Parcours Inspirant d’Ouedraogo Mathieu en Alphabétisation

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Parcours Inspirant d'Ouedraogo Mathieu en Alphabétisation
Parcours Inspirant d'Ouedraogo Mathieu en Alphabétisation

Africa-Press – Côte d’Ivoire. De la rue aux bancs de l’université, en passant par l’atelier de couture, l’histoire d’Ouédraogo Mathieu est une véritable leçon de persévérance. Autrefois inscrit à des cours d’alphabétisation et de rattrapage scolaire, il est aujourd’hui couturier, écrivain, fonctionnaire et président d’une ONG. Dans cet entretien exclusif accordé à l’AIP, il revient sur un parcours marqué par la résilience, ses réussites académiques, son engagement associatif, et adresse un message à la jeunesse.

À l’heure où la rentrée scolaire ravive l’importance de l’éducation pour tous, le témoignage de Ouedraogo Mathieu illustre combien l’alphabétisation peut offrir une seconde chance aux jeunes écartés ou exclus du système scolaire classique, une véritable opportunité de rebondir et de s’élever. Son parcours fait de lui un modèle de réussite.

AIP: Vous vous présentez comme anciennement analphabète et aujourd’hui « dans la lumière », entrepreneur social et motivateur. Que voulez-vous dire par « aujourd’hui dans la lumière »?

Ouedraogo Mathieu (OM): Je suis né à Toumbokro, dans la préfecture de Kossou, dans le district autonome de Yamoussoukro, au sein d’une fratrie de 12 enfants. Premier fils de mon père qui avait huit épouses, ce fut un vrai parcours de combattant pour mes parents. Je n’ai pas eu la chance d’aller à l’école comme mes camarades.

À l’âge où je devais commencer, une maladie m’a cloué pendant presque deux ans, au point que certains me croyaient fou tant j’avais perdu la mémoire. Quand j’ai finalement récupéré, j’avais déjà près de dix ans, trop tard pour intégrer le système scolaire. Mes parents ont tenté, sans succès, de me scolariser. Je suis donc resté au village, partagé entre la pêche, les travaux champêtres et l’envie, en voyant mes amis revenir de l’école, de vivre la même expérience.

À 15 ans, ma mère a décidé de m’envoyer à Abidjan, à Marcory, chez un oncle, espérant qu’il m’aiderait à reprendre l’école. Il avait promis de me faire établir un jugement supplétif, mais cela n’a pas abouti.

Quand je parle de lumière, c’est parce qu’autrefois, analphabète, je vivais dans l’obscurité de l’ignorance. Grâce aux cours d’alphabétisation et aux cours du soir, j’ai pu sortir de cette captivité et retrouver une nouvelle voie.

AIP: Comment s’est faite votre rencontre avec l’alphabétisation?

OM: À mon arrivée à Abidjan, je me suis retrouvé dans la rue. Mon oncle voulait que je fasse la mécanique, mais moi, je rêvais de couture. Ce désaccord a créé un conflit entre nous et m’a conduit à vivre dehors, entre Marcory, Grand marché de Marcory et Treichville, pendant près de deux ans.

Finalement, mon oncle m’a récupéré et, après plusieurs hésitations, il a accepté mon choix. J’ai commencé la couture, mais ce fut très difficile. Après la liberté de la rue, il fallait désormais supporter la rigueur de l’atelier. Mon maître était strict, et plusieurs fois mes anciens compagnons de rue tentaient de m’entraîner dehors. Mais je suis resté, grâce à la persévérance, la discipline et ma foi en Dieu.

C’est en exerçant ce métier que j’ai mesuré le handicap de ne pas savoir lire et écrire. C’est là que j’ai compris la nécessité de l’alphabétisation.

AIP: Avant d’aborder la question de l’éducation sur les bancs, revenons sur votre vie dans la rue. Qu’est-ce qui vous attirait encore, même lorsque vous étiez déjà en formation de couture?

