Aïssatou Diallo
Africa-Press – Côte d’Ivoire. En faisant basculer le Haut-Sassandra dans le giron du RHDP lors des dernières régionales, le ministre de la Promotion de la jeunesse a affirmé son statut de figure montante du camp présidentiel.
Parmi les nombreuses victoires du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) aux élections locales du 2 septembre, celle de Mamadou Touré dans la région du Haut-Sassandra est sans doute l’une des plus marquantes. À 47 ans, le porte-parole adjoint du gouvernement – et du parti au pouvoir – et ministre de la Promotion de la jeunesse, de l’Insertion professionnelle et du Service civique a battu l’alliance de l’opposition dans l’un de ses fiefs.
Dans cette région de l’ouest de la Côte d’Ivoire, il faisait face à un attelage de poids lourds, formé par le président sortant de la région et ancien secrétaire général du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), Alphonse Djédjé Mady, et par le vice-président du Parti des peuples africains – Côte d’Ivoire (PPA-CI), Stéphane Kipré.
À l’issue d’une campagne intense, parfois jalonnée de dérives xénophobes et de soupçons de fraudes électorales, c’est finalement Mamadou Touré qui a été déclaré vainqueur par la Commission électorale indépendante (CEI). Il l’a emporté avec 58,65 % des suffrages exprimés face à la coalition PDCI-PPA-CI, créditée de 39,91 % des voix.
Victoire sans recours pour le RHDP
Dès le soir de l’annonce des résultats, ses adversaires, dont Stéphane Kipré, lui ont passé des appels pour le féliciter. « Les urnes ont parlé dans la région du Haut-Sassandra. Nous avions une mission : faire gagner notre alliance à l’élection régionale. Malheureusement, nos efforts n’ont pas suffi. J’aimerais féliciter le candidat, la direction de campagne et les équipes qui ont donné le meilleur d’elles-mêmes. La prochaine fois sera certainement la bonne », a également écrit sur sa page Facebook l’ex-gendre de Laurent Gbagbo. Mamadou Touré a pour sa part salué le « fair-play » de ses adversaires. Contrairement à d’autres régions, aucun recours n’y a été formulé.
« Cette victoire, qui permet de faire basculer la région dans le giron du parti au pouvoir, était une promesse faite au président Alassane Ouattara », confie l’un de ses proches. Selon lui, le chef de l’État aurait toujours en travers de la gorge les précédentes élections régionales dans le Haut-Sassandra, en 2018. Lorsque le PDCI a rompu son alliance avec le RHDP, Ouattara pensait avoir la garantie qu’Alphonse Djédjé Mady lui resterait fidèle.
Le 19 août 2018, ce dernier a même été annoncé comme tête de liste du RHDP dans la région. Mais quelques jours plus tard, après une rencontre avec feu Henri Konan Bédié, l’ex-secrétaire général du PDCI réaffirme sa fidélité à sa famille politique. Il en conduira la liste, allant jusqu’à dire ne pas être au courant que ses anciens alliés avaient porté leur choix sur lui.
Quadra en vue
Cinq ans plus tard, en plus de la région, le RHDP a présenté des candidats dans sept communes et les a toutes remportées : Daloa, Issia, Saïoua, Zoukougbeu, Bédiala, Gboguhé et Vavoua. Dans cette dernière, c’est l’ancien footballeur international Bonaventure Kalou qui conduisait la liste présidentielle.
Pour Mamadou Touré, ce résultat a été rendu possible grâce à la « position légitimiste » qu’il occupe vis-à-vis du président. « Contrairement à ceux qui ont des équations personnelles pour 2025, j’ai fait campagne avec le nom d’Alassane Ouattara et en assumant ma proximité avec lui », expose-t-il. Et de poursuivre : « Je suis en mission pour le président afin de prolonger ses actions dans cette région. En plus de cela, j’avais une belle équipe – ouverte notamment à la société civile – et j’ai proposé un programme chiffré. »
Depuis plusieurs années, le jeune ministre compte parmi les quadragénaires les plus en vue du parti au pouvoir. En septembre 2017, sa nomination en tant que secrétaire général délégué du Rassemblement des républicains (RDR, le parti originel de Ouattara) lui avait valu quelques inimitiés. « Il faut lui reconnaître du mérite, glisse un cacique du camp présidentiel. Mais il ne doit pas oublier que lorsqu’il a rejoint le parti, certains avaient déjà posé les bases et menaient le combat. »
Engagé depuis plus de vingt ans
Cette image de jeune arrivé sur le tas, Mamadou Touré tente aujourd’hui de s’en défaire. Car, s’il figure bien parmi la jeune garde de Ouattara, il a déjà une longue histoire avec le RDR.
