Sous nos pieds, une vie mystérieuse que des scientifiques tentent de découvrir

4
Sous nos pieds, une vie mystérieuse que des scientifiques tentent de découvrir
Sous nos pieds, une vie mystérieuse que des scientifiques tentent de découvrir

Africa-Press – Côte d’Ivoire. Qu’avons-nous sous nos pieds ? Au-delà de la couche d’humus, c’est un mystère. Les premiers centimètres de sol recèlent déjà des milliards de microorganismes par gramme, de la macrofaune invertébrée aux archées en passant par les vers de terre, les bactéries et les champignons. Les scientifiques sont en train d’inventorier cette « jungle » et explorent depuis quelques décennies son fonctionnement intime et ses interactions avec les plantes.

Mais en dessous ? « Les premières couches géologiques sont d’une grande importance écologique car elles constituent le principal stockage d’eau douce soit au sein des amas granuleux comme pour le sable et l’argile, soit dans les failles des roches comme le granit, et recèlent toute une vie microscopique dont on connaît moins de 1% des espèces », résume Camille Bouchez, physicienne membre du laboratoire géosciences de Rennes. Un énorme champ de recherche sur lequel il est difficile de jeter un œil. Il est compliqué de comprendre comment ce milieu fonctionne et c’est pour cela que le CNRS a investi 3,5 millions d’euros dans une halle dédiée à cette question située sur le campus de Rennes.

La première fierté de ce nouveau lieu de recherche géré par l’observatoire des sciences de l’environnement de Rennes (OSERen) réside dans ces deux forages de 100 mètres de profondeur abrités dans une salle haute de plafond. Les chercheurs y sont au sec pour prélever l’eau souterraine qui servira pour les expérimentations. « Le maître mot, c’est l’interdisciplinarité, affirme Dimitri Lague, directeur de l’OSERen. Notre sujet exige les compétences de l’hydrogéologie, de la microbiologie, de l’agronomie, de la télédétection et de la microfluidique et même du droit et de l’archéologie ». Gérer des forages au sein du laboratoire permet ainsi de créer un même lieu d’expériences pour toutes les disciplines.

De nouveaux outils pour mesurer les caractéristiques des eaux souterraines

Ces deux forages fournissent déjà de surprenantes informations. Ainsi, la température de l’eau des nappes phréatiques. En toute logique, plus l’eau est située dans des zones profondes, plus elle est chaude car elle se rapproche de la chaleur émise par le noyau terrestre. « Mais nous avons pu déterminer que sur les premières dizaines de mètres, une augmentation de 3°C de ces eaux est provoquée pour moitié par la température de surface et donc on peut désormais affirmer que le changement climatique influe aussi sur les nappes souterraines », précise Maria Klepikova, chercheuse au CNRS à Géosciences Rennes.

Outre les variations de température des nappes phréatiques, le laboratoire se fixe pour objectif de mieux comprendre comment l’eau se comporte au sein des roches. Les chercheurs veulent savoir comment elle s’infiltre dans les couches profondes, soit à travers le filtre des agrégats poreux soit en parcourant les failles des roches, « Nos expériences récentes montrent que ce dédale poreux joue un rôle clé dans le transport, le mélange et la production d’éléments chimiques essentiels à la vie, assure Joris Heyman, chercheur spécialiste de la mécanique des fluides. Mais l’eau transporte aussi des pollutions humaines comme les nitrates, les antibiotiques ou encore les PFAS ». Comment tous ces paramètres interagissent-ils ? C’est du côté de la théorie du chaos que Joris Heyman cherche des explications. Un faible apport d’une nouvelle matière peut en effet avoir des conséquences très importantes à des kilomètres du point d’entrée de la substance, après un cheminement hasardeux au sein du sol.

Des liens étroits entre recherche en laboratoire et expériences en extérieur

C’est pour cela que la halle est associée à « l’observatoire de la zone critique » de Ploemeur-Guidel dans le Morbihan. Cette zone à cheval sur le littoral urbanisé de Ploemeur et les zones naturelles de Guidel sert à suivre depuis plus de trente ans la qualité de l’eau souterraine. « Nous pouvons ainsi tenter de mesurer les variations de qualité de la ressource provoquées par les changements d’affectation des sols comme les modifications des pratiques agricoles par exemple, et anticiper la pérennité des services fournis aux humains – comme l’eau potable – sous la contrainte du changement climatique », explique Laurent Longuevergne, chercheur CNRS responsable de cet atelier à ciel ouvert. La halle va permettre de mettre au point des outils adaptés aux besoins des recherches sur le terrain. « Car l’une des missions primordiales de la halle, c’est justement de favoriser la construction d’instruments de mesures innovants », rappelle Olivier Bour, professeur à Géosciences Rennes.

