La Côte d’Ivoire met en œuvre sa stratégie globale de lutte contre les groupes terroristes : un modèle à limiter leur expansion

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La Côte d'Ivoire met en œuvre sa stratégie globale de lutte contre les groupes terroristes : un modèle à limiter leur expansion
La Côte d'Ivoire met en œuvre sa stratégie globale de lutte contre les groupes terroristes : un modèle à limiter leur expansion

Anouar CHENNOUFI

Africa-Press – Côte d’Ivoire. Au milieu de la propagation du phénomène du terrorisme dans toute la région sahélienne de l’Afrique, et de son expansion vers de nouvelles zones géographiques du Sahel ouest-africain, il est remarquable que la Côte d’Ivoire ait pu présenter un modèle unique en matière de lutte contre le terrorisme.

On constate qu’en adoptant une stratégie globale de lutte contre le terrorisme, le gouvernement a tenu à la mettre en œuvre, ce qui a eu un impact évident sur la baisse du taux d’attaques et de violences dans le pays, en particulier dans la région du nord, car c’est la région la plus dangereuse et la plus ciblée par les groupes armés jusqu’à présent.

Bien que de nombreux pays voisins dans la région du Sahel parlent d’adopter une stratégie globale de lutte contre le terrorisme, qui s’appuie sur les dimensions sociales et économiques en plus des dimensions sécuritaires et militaires, ces pays limitrophes sont régulièrement la cible d’attentats violents et criminels.

Cependant, jusqu’à présent, la Côte d’Ivoire a pu s’offrir un modèle de réussite pour limiter l’expansion des activités terroristes sur son territoire en activant sa stratégie globale de lutte contre les groupes armés.

Mais en même temps, le modèle ivoirien comporte de nombreux risques, dont notamment :

• La