Trentième d’une fratrie de quarante-trois, Mamadou est le fils de Yamoussa Touré, compagnon de route de Félix Houphouët-Boigny et membre du PDCI. Originaire du Portio, dans le nord de la Côte d’Ivoire, son père est une figure du monde musulman ivoirien. Il a notamment participé à la création de plusieurs organisations religieuses, dont l’Association musulmane pour l’organisation du pèlerinage à la Mecque.
Sa mère, elle, est une baoulé originaire de la région de Dimbokro. Mais c’est surtout auprès de Martial Guiraud Kipré (frère de l’ancien ambassadeur Pierre Kipré et proche de Laurent Gbagbo), son père adoptif, que Mamadou Touré grandit entre Abidjan et Bouaflé.
Au début des années 1990, le jeune Mamadou est au collègue lorsqu’il est séduit par Alassane Ouattara, alors Premier ministre. Mais ce n’est qu’après le coup d’État de 1999 qu’il s’engage plus activement à ses côtés. Au tournant des années 2000, il prend part à la « Sorbonne » – un espace de discussion de rue dans le quartier du Plateau, à Abidjan – à des débats pour défendre Alassane Ouattara et se fait remarquer par des cadres du RDR.
Parmi eux, Ibrahim Cissé Bacongo, actuel secrétaire exécutif du RHDP, maire de Koumassi et conseiller spécial du président chargé des affaires politiques. C’est ce dernier qui le met en lien avec l’ancien Premier ministre Amadou Gon Coulibaly, qui le prend sous son aile. « Nos relations se sont affermies dans la durée, jusqu’à ce qu’il devienne mon mentor », explique-t-il.
Exil au Mali
« Lors de mon dernier débat à la Sorbonne qui m’oppose au camp Gbagbo, le 18 septembre 2002, nous parlions de coup d’État. J’ai dit que Gbagbo devait ouvrir le jeu démocratique car, dans le cas contraire, si un putsch avait lieu demain, les Ivoiriens allaient applaudir comme en 1999. En disant cela, je parlais d’un futur lointain. Sauf que le lendemain, il y avait une tentative de coup d’État », raconte-t-il.
« Le 8 octobre, je suis agressé à la machette. C’est le parti qui me soigne, poursuit-il en montrant une cicatrice. Le 30 octobre, j’échappe à une tentative d’enlèvement par les escadrons de la mort. Le parti a donc organisé ma sortie du pays. » Déguisé et sous une fausse identité, il rejoint Bamako, où d’autres cadres du RDR sont exilés.
En janvier 2003, les accords de Marcoussis permettent une accalmie. Le retour au pays redevient possible. Une fois en Côte d’Ivoire, Mamadou Touré s’engage dans des mouvements de jeunes proches du RDR et participe à l’organisation de manifestations contre le pouvoir. En 2004, il s’envole vers la Suisse pour poursuivre ses études universitaires, qu’il complètera ensuite à Paris, notamment dans la prestigieuse école Sciences Po.
Ascension fulgurante
Lorsqu’Amadou Gon Coulibaly est nommé directeur de campagne d’Alassane Ouattara pour la présidentielle de 2010, il fait rentrer Touré au pays. Celui-ci coordonne alors, aux côtés d’Hamed Bakayoko, les activités des jeunes du RDR. En 2008, il est nommé porte-parole « jeune » du candidat Ouattara pour la présidentielle à venir.
Pendant la crise post-électorale de 2010-2011, il est reclus au Golf hôtel jusqu’à la fin de janvier 2011. « Je suis ensuite exfiltré du Golf pour aller prêter main forte à l’équipe de communication en France. La Côte d’Ivoire focalisait l’attention médiatique », se souvient-il. C’est là qu’il rencontre ses premiers « succès » et devient l’une des figures du clan présidentiel.
