Africa-Press – Côte d’Ivoire. L’arrestation d’un scientifique ukrainien septuagénaire, Leonid Pshenichnov, accusé par la Russie d’avoir défendu des restrictions sur la pêche au krill, a souligné combien ce sujet était devenu sensible sur la scène internationale. Minuscule mais essentiel, le krill antarctique se retrouve au centre d’une bataille mêlant écologie, économie et diplomatie. Sciences et Avenir a rencontré Bettina Meyers, professeur en écophysiologie à l’Institut Alfred Wegener pour la Recherche Polaire et Marine et spécialiste de la gestion du krill.
« Le krill antarctique représente la plus grande biomasse d’animaux sauvages qui existe au monde »
Sciences et Avenir: Tout d’abord, pourriez-vous définir ce qu’est le krill, et plus précisément le krill antarctique?
Krill est mot norvégien qui signifie « alevins de poisson ». Biologiquement, le krill est un crustacé marin, ressemblant à une crevette, de l’ordre des Euphausiacea. Il mesure environ six centimètres et demi de long et vit en immense « essaims » (de 10.000 à 30.000 individus) à travers le monde. Il en existe de nombreuses espèces, mais Euphausia superba, le krill antarctique, est la forme la plus nombreuse. Celle-ci, comme son nom l’indique, est endémique de l’océan Austral, en Antarctique.
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Le krill est souvent considéré comme un pilier de la chaîne alimentaire marine, pourquoi cela?
Le krill se nourrit principalement de phytoplancton (microalgues et cyanobactéries) et se situe donc quasiment à la base de la chaîne alimentaire. Parmi ses prédateurs figurent non seulement les baleines, mais aussi les poissons, les oiseaux marins, les manchots et les phoques. Ainsi, de nombreux niveaux supérieurs de la chaîne alimentaire se nourrissent de ces crustacés et l’équilibre fragile de l’écosystème d’Antarctique dépend de sa survie. En outre, le krill antarctique représente la plus grande biomasse d’animaux sauvages qui existe au monde, estimée entre 300 à 500 millions de tonnes – une biomasse largement supérieure à celle de tous les êtres humains réunis. Son abondance conditionne la pérennité des autres espèces.
L’arrestation d’un scientifique ukrainien septuagénaire, Leonid Pshenichnov, accusé par la Russie d’avoir défendu des restrictions sur la pêche au krill, a souligné combien ce sujet était devenu sensible sur la scène internationale. Minuscule mais essentiel, le krill antarctique se retrouve au centre d’une bataille mêlant écologie, économie et diplomatie. Sciences et Avenir a rencontré Bettina Meyer, professeur en écophysiologie à l’Institut Alfred Wegener pour la Recherche Polaire et Marine et spécialiste de la gestion du krill.
« Le krill antarctique représente la plus grande biomasse d’animaux sauvages qui existe au monde »
Sciences et Avenir: Tout d’abord, pourriez-vous définir ce qu’est le krill, et plus précisément le krill antarctique?
Krill est mot norvégien qui signifie « alevins de poisson ». Biologiquement, le krill est un crustacé marin, ressemblant à une crevette, de l’ordre des Euphausiacea. Il mesure environ six centimètres et demi de long et vit en immense « essaims » (de 10.000 à 30.000 individus) à travers le monde. Il en existe de nombreuses espèces, mais Euphausia superba, le krill antarctique, est la forme la plus nombreuse. Celle-ci, comme son nom l’indique, est endémique de l’océan Austral, en Antarctique.
Le krill est souvent considéré comme un pilier de la chaîne alimentaire marine, pourquoi cela?
Le krill se nourrit principalement de phytoplancton (microalgues et cyanobactéries) et se situe donc quasiment à la base de la chaîne alimentaire. Parmi ses prédateurs figurent non seulement les baleines, mais aussi les poissons, les oiseaux marins, les manchots et les phoques. Ainsi, de nombreux niveaux supérieurs de la chaîne alimentaire se nourrissent de ces crustacés et l’équilibre fragile de l’écosystème d’Antarctique dépend de sa survie. En outre, le krill antarctique représente la plus grande biomasse d’animaux sauvages qui existe au monde, estimée entre 300 à 500 millions de tonnes – une biomasse largement supérieure à celle de tous les êtres humains réunis. Son abondance conditionne la pérennité des autres espèces.
Le krill « assure le stockage de plus de 23 millions de tonnes de carbone par an »
Pourriez-vous également expliquer dans quelle mesure le krill joue un rôle clé dans la séquestration du carbone?
Le krill effectue des migrations verticales quotidiennes: il remonte à la surface la nuit, pour consommer du phytoplancton riche en carbone, et il redescend à plus de 200 mètres de profondeur, au lever du jour. Là, il y excrète les aliments dont il s’est nourri et il mue. Ces pelotes fécales et son exosquelette se déposent au fond de l’eau et sédimentent, permettant la séquestration d’une quantité considérable de carbone. Des articles ont montré que ce processus, appelé pompe biologique de carbone, assurait le stockage de plus de 23 millions de tonnes de carbone par an.
De plus, le krill joue un rôle essentiel dans les cycles biochimiques. Il recycle des éléments clés comme le fer, en digérant le phytoplancton et en libérant le fer des déjections dans l’eau. Cela favorise la survie du phytoplancton dans l’océan Austral.
