Baoulé, d’Ahoué, pour Ali, Yao, Koffi, Moussa ou Sangaré. L’injustice ne doit pas être institutionnalisée », conclut M. Dally.
Dans une Côte d’Ivoire en pleine expansion urbaine, si l’on n’y prend garde, l’affaire CAFOD-Djibi pourrait bien devenir le symbole des dérives d’un urbanisme sans boussole. Et si rien n’est fait, la promesse de logements pour tous pourrait s’effondrer sous le poids de l’illégalité.
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