AU FIL DES ANS, IL ENTRETIENT UNE RELATION QUASI FILIALE AVEC LE PRÉSIDENT ET SON ÉPOUSE
Une fois son patron installé au palais, Mamadou Touré connait une ascension fulgurante. D’abord conseiller technique chargé de la jeunesse et des sports à la présidence, puis conseiller dans plusieurs ministères, il intègre le gouvernement en 2017 comme secrétaire d’État chargé de l’Enseignement technique et de la Formation professionnelle.
Moins d’un an plus tard, en 2018, il est nommé ministre de la Promotion de la jeunesse et de l’Emploi des jeunes, avant de voir son portefeuille élargi en 2021, après un remaniement. Au sein du parti, il intègre les instances dirigeantes. Au fil des ans, il s’est beaucoup rapproché du président et de son épouse, avec lesquels il entretient une relation quasi filiale.
Figure médiatique
« Depuis une quinzaine d’années, je suis la figure médiatique du parti. Et pendant toutes les périodes chaudes – que ce soit la mutinerie de 2017 ou encore le retour avorté de Guillaume Soro en 2019 –, c’est moi qui suis monté au créneau. Je suis en mission car mes patrons me reconnaissent quelques qualités. Mais cette présence médiatique m’a également valu beaucoup d’inimités, tant au sein du parti qu’en dehors, car j’apparaissais comme la figure du clan Ouattara à abattre ».
IL A RENFORCÉ SON ANCRAGE DANS L’OUEST IVOIRIEN, RÉPUTÉ ÊTRE LE BASTION DE L’OPPOSITION
Sa victoire aux régionales permettra-t-elle de faire taire ceux qui, y compris au sein de sa propre famille politique, entretiennent son image de jeune ambitieux ? En remportant le Haut-Sassandra et en soutenant les candidats locaux du RHDP aux municipales, il a renforcé son ancrage dans l’ouest ivoirien, réputé être le bastion de l’opposition.
Député de Daloa-Commune depuis 2016, il a été réélu en mars 2021. Il avait alors fait face à la coalition pro-Gbagbo Ensemble pour la démocratie et la souveraineté (EDS) et au PDCI. Pour l’élu, cette nouvelle fonction ne posera pas de soucis de cumul. « Il faut savoir s’organiser et déléguer », répond-t-il.
Monsieur Loyal
Dans les rangs du RHDP, outre Touré, d’autres figures sortent renforcées des élections locales. C’est le cas du président de l’Assemblée nationale, Adama Bictogo, qui a conquis la commune de Yopougon, à Abidjan. De quoi nourrir d’éventuelles ambitions pour la présidentielle de 2025 ? Avec le décès de Bédié en août et la non-réinscription de Laurent Gbagbo sur le fichier électoral, le jeu s’annonce ouvert. Ouattara, qui avait souhaité passer le relais à une nouvelle génération en 2020 avant de finalement se présenter, se retirera-t-il à l’issue de son mandat ?
« Tout le monde se pose la question, mais mon élection ne change rien : je reste dans une dynamique d’équipe », répond celui qui s’est déjà déclaré en faveur d’une nouvelle candidature d’Alassane Ouattara. Et d’ajouter, en bon Monsieur Loyal : « Au-delà des individus que nous sommes, cette élection vient renforcer la légitimé du président Ouattara. Ce sont surtout ses actions qui ont aidé les candidats que nous sommes […] La grande majorité lui reste fidèle. C’est un signal pour dire qu’il reste le maître du jeu et qu’il sera déterminant pour 2025. »
Lors de son discours devant le Congrès sur l’état de la nation, le 25 avril, le chef de l’État avait annoncé un « plan Marshall » pour la jeunesse assorti de plusieurs milliards de F CFA d’investissements. Il a aussi déclaré 2025 « année de la jeunesse ». Du pain béni pour Mamadou Touré, qui devrait ainsi continuer à rester sur le devant de la scène politique – tout en étant très attendu sur la gestion de ces fonds et leur impact sur le sort de la jeunesse.
Source: JeuneAfrique
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