Quelles sont les menaces qui pèsent à l’heure actuelle sur cette espèce?
Évidemment la pêche du krill constitue un axe de tension, car la pression de pêche augmente. Le krill étant très riche en nutriments, il est transformé soit en farine pour l’aquaculture (le saumon doit sa couleur rouge aux pigments d’astaxanthine contenus dans le krill), soit en compléments alimentaires (riche en acides gras oméga-3), deux marchés particulièrement lucratifs. En 2024, la pêche au krill antarctique a atteint 0,5 million de tonnes, ce qui en fait la plus importante en termes de tonnage capturé dans l’océan Austral.
Mais ce qui constitue la principale menace est l’augmentation de la température des océans, qui cause un déplacement des populations de krill davantage vers le sud, se concentrant désormais dans la région de la péninsule Antarctique. Ce changement d’aire de répartition et cette concentration localisée tend à déséquilibrer l’écosystème et créer une compétition entre la pêche et les prédateurs.
Des calculs qui reposent sur des estimations de biomasse du krill d’il y a plus de 20 ans
La Commission pour la Conservation de la faune et la flore marines de l’Antarctique (CCAMLR) œuvre pour la protection des espèces comme le krill antarctique. Quelles mesures écologiques sont mises en place pour préserver ces populations?
En effet, la CCAMLR est l’organisme qui règlemente la pêche dans l’Océan Austral. Ses deux grandes mesures sont, d’une part l’élaboration de quotas de pêche, et d’autre part, la définition d’aires marines protégées (AMP).
Le problème, selon moi et selon de nombreux scientifiques, c’est que le calcul des limites de capture repose uniquement sur les estimations de biomasse du krill, dont la dernière remonte à il y a plus de 20 ans. Or, avec le changement climatique et l’augmentation des populations de prédateurs, comme les rorquals communs et les baleines à bosse, de nouveaux décomptes devraient être réalisés. Sans parler de la nécessité de prendre en compte la biologie du krill (dynamique de population, déplacements, période de reproduction et de migration). Nous constatons qu’en été, les adultes se trouvent en haute mer, tandis qu’à la fin de l’été et au début de l’automne, ils migrent vers le plateau continental, tout comme les juvéniles. Or, si la pêche se concentre uniquement dans les zones où se trouve le krill, elle risque de cibler les juvéniles et impacter durablement les populations. Dans ce cadre, la CCAMLR travaille actuellement sur une révision de ces quotas.
Mais ce qui crée véritablement des tensions entre les pays c’est la définition d’aires marines protégées, par la CCAMLR. En effet, l’idée est d’harmoniser la création d’AMP avec les quotas de pêche, et ainsi, de créer une zone protégée là où la pression de pêche est actuellement la plus forte, autour de la péninsule Antarctique. Or, en 2024, la Chine et la Russie sont opposées à cette AMP et bloquent l’avancement de la situation.
NLDR: Leonid Pshenichnov, le chercheur urkrainien arrêté par la Russie pour « haute trahison », car accusé de saper la pêche au krill, était membre pendant 20 ans auprès du comité scientifique de la CCAMLR.
La Russie et la Chine paralysent les mesures de protection du krill
Pourquoi cette opposition de la part de la Chine et de la Russie? Avez-vous le sentiment que, ces dernières années, les tensions politiques liées à ces enjeux environnementaux se sont accentuées?
D’une part, la Chine, qui est la seconde puissance de pêche au krill après la Norvège, a pour volonté de développer ce secteur. Elle exerce une forte pression auprès de la CCAMLR en demandant une augmentation des quotas et en construisant activement de nouveaux navires de pêche au krill. Elle estime également que si les restrictions de pêches sont respectées, alors les AMP sont inutiles – ce qui est discutable, puisque les AMP protègent également d’autres espèces et leurs habitats.
D’autre part, la Russie, bien que peu active dans la pêche au krill depuis une vingtaine d’années, a demandé en 2024 une licence CCAMLR pour un chalutier de krill, ce qui laisse penser que le pays pourrait chercher à accéder à cette ressource en opposant son veto à de nouvelles AMP.
La Russie et la Chine bloquent ainsi régulièrement les nouvelles propositions de zones protégées, paralysant ainsi les mesures de protection de cette espèce, car la CCAMLR est composé de 27 états membres et la validation de toute décision nécessite le consensus de l’ensemble des parties.
Quelle approche prônez-vous pour tenter de concilier ces intérêts divergents?
Pour ma part, je pense que le plus urgent est d’obtenir des données actualisées de l’état des populations, pour élaborer une gestion éclairée de la pêche. Les bateaux de pêche étant présents dans les aires de répartition du krill toute l’année, avec du matériel de mesure (sondeurs hydroacoustiques, analyse de la taille et de la maturité du krill), ils peuvent nous renseigner sur la localisation du krill et sa biomasse, à des intervalles de temps courts et non tous les 20 ans. Par conséquent, il est indispensable d’exploiter les données issues de la pêche pour renforcer les fondements scientifiques de nos décisions. Si ce secteur souhaite accroître son activité, alors il doit contribuer à la gestion des ressources halieutiques.
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