Issa Diabaté : « La ville du futur doit s’inspirer des principes villageois »

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Issa Diabaté : « La ville du futur doit s’inspirer des principes villageois »
Issa Diabaté : « La ville du futur doit s’inspirer des principes villageois »

Luc-Roland Kouassi – à Abidjan

Africa-Press – Côte d’Ivoire. Pour en finir avec le chaos, l’architecte ivoirien, qui a fondé avec Guillaume Koffi le cabinet Koffi & Diabaté, appelle à revoir la conception des projets d’urbanisme pour les rendre plus durables. Ce qui implique de mettre en œuvre une nouvelle gouvernance des villes.

Abidjan, Dakar, Addis-Abeba et bientôt Cotonou: fondé en 2001, le cabinet d’architectes ivoirien Koffi & Diabaté multiplie les projets en Côte d’Ivoire et ailleurs en Afrique. À l’origine de ce succès se trouve un duo formé par Guillaume Koffi et Issa Diabaté, le dernier ayant fait un stage dans le cabinet du premier avant la création de leur agence commune.

Alors que de plus en plus de questions se posent sur l’aménagement des villes africaines, les deux architectes ivoiriens entendent apporter des réponses à l’urbanisation galopante, la gestion des services de base et la cohésion sociale via le concept d’architecte-développeur. Une démarche qui les a conduits à créer en 2013 Koffi & Diabaté Group, un holding intégrant divers aspects de la production immobilière.

Rencontré au Sofitel d’Abidjan en marge d’une conférence sur l’entrepreneuriat, Issa Diabaté, fils de Lamine Diabaté, ancien ministre ivoirien de l’Économie sous Houphouët-Boigny, et d’Henriette Dagri Diabaté, ex-grande chancelière de l’Ordre national de la Côte d’Ivoire, explique la vision de son cabinet de la ville africaine de demain.

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Jeune Afrique: Il y a beaucoup de débats sur la ville africaine du futur. À quoi doit-elle ressembler selon vous ?
Issa Diabaté: Pour répondre à cette question, il faut déjà analyser la ville d’aujourd’hui. Est-ce qu’elle nous convient telle qu’elle est ? Quels sont ses avantages et inconvénients ? Au regard des réponses, on peut se projeter dans la ville du futur. Depuis une vingtaine d’années, nous constatons que la direction prise par nos villes n’est pas bonne. Celles-ci deviennent des mégalopoles et s’étendent tout en gardant une seule centralité. Ce qui crée toujours plus de problèmes de mobilité, d’assainissement, de transport… Nous n’avons pas anticipé la croissance démographique et le développement de la classe moyenne, autant de phénomènes qui créent le chaos actuel. Pour penser la ville de demain, il faudrait revenir à des fondamentaux comme les principes villageois avec une gouvernance centralisée. Dans un village, quand il y a un chef, les gens ne font pas n’importe quoi !

Il faut penser également à la durabilité et à la mobilité ce qui signifie limiter la pollution en mettant l’accent sur les déplacements à pied ou à vélo mais aussi réduire l’envergure des villes. Il faut avoir une vision vertueuse de notre environnement, prendre en compte ses particularités de sorte que l’on ne subisse plus la ville comme c’est le cas aujourd’hui.

Dans le cadre d’une gouvernance centralisée, qui doit être le chef ? Le maire ?

Non, pas forcément. Même si actuellement les mairies exercent principalement cette gouvernance, quel lien réel entretenons-nous avec elle ? Nous voyons les maires de loin, à la télévision bien souvent, ce qui illustre un lien immatériel et atomisé. Dans un village, chaque habitant peut se targuer d’avoir un contact direct avec le chef, ce qui garantit une autorité morale sur l’ensemble de la population qui, de fait, respecte plus facilement les règles. Pour le dire autrement, ce qui crée le ciment dans l’organisation des villages, c’est que l’on obéit à une structure sociale. Nous devons pouvoir retrouver la même chose dans certains immeubles, certaines zones d’habitation. Les gouvernances du futur doivent s’inspirer de ce modèle.

Prenons l’exemple de la gestion des déchets. Aujourd’hui, nous nous concentrons sur l’aspect pratique du problème – fréquence du ramassage des ordures, type de contrat, équipements utilisés – quand, pour le résoudre, il faudrait aussi prendre en compte des aspects sociaux dont l’implication des habitants. Je pense au quartier d’Abobo Baoulé, village ebrié au cœur de la commune d’Abobo, qui a sa propre gouvernance et voit notamment des habitants privatiser leur rue pour un besoin de cohésion et de gestion de l’espace. Ce sont des éléments de ce type qui doivent être pris en compte pour imaginer la ville du futur.

Cette dernière n’est donc pas le seul résultat d’un travail architectural…

Non. Pour construire la ville du futur, il faut aussi faire de la sociologie. Ce qui veut dire se libérer de l’urbanisme académique, s’intéresser à la culture africaine mais aussi se poser les bonnes questions et s’adapter.

Comment réduire l’envergure des métropoles ?

Il faut les densifier, faire en sorte qu’elles prennent de la hauteur plutôt qu’elles s’étendent et créent le chaos.

Que signifie le concept d’architecte-développeur que vous défendez ?

Il définit un architecte qui va au-delà de ses prérogatives habituelles en s’engageant dans la promotion du développement. Quand vous vous cantonnez à votre rôle d’architecte, bien souvent, vous travaillez à l’échelle d’un projet sans vous préoccuper de la résolution du chaos dont nous avons parlé. L’architecte-développeur, lui, intègre la volonté d’agir sur ce chaos dès la conception. Il pense son projet comme un élément de résolution du problème.

C’est ce que nous avons voulu faire avec notre projet des résidences Chocolat en 2016. Ce complexe immobilier de haut standing, mêlant maisons de ville et appartements, situé au cœur de la Riviera Golf à Abidjan, propose une invitation à vivre autrement. Nous avons mis l’accent sur les espaces communs, relégué les voitures au sous-sol, aménagé des espaces verts et une esplanade piétonne… en insistant sur la densification et la mutualisation de l’espace. Avec ce type d’approche, vous avez la latitude d’introduire des commerces ou des bureaux, d’imaginer la collecte des ordures, de mettre en place le tri sélectif. Autrement dit, vous vous donnez les moyens d’impulser un changement à travers votre projet.

Comment conserver cette approche avec un projet d’une autre ampleur mené par votre cabinet à Cotonou au Bénin ?

Il s’agit d’un complexe de 20 000 logements socio-économiques conçu sur un système de location-vente. C’est un projet intéressant et structurant pour nous. D’une part, il s’agit d’une commande publique, un type de projet auquel les cabinets privés comme le nôtre n’avons généralement pas accès. D’autre part, c’est un défi de par la taille du complexe à concevoir et réaliser.

Outre la conception du site et l’aménagement des maisons, il faut être force de proposition sur plusieurs questions dont la mixité sociale, l’accessibilité, les liaisons entre lieux de résidence et de travail. L’occasion de mettre en pratique notre démarche d’architecte-développeur. Même si le projet a pris du retard, nous prévoyons d’en faire la présentation et la livraison début 2025.

Source: JeuneAfrique

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