Un « casse-tête en matière de conservation » : les espèces invasives mais menacées

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Un "casse-tête en matière de conservation" : les espèces invasives mais menacées

Africa-Press – Côte d’Ivoire. Avec l’essor du commerce international, des espèces ont atteint certaines destinations qu’elles n’auraient jamais pu rallier par leurs propres moyens. En résulte aujourd’hui une véritable menace globale portée par ces espèces dites invasives. Installées dans une nouvelle région, elles peuvent rapidement se propager aux dépens des espèces locales. Selon un rapport de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) datant de 2023, les espèces exotiques envahissantes contribuent à au moins 60 % des extinctions mondiales.

242 espèces invasives de mammifères sont répertoriées et beaucoup causent des dégâts majeurs. Mais un problème se pose: « de nombreux mammifères exotiques sont largement répandus dans leur aire de répartition d’origine, tandis que certains pourraient être en déclin et, à terme, menacés d’extinction », indique une équipe de recherche de l’Université de Vienne (Autriche) qui a réalisé une synthèse sur cet épineux problème.

L’Asie, émettrice principale d’espèces invasives

A l’aide de bases de données, les chercheurs ont évalué la situation de 230 espèces invasives de mammifères. Et « parmi ces 230 mammifères exotiques, 36 sont menacés dans leur aire de répartition d’origine, soit en danger critique d’extinction (17 %), en danger (25 %) ou vulnérables (58 %) », remarquent-ils dans une étude publiée le 4 décembre 2024 dans la revue Conservation Letters. Ainsi, « les mammifères menacés avec des populations exotiques sont répartis en huit ordres, le plus nombreux étant les Artiodactyles (n = 15 espèces), suivis des Primates (n = 10) et des Diprotodontes (n = 5) ».

La plupart de ces espèces sont originaires de l’Asie du Sud-Est. Et ces mammifères invasifs s’établissent plutôt dans l’est de l’Australie, mais aussi dans les régions insulaires de l’Asie du Sud-Est, ou encore, pour certaines, en Europe. En réalité, de nombreuses espèces s’établissent sur le même continent, mais pas dans la même région comme c’est le cas notamment sur le continent asiatique. Des flux intercontinentaux existent aussi: le principal mène de l’Asie à l’Océanie et de l’Asie à l’Europe et l’Amérique du Nord.

« La voie d’introduction la plus importante pour l’espèce étudiée était la chasse (n = 94), suivie de l’agriculture (n = 38) et du commerce d’animaux de compagnie (n = 27), détaille l’étude. L’année médiane d’introduction était 1872, ce qui correspond étroitement à celle des espèces introduites uniquement pour la chasse (1862), mais diffère de celles introduites uniquement pour l’agriculture (1789) ou comme animaux de compagnie (1910) », une pratique plus récente.

Le lapin de garenne: une espèce menacée et envahissante

Ces espèces invasives souffrent, dans leur habitat naturel, majoritairement de leur utilisation comme ressource, c’est-à-dire notamment de la consommation de leur viande. Ce qui signifie donc que la principale menace correspond aussi à la voie d’introduction majeure: la chasse, dont l’impact sur les populations de mammifères est « stupéfiant », remarquent les chercheurs. Les autres menaces comprennent l’agriculture/ aquaculture et… d’autres espèces invasives. Curieusement, ces dernières constituent la troisième menace principale.

Pour 8 des 36 mammifères menacés, prendre en compte également la population exotique permet d’abaisser le statut au sein de la Liste rouge des espèces menacées. C’est le cas par exemple du lapin de garenne, en danger d’extinction dans sa région native – notamment en Espagne – mais dont la prolifération est extrêmement problématique en Australie, qui utilise des méthodes radicales pour tenter de s’en débarrasser.

Le cerf Sambar représente aussi un exemple frappant: en prenant en compte toutes ses populations, l’espèce passe de la catégorie « vulnérable » à « préoccupation mineure ». Selon le Muséum national d’Histoire naturelle, « hors des aires protégées, ses effectifs sont en régression, localement il a déjà disparu ». Mais l’espèce a, d’un autre côté, été introduite comme gibier en Nouvelle-Zélande, en Australie, aux États-Unis.

De potentielles populations de secours

Pour les auteurs de cette nouvelle étude, il s’agit d’un « casse-tête en matière de conservation ». « L’inclusion des populations introduites dans les évaluations de la Liste rouge peut avoir plusieurs conséquences, expliquent-ils. D’une part, si cette inclusion diminue la catégorie de la Liste rouge, les efforts de protection et de conservation des populations indigènes de l’espèce peuvent diminuer, de même que la sensibilisation du public et le financement. Inversement, des populations exotiques prospères mais surveillées peuvent, dans des circonstances spécifiques, être prises en compte dans le cadre de mesures de conservation ».

Une idée s’impose d’elle-même: que ces populations invasives servent finalement de « populations de secours » destinées à éviter l’extinction de leur espèce dans les régions natives. « L’élevage en captivité (pour éviter les dégâts sur les espèces endémiques, ndlr) et les réintroductions utilisant des populations exotiques pourraient être des mesures de conservation potentielles, souligne l’étude. Bien que la prudence soit de mise, dans la mesure où les populations exotiques peuvent héberger des parasites ou être génétiquement appauvries, leur utilisation in situ peut apporter des avantages ». Difficile aujourd’hui de savoir quelle démarche choisir sans causer encore plus de dégâts à la biodiversité.

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