Guillaume Soro au pays des accueillants putschistes

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Guillaume Soro au pays des accueillants putschistes
Guillaume Soro au pays des accueillants putschistes

Florence Richard
et Benjamin Roger

Africa-Press – Côte d’Ivoire. Après quatre ans d’exil hors du continent, l’ex-Premier ministre ivoirien a fait une tournée remarquée chez les putschistes sahéliens, dont les relations avec Alassane Ouattara sont notoirement tendues.

En l’espace de quelques jours, il est passé du statut d’insaisissable fugitif écumant les capitales européennes jusqu’à Dubaï et Moscou à celui d’encombrant voisin, reçu en hôte VIP par les régimes putschistes sahéliens. Au lendemain de l’annonce, le 12 novembre, de la fin de son « exil » et celle de son intention de retrouver « [sa] terre ancestrale et natale d’Afrique », Guillaume Soro est réapparu d’abord au Niger, puis quelques jours plus tard au Burkina Faso, deux pays dirigés par des militaires avec qui la Côte d’Ivoire entretient des relations pour le moins tendues.

Dans chacun de ces pays, l’ancien président de l’Assemblée nationale ivoirienne entre 2012 et 2019 a été reçu avec les honneurs, lui qui est visé par un mandat d’arrêt international émis par la justice ivoirienne en décembre 2019, soupçonné d’avoir tenté un coup de force contre Alassane Ouattara. Il a depuis été condamné à vingt ans de prison pour « recel de détournement de deniers publics » et « blanchiment de capitaux » en 2020 et, un an plus tard, à la prison à vie pour « atteinte à la sûreté de l’État ».

Des échanges « profonds »

Le 13 novembre, Soro, silhouette amincie et look minimaliste, a rencontré à Niamey le président de la transition nigérienne. Le général Abdourahamane Tiani n’a pas oublié qu’Alassane Ouattara a été un fervent partisan d’une intervention militaire de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) au Niger. Après leur entretien, Soro a salué un entretien « exceptionnel par la qualité et la profondeur des échanges ».

Une semaine plus tard, le 21 novembre, c’était au tour d’Ibrahim Traoré de recevoir l’ancien chef de la rébellion ivoirienne à Ouagadougou. Avant cette audience prolongée par un déjeuner, Soro s’était entretenu avec le capitaine Oumarou Yabre, le patron de l’Agence nationale de renseignement (ANR), un des artisans du putsch de Traoré. Yabre serait aujourd’hui l’interlocuteur privilégié de Guillaume Soro au sein de la junte. « Il n’y a pas de proximité particulière entre eux. Ils ont plus de dix ans d’écart et ne se connaissaient pas avant. Ce sont les circonstances qui les ont conduits à se voir », relate un officier burkinabè.

A lire : Les soldats de la discorde, au cœur de la crise entre Alassane Ouattara et Assimi Goïta

Avant Niamey, Soro s’est rendu à Bamako, capitale qu’il connait bien pour y avoir investi dans des bars et des restaurants avec des amis ivoiriens lorsqu’il était président de l’Assemblée nationale. Lors de ce séjour sur les bords du fleuve Niger, dont les autorités maliennes avaient pris soin d’avertir leurs homologues ivoiriennes, certains affirment qu’il a été reçu par Assimi Goïta – sans qu’aucune image de cette rencontre ne filtre. Guillaume Soro, que les autorités ivoiriennes soupçonnent d’avoir joué un rôle dans « l’affaire des 49 soldats » qui a empoisonné les relations entre Abidjan et Bamako, a par ailleurs obtenu un passeport diplomatique malien grâce auquel il voyage à nouveau librement aujourd’hui. Selon une source bamakoise, ce précieux sésame lui a été remis par le colonel Modibo Koné, le patron de la Sécurité d’État, les services de renseignement maliens.

Installation au Burkina Faso ?

