PPA-CI de Gbagbo face à un suicide collectif potentiel

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PPA-CI de Gbagbo face à un suicide collectif potentiel
PPA-CI de Gbagbo face à un suicide collectif potentiel

Par Alain Aka (à Abidjan)

Africa-Press – Côte d’Ivoire. En refusant de participer aux élections du 27 décembre, le parti de l’ancien président s’expose aux divisions internes. En coulisses, la grogne a gagné les députés sortants, qui redoutent de payer le prix fort.

Le 6 novembre, Laurent Gbagbo a réuni le comité central de son parti durant trois heures, à son cabinet de Cocody-Attoban. Au menu des discussions, une question: « faut-il aller aux législatives? » La réponse, consignée dans un communiqué au ton martial, est tombée comme un couperet: le Parti des peuples africains-Côte d’Ivoire (PPA-CI) ne participera pas au scrutin. Parmi les raisons avancées, l’absence de « conditions crédibles » et un « environnement sociopolitique délétère » marqué par la répression des manifestations contre le quatrième mandat d’Alassane Ouattara.

Officiellement, l’unité règne. Mais en coulisses, cette décision déchire la formation de l’ancien président et met en lumière une fracture profonde entre une ligne dure, portée par son entourage immédiat, et des élus plus pragmatiques (ils sont 18 au total) qui estiment qu’il s’agit d’une « erreur stratégique majeure ».

« La très grande majorité des députés sortants sont extrêmement déçus, car ils voulaient rempiler », confie sous couvert d’anonymat un élu du PPA-CI. « Le communiqué ne reflète pas le débat », lâche un autre député, qui assure que le comité central avait plutôt tranché en faveur d’une demande de report des élections, et non d’un boycott pur et simple.

Un pari à haut risque

Devant ses cadres, Laurent Gbagbo a tenu un discours posé, presque pédagogique. L’homme qui a « connu la Maca [Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan] » a dressé le bilan des violences électorales et post-électorales, « une trentaine de morts, plus de 1 000 prisonniers », selon ses chiffres, dont Damana Adia Pickass, vice-président du PPA-CI et coordinateur du mouvement « Trop c’est trop ». Ce dernier a été placé sous mandat de dépôt le 6 novembre, étant notamment poursuivi pour « atteinte aux opérations électorales », « participation à un mouvement insurrectionnel » et « apologie de crimes ». Le parquet lui reproche d’avoir appelé au renversement des institutions lors de la marche du 11 octobre.

« On ne peut pas être un parti comme le nôtre et ne pas aller aux élections », a toutefois reconnu Gbagbo. Mais pour lui, « s’apprêter à aller [aux élections] en décembre, c’est couvrir la forfaiture qui a eu lieu. C’est couvrir les blessures et les morts. » Des propos qui résonnent auprès de la base militante, traumatisée par les images du village de Nahio, devenu symbole du « martyre » anti-Ouattara. Gbagbo, qui a envoyé son épouse Hadia Nadiany dite « Nady » auprès des familles endeuillées, fait le pari d’une légitimité morale. Il demande au pouvoir de « repousser la date des élections », faute de quoi le PPA-CI refusera de cautionner un « nouveau braquage électoral ».

Le vacillement du Front commun

Car dans les rangs des députés sortants, l’inquiétude vire à la colère sourde. « C’est une erreur, c’est le suicide collectif ! », tranche un élu. « En 2030, le président Gbagbo ne sera plus là [Laurent Gbagbo a annoncé qu’il prendrait bientôt sa retraite politique]. Avec quels leaders partirons-nous? Si nous sommes inexistants pendant cinq ans, comment entretenir nos bases? La nature ayant horreur du vide, les gens iront ailleurs. »

Ces députés, pour beaucoup élus pour la première fois en 2020 après des années de boycott, ont passé cinq ans à « investir le terrain » en vue de leur réélection. Ils misaient sur le Front commun, leur alliance avec le PDCI de Tidjane Thiam, lequel a annoncé sa participation aux législatives, pour maximiser leurs chances. « À deux, on était forts. Seul, le PDCI sera-t-il en capacité de l’emporter? », s’interroge un député du PPA-CI. « C’est comme deux personnes assises aux extrémités d’un banc: l’un se lève sans prévenir l’autre, le banc penche et l’autre tombe. »

Plus grave encore, aucune concertation préalable n’aurait eu lieu entre Gbagbo et Thiam. Le PDCI ne serait d’ailleurs « pas du tout impliqué » dans la marche du 8 novembre organisée par le PPA-CI et jugerait « incongru » de manifester tout en préparant des candidatures à des élections. Une marche « interdite », a tenu à rappeler le préfet d’Abidjan le 6 novembre. Le Front commun, ciment de l’opposition depuis juin, vacille.

Face à cette impasse, une hypothèse circule: celle de candidatures indépendantes, notamment à l’intérieur du pays. « Le PPA-CI a connu par le passé des situations similaires où certains se sont fait élire comme indépendants, puis sont revenus au parti », rappelle un député. Dans l’ouest ivoirien, berceau du pays Wê, l’enjeu est de taille puisque le PPA-CI y compte 7 députés. « C’est vraiment le village où il y a de fortes communautés homogènes qui disent à leur fils: ‘Toi, on te veut comme candidat.’ Ils ne tiennent pas compte des partis, encore moins de leurs décisions. »

À Abidjan, en revanche, la donne est différente. À Yopougon, bastion du PPA-CI, le retrait du parti offre un boulevard au président de l’Assemblée nationale Adama Bictogo et sa liste, que l’alliance entre le PPA-CI et le PDCI menaçait sérieusement. Les députés sortants doivent désormais « se concerter » avant d’aller voir « le président du parti », Laurent Gbagbo, en personne. Et il y a urgence puisque la date limite de dépôt des candidatures est fixée au 12 novembre.

Une stratégie perdante

La décision de Laurent Gbagbo s’inscrit dans une longue tradition de boycotts électoraux de l’ex-Front populaire ivoirien (FPI) devenu PPA-CI. Depuis 1995, lorsque le parti avait boudé la présidentielle tout en participant aux législatives un mois plus tard, cette arme politique a été régulièrement dégainée: en 2011 après la crise postélectorale, en 2013 lors des locales et en 2020 contre le troisième mandat d’Ouattara. À chaque fois avec des motifs similaires, que ce soit l’absence de réformes électorales, la répression ou un calendrier contesté.

« On a boycotté pendant des années. Ça nous a fait reculer », reconnaît amèrement un cadre. Ces absences répétées ont affaibli la présence institutionnelle du parti, créé des scrutins « quasi monocolores » dans ses anciens bastions, et facilité l’émergence de nouveaux acteurs politiques sur ses terres.

« Un parti ne peut exister que quand il est présent dans les institutions », martèle un député sortant. En voulant dénoncer l’illégitimité des scrutins, le FPI puis le PPA-CI ont progressivement perdu leur capacité à peser sur l’échiquier politique. Et cette fois, avec le départ annoncé de Gbagbo, le parti n’a plus le luxe du temps. « Les deux arguments se valaient, c’était une décision prise entre le marteau et l’enclume », résume un député. « Soit on va aux élections et on se coupe d’une partie de notre base scandalisée par la répression. Soit on n’y va pas et on perd nos bastions. »

Source: JeuneAfrique

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