OM: Dans la rue, ce qui séduit d’abord, c’est la liberté. Personne ne te donne d’ordres, chacun se bat pour s’imposer et créer son groupe. Très vite, j’ai pris mes repères et contrôlais une zone, comme d’autres en avaient aussi. On organisait des équipes pour trouver de quoi manger, et il fallait y parvenir par tous les moyens.

Mais cette liberté avait un prix: petits vols, agressions, méfiance permanente. Dans la rue, personne n’accorde sa confiance, sauf entre ceux qui partagent la même galère. C’est un monde dur, sans pitié, où l’on croit être libre alors qu’en réalité on survit.

AIP: Avez-vous vécu un événement dramatique qui vous a marqué dans cette vie de rue?

OM: Oui. L’image est encore dans ma mémoire. J’avais un ami très proche, un meneur, toujours déterminé. Un jour, il est allé voler dans une cité. Il a été attrapé et battu à mort avant même l’arrivée de la police. Quand nous sommes arrivés, nous n’avons pas pu montrer que nous le connaissions. Nous regardions son corps de loin, impuissants. Ce jour-là, j’ai compris que dans la rue, seule la chance ( en réalité la grâce de Dieu ) décide.

Après sa mort, le groupe a été refroidi. J’ai proposé qu’on cherche d’autres moyens de survie. Certains lavaient des assiettes, d’autres nettoyaient des tables au Mille-Maquis de Marcory (un quartier de la commune), ou vendaient des mouchoirs. C’était ma manière d’éviter que d’autres ne subissent le même sort. J’avais même envie de rentrer au village, mais je me disais: « Que vais-je dire maintenant qu’on me connaît comme enfant de la rue? »

Dieu merci, malgré ces années, je n’ai jamais touché à la cigarette ni à la drogue, même si beaucoup s’y sont perdus. L’alcool, oui, faisait partie du quotidien. La rue, c’était une illusion de liberté: pas d’ordres à recevoir, on décide soi-même. Mais cette liberté, en réalité, maintient les enfants prisonniers de la rue.

AIP: Après deux années passées dans la rue, votre oncle vous a retrouvé et a fini par accepter votre choix de faire la couture. Comment s’est ensuite faite votre intégration aux cours d’alphabétisation?

OM: Par la grâce de Dieu, ma famille m’a récupéré et j’ai pu apprendre la couture. Mais un jour, une cliente a remarqué mes difficultés à écrire. Elle m’a conseillé de reprendre l’école et s’est même proposée de financer mes cours. C’est ainsi que j’ai intégré les cours d’alphabétisation en 2001, à 19 ans. J’ai progressé rapidement, en trois ans, je suis passé du niveau 1 au niveau 4, et mes enseignants m’ont beaucoup soutenu, certains allant jusqu’à me donner des cours particuliers le dimanche.

Ce fut difficile: je travaillais à l’atelier jusque tard et j’arrivais fatigué aux cours, parfois en retard. Mon patron n’était pas favorable, et mes anciens camarades de rue se moquaient de moi. Je cachais même mon sac pour éviter leurs railleries. Mais j’ai persévéré.

En 2009, j’ai présenté le Certificat d’études primaires et élémentaires (CEPE) en candidat libre. J’étais le seul adulte parmi des enfants en uniforme, et j’ai réussi avec 163,15 points sur 170. Une immense fierté dans le quartier, tout le monde parlait de mon examen, plus que de celui des enfants. Pour moi, c’était une vraie victoire, le symbole d’une nouvelle vie.

AIP: Vous avez poursuivi vos études jusqu’au secondaire et au supérieur. Quels souvenirs gardez-vous de ce parcours?

OM: Après le CEPE, en 2009, je me suis inscrit en sixième dans les cours du soir. La scolarité coûtait entre 25 000 et 30 000 francs, et je n’avais pas d’argent. La secrétaire m’a encouragé à m’inscrire quand même, promettant d’arranger avec le promoteur. C’est ainsi que j’ai commencé la sixième.