Autre surprise provenant de l’étude des forages rennais: les images prises tout au long du conduit de 100 mètres révèlent des floraisons de microorganismes s’épanouissant bien en dessous de zones sans vie. « Bactéries, champignons, virus, ce sont des écosystèmes entiers qui vivent dans l’eau à ces profondeurs sans avoir besoin de l’énergie solaire pour se développer », s’émerveille Camille Bouchez. Ces images, ces mesures ne pourraient être obtenues sans l’utilisation de nouveaux instruments comme la fibre optique pour la température ou encore la microfluidique qui permet d’observer les évolutions de populations bactériennes et fongiques à l’échelle microscopique.

La Terre abrite tout un monde bactérien inconnu

Ce monde vivant constitue vraisemblablement une biomasse importante. Si la densité de microorganismes est plus importante dans les 30 premiers centimètres de sol, le milieu de vie des espèces profondes est bien plus vaste puisqu’il s’étend des premières dizaines de centimètres jusqu’à cinq kilomètres de profondeur, limite au-delà de laquelle la pression, la température, l’absence d’eau rend toute vie impossible. « Des communautés microbiennes diversifiées, capables de catalyser la transformation d’un grand nombre de composés organiques et minéraux existent à toutes les profondeurs avec un fort taux d’endémisme si bien que nous avons des pans entiers de biodiversité à découvrir », assure Tanguy Le Borgne, physicien à l’université de Rennes.

En avril 2024, l’équipe rennaise a ainsi décrit pour la première fois dans la revue Microbiology Ecology une nouvelle souche bactérienne récoltée à 20 mètres de profondeur sur le site de Ploemeur-Guidel. Ferriphaselus amnicola GF20 est capable d’oxyder le fer et le thiosulfate et ne se nourrit donc pas de carbone. L’organisme rejette le fer ainsi minéralisé sous la forme de « tresses » qui trahissent son trajet dans le substrat. « Nous pensons que nous avons avec cette bactérie un début de chaîne alimentaire, estime Tanguy Le Borgne. Ferriphaselus constitue en effet un aliment de choix pour les autres bactéries qui, elles, ne peuvent assimiler que le carbone ». C’est le tout début de la description du fonctionnement d’un écosystème dont on ne connaît ni la distribution au sein des couches géologiques, ni leur évolution dans le temps, ni les rôles respectifs des communautés bactériennes entre elles. Depuis une dizaine d’années, ce sujet mobilise une activité scientifique de plus en plus importante.

En exploitant les nappes souterraines, l’humain perturbe un milieu dont il connaît peu de choses

L’exploration de ce domaine répond en effet à une question cruciale: de quelle façon l’humain (de façon directe par l’exploitation des eaux souterraines et leur pollution) ou indirecte (par le changement climatique) modifie-t-il ce milieu essentiel pour l’ensemble du monde vivant ? Aujourd’hui, sur les 2,8% d’eau douce présents sur la planète (97,2% d’eau salée), 0,63% est stocké dans les aquifères contre 0,02% dans les eaux de surface (rivières, lacs, barrages). Alors qu’un récent rapport de la Convention sur la désertification affirme que 77% de la surface continentale a subi un climat plus sec lors de ces trente dernières décennies par rapport à la période précédente, la gestion et de préservation des eaux souterraines va constituer un enjeu majeur au cours du 21ème siècle.

« Or, nous pompons de l’eau sans savoir quelles peuvent être les conséquences sur le fonctionnement des sols », prévient Laurent Longuevergne, à l’unisson de l’équipe de la halle des géosciences. Un principe de précaution devrait donc s’imposer en favorisant notamment un usage plus modéré de la ressource. Les « méga-bassines » contestées dans les régions de l’ouest de la France constituent un cas d’école. Les pompages l’hiver pour couvrir les besoins agricoles l’été se font sans prendre en compte les impacts sur l’environnement de flux d’eau souterraine plus chaude que celle de surface et en méconnaissance totale des perturbations causées à un milieu dont l’équilibre est vraisemblablement un paramètre important pour la préservation de la ressource.

La halle des géosciences rejoint ainsi le réseau de laboratoires labellisé « Observatoire de la zone critique: applications et recherche » (OZCAR), dédié à l’étude de cette fine couche de quelques kilomètres d’atmosphère et de quelques centaines de mètres de sols qui permet à la vie d’occuper et de se développer à la surface terrestre. Les chercheurs espèrent qu’une meilleure connaissance des interactions entre l’atmosphère, la composition géologique et la vie biologique permettra une gestion raisonnée, respectueuse et durable de la planète par l’homme.

Pour plus d’informations et d’analyses sur la Côte d’Ivoire, suivez Africa-Press

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here