Il se trouverait aujourd’hui à Ouagadougou. Va-t-il faire du pays des hommes intègres, qu’il connait bien pour y avoir séjourné dans les années 1990 et d’où il a peaufiné sa rébellion, lancée en 2002, sa future base arrière ? Certains le pensent et voient, dans la réhabilitation en cours de sa villa à Ouaga 2000, le quartier huppé de la capitale burkinabè, un signe qui ne tromperait pas.

« S’il s’installe vraiment ici, cela va vite se savoir », estime notre officier burkinabè. Pas sûr non plus qu’il y soit toujours le bienvenu. Au Burkina Faso, nombreux sont ceux qui n’ont pas oublié « l’affaire des écoutes » et son rôle dans la tentative de coup d’État contre le régime de transition en 2015. À l’époque président de l’Assemblée nationale ivoirienne, Soro avait évoqué, dans des appels avec Djibrill Bassolé, ancien ministre des Affaires étrangères de Blaise Compaoré, des moyens de soutenir le putsch du général Gilbert Diendéré.

Pour Goïta, Tiani, et surtout Traoré s’il devait l’accueillir de manière plus pérenne, pactiser avec Soro sert d’abord à perturber leur ennemi, qu’ils accusent d’être « l’homme des Français » dans la région : Alassane Ouattara. « Ils s’en servent comme un moyen de pression, voire de chantage, pour faire plier Ouattara, notamment parce que c’est lui qui tient les cordons de la bourse au sein de l’UEMOA et à la BCEAO », affirme une source malienne.

Certains estiment même que l’ancien rebelle, surtout s’il se réinstallait au Burkina Faso voisin, pourrait être utilisé comme un moyen de déstabilisation. « Les capitaines au pouvoir se vantent d’avoir participé à la réussite du putsch contre Mohamed Bazoum au Niger. Peut-être envisagent-ils de pouvoir faire la même chose prochainement en Côte d’Ivoire ? » s’interroge un officier burkinabè. « Si le Mali, le Niger et le Burkina Faso mettent des moyens à disposition de Soro, cela pourrait bien causer du souci à Ouattara », ajoute un militaire malien.

La piste russe

Des menaces d’autant plus sérieuses que les suspicions sont fortes sur ses liens présumés avec les Russes. Mi-2022, il a ainsi effectué, avec le soutien de relais à Bamako, un séjour à Moscou. Sur place, il aurait notamment été reçu par Mikhaïl Bogdanov, vice-russe des Affaires étrangères en charge de l’Afrique. « Il ne faut pas exclure qu’il puisse être utilisé par les Russes pour servir leurs intérêts. Si c’est le cas, les putschistes qui l’accueillent ne seraient que des pions et l’affaire est autrement plus complexe pour les Ivoiriens », analyse une source sécuritaire régionale.

Une hypothèse que les autorités ivoiriennes prennent au sérieux, et surveillent évidemment de près. « Il est fort possible qu’il soit lié aux Russes. Soro est tellement avide de vengeance et de pouvoir qu’il est capable de tout. Nous sommes très vigilants », affirme une source officielle proche des services de renseignement ivoiriens.

Début décembre, le Franco-Camerounais Franklin Nyamsi, un professeur d’université proche de Soro résidant en France, qui avait contribué à l’organisation de son voyage à Moscou en 2022, s’est à son tour rendu dans la capitale russe pour un voyage « humanitaire et scientifique ». « Guillaume Soro est farouchement indépendant et totalement rétif a toute forme de domination. C’est lui manquer de respect que d’insinuer qu’il puisse être le pion des Russes », balaie Moussa Touré, un des communicants de l’ancien président de l’Assemblée nationale.

« Maître en déstabilisation »

Si elles se montrent « vigilantes », pas question pour les autorités ivoiriennes de céder à l’inquiétude. Elles se refusent à faire de cet ancien allié devenu paria un sujet de préoccupation majeure. « Soro a réussi un joli coup médiatique en s’affichant ainsi avec nos voisins putschistes. Il a voulu se rappeler à notre bon souvenir mais nous le conjuguons au passé. C’est un bluffeur. S’il navigue entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger, c’est juste qu’il est grillé partout ailleurs sur le continent et qu’il n’a nulle part où aller », affirme un ministre de premier plan à Abidjan. Selon lui, l’ancien Premier ministre aurait notamment tenté d’approcher Faure Essozimna Gnassingbé et Denis Sassou Nguesso, mais il aurait trouvé porte close à Lomé comme à Brazzaville.

« La Côte d’Ivoire est un pays stable et respecté qui ne se laissera pas impressionner », affirme un proche de Ouattara, sans complètement balayer les risques sécuritaires que pourraient représenter ce voisinage. Que cherche Guillaume Soro, deux fois Premier ministre et ex-ministre de la Défense, en s’affichant ainsi avec des militaires putschistes notoirement en froid avec Abidjan ? « Quand il s’agit de Soro, rien ne nous étonne. C’est un maître en déstabilisation. Il pense certainement que le fait de se rapprocher des régimes hostiles peut l’aider à atteindre ses objectifs », poursuit notre source.

« Rupture totale » avec Ouattara

« Guillaume Soro peut rentrer quand il veut, le pays est ouvert », a affirmé de son côté le porte-parole du gouvernement ivoirien, Amadou Coulibaly, en marge d’un conseil des ministres, le 23 novembre. « Tous ceux qui voulaient rentrer sont rentrés, ils animent même parfois des réunions politiques », a-t-il ajouté en référence aux retours en Côte d’Ivoire de l’ancien président Laurent Gbagbo et de Charles Blé Goudé, tous deux condamnées par la justice ivoirienne dans différentes affaires et rentrés à Abidjan après de longues négociations avec les autorités.

Le premier, qui a lancé un nouveau parti politique, a été gracié par Alassane Ouattara. Il demeure radié des listes électorales et reste inéligible. Le second est toujours à la tête du Congrès panafricain pour la justice et l’égalité des peuples (Cojep) et s’est engagé à œuvrer à la réconciliation. L’entourage de Guillaume Soro le répète : il ne rentrera que s’il lui est possible de refaire de la politique dans son pays sans condition.

Avec les autorités ivoiriennes, la rupture serait « totale et irrémédiable pour le moment » malgré plusieurs tentatives pour renouer les liens, affirme son dernier cercle de fidèles. « Nous ne sommes plus demandeurs pour le moment. Nous n’avons pas pour objectif d’amadouer Ouattara ou d’être dans ses petits papiers. Et nous continuerons de nous afficher avec tous les régimes qui voudront bien nous accueillir », ajoute Moussa Touré.

Candidat à la présidentielle ?

Signe que la Côte d’Ivoire n’en a pas fini avec Soro : un des ses soutiens, Kaweli Ouattara, a été réélu ce 5 décembre maire de la commune de Ferkessédougou, dans le département natal de Soro, dans le nord du pays. Sa première réélection, lors des municipales du 2 septembre, avait été annulée par le Conseil d’État en raison de soupçons d’irrégularités.

Par ailleurs, deux cadres de Générations et peuples solidaires (GPS), le mouvement politique de Soro dissous par la justice ivoirienne (l’affaire a été portée devant la Cour de cassation), ont été arrêtés le 18 novembre à Odienné, dans le nord-ouest du pays. Ils seraient soupçonnés d’avoir voulu réunir des démobilisés, d’anciens rebelles non intégrés à l’armée ivoirienne après la crise post-électorale de 2010-2011.

« Si cela m’a pris cinq longues années pour regagner ma terre ancestrale africaine, il en sera autrement pour retourner sur ma terre natale ivoirienne, par la grâce de Dieu le tout-puissant », a récemment affirmé Soro sur ses réseaux sociaux où il affiche désormais clairement son intention : être candidat à l’élection présidentielle ivoirienne de 2025.

Source: JeuneAfrique

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