La classe était jumelée avec la cinquième. Comme je comprenais vite, les enseignants m’ont fait passer directement en cinquième. J’ai terminé premier jusqu’au dernier trimestre, avant de poursuivre en quatrième puis en troisième, toujours dans la difficulté.

Pour préparer le Brevet d’études du premier cycle (BEPC), un examen qui certifiait la fin du premier cycle d’enseignement secondaire, il fallait payer les frais et la visite médicale, ce que ma famille et mon patron de couture ne pouvaient pas couvrir. Je travaillais alors dans un restaurant à Adjamé, où je recevais parfois 2000 ou 3000 F CFA, mais c’était insuffisant. Finalement, le promoteur a payé de sa poche mes frais d’examen. En 2011, malgré la crise, j’ai réussi le BEPC avec 141 points, parmi seulement deux admis sur 23 candidats de mon centre. Mon oncle était surpris et heureux. Mon maître couturier m’a même offert 5000 F CFA, la première grosse somme que j’aie eue pour moi seul.

Un agent de mairie, touché par mon parcours, m’a aidé à obtenir une prise en charge scolaire. Grâce à ce soutien, j’ai poursuivi jusqu’à la terminale. Les professeurs m’ont aussi beaucoup aidé, en me donnant des cours supplémentaires. Mais le chemin n’a pas été simple: j’ai échoué une première fois au Baccalauréat, à un point près. Découragé, j’ai perdu une année avant de reprendre. Je me suis parallèlement inscrit dans une école de transit-logistique pour préparer un diplôme universitaire de technologie (DUT). En 2019, j’ai finalement obtenu le diplôme du Baccalauréat A2 avec 219 points.

Ensuite, je me suis orienté vers la filière Brevet de technicien supérieur (BTS) en transit-logistique, toujours en cours du soir. Les frais étaient élevés et je dépendais de l’aide de clientes ou d’amis, certains m’offrant de l’argent ou des tissus pour financer ma scolarité. J’ai obtenu le DUT et le BTS en 2023, tout en continuant la couture pour survivre.

Parallèlement, j’avais présenté trois concours en 2019: maître d’éducation permanente, agent-servant (pompier civil) et agent administratif. Les trois ont été réussis, mais j’ai choisi maître d’éducation permanente. La formation à l’Institut national de la jeunesse et des sports (INJS) était intense, avec une vingtaine de matières, et je devais travailler la nuit pour payer mes charges. Malgré tout, j’ai terminé vice-major de ma promotion en 2023.

Affecté au ministère de la Promotion de la jeunesse, de l’Insertion professionnelle et du Service civique, en service à l’intérieur du pays, j’ai aussi entamé une licence universitaire, avec l’ambition d’aller jusqu’au doctorat en andragogie, afin d’apporter ma contribution à l’éducation des adultes et à ceux qui restent encore dans l’ombre par ignorance ou manque de moyens.

AIP: Qu’est-ce qui vous a aidé à ne pas abandonner malgré toutes ces difficultés?

OM: La résilience. J’ai failli abandonner plusieurs fois, mais je me suis toujours rappelé pourquoi j’avais commencé. La détermination, l’abnégation, l’honnêteté, l’humilité et la foi m’ont permis de rester debout. Et chaque fois, Dieu a mis sur mon chemin des personnes providentielles pour m’aider à avancer.

La vie n’est jamais facile, mais il faut accepter l’effort, sans tricher, sans prendre ce qui ne nous appartient pas. À la fin, il y a toujours une récompense. Oui, ça a été très difficile. Parfois, je me demandais si ça valait vraiment la peine de continuer les cours du soir. Mais à chaque fois, je me souvenais de ma motivation initiale et je me disais: « Non, je dois poursuivre. Car au bout de l’effort, il y a toujours une récompense ».

C’est cette résilience qui m’a porté. Quand on est déterminé, Dieu ouvre toujours des portes et met des personnes sur notre route pour nous accompagner jusqu’au bout.

AIP: Vous êtes aussi écrivain. Comment cette passion est-elle née?

OM: De la lecture. N’ayant pas eu la chance d’aller tôt à l’école, je cherchais à combler le vide et lisais tout, même les papiers d’emballage. C’est ainsi que l’envie d’écrire est née.

J’ai commencé par des poèmes publiés sur Facebook, puis j’ai écrit mon premier livre, Le pouvoir de la femme (2024-2025), publié sur Amazon. Ce livre met en lumière ce que subissent les femmes, qu’il s’agisse des mères célibataires, du manque de scolarisation ou des violences basées sur le genre pendant les crises.

Mon deuxième livre, Le prix à payer: toute fortune a une histoire, raconte plusieurs histoires de personnes que j’ai côtoyées dans la rue, avec les identités modifiées pour protéger les protagonistes.

Le troisième, Une vie dans la rue: secrets dévoilés, publié récemment sur Amazon. Il explore la vie dans la rue et les défis rencontrés par les ONG pour aider les enfants.

AIP: Vous êtes président de l’Union des apprenants de Côte d’Ivoire. Pourquoi avoir créée cette ONG?

OM: Nous avons créé l’ONG en 2020 pour comprendre et réduire les abandons dans les cours du soir. Nous intervenons partout dans le pays, à Abidjan comme à l’intérieur. L’idée est d’identifier pourquoi certains élèves arrêtent les cours et trouver des solutions, soit directement, soit en sollicitant des personnes ou institutions mieux placées.

Par exemple, à Sassandra, nous avons soutenu une école où les enfants parcouraient jusqu’à huit kilomètres par jour. Nous avons collecté et distribué du riz et des vivres pour leur permettre de rester à l’école. À Abidjan et ailleurs, nous avons distribué plus de 108 kits scolaires l’an dernier et facilité le transfert de plusieurs élèves des cours du soir vers les cours du jour.

Nous travaillons aussi à l’accompagnement scolaire, notamment en collaborant avec les collectivités pour financer la scolarité et fournir des manuels. Notre objectif est d’aller au-delà de l’éducation formelle, en apportant motivation et soutien aux enfants et à leurs familles, surtout dans les zones reculées où les parents peinent à accompagner leurs enfants.

Ainsi, notre action combine aide matérielle, suivi éducatif et orientation vers des opportunités qui permettent aux élèves de poursuivre leur parcours scolaire et de ne pas abandonner.

AIP: Au regard de tout ce parcours, qui témoigne du modèle de réussite que vous êtes, que représente pour vous l’alphabétisation?

OM: Merci pour ce compliment. Je dirais L’alphabétisation m’a tout donné. Comme je le dis souvent: « Apprends-moi à lire et tu m’auras tout donné. » Elle m’a libéré de l’ignorance, m’a permis de réaffirmer ma personnalité et de réécrire mon histoire. Grâce aux cours du soir, j’ai compris que même venant de l’ombre, on peut apprendre un métier, se reconstruire et contribuer à la vie des autres. Elle a changé ma vie et continue de guider mon engagement.

AIP: Quel message souhaitez-vous adresser aux jeunes et aux adultes analphabètes, ou à ceux exclus du système scolaire?

OM: Il n’est jamais trop tard pour apprendre. L’alphabétisation ne se limite pas à lire, écrire ou compter: elle transforme l’homme dans toutes ses dimensions. Peu importe l’âge ou la condition sociale, chacun peut réécrire son histoire. J’ai appris aux côtés de personnes de 50 ou 60 ans, et nous avancions tous ensemble.

Même si on a été écarté du système classique, on peut travailler le jour et suivre des cours du soir. Il faut persévérer malgré les frustrations et les moqueries. Aujourd’hui, je peux dire que le résultat est là, et j’en suis fier. L’alphabétisation est une chance à saisir, et cela demande l’engagement de tous – ONG, associations, institutions et familles – pour offrir une seconde chance à ceux qui n’ont pas pu suivre l’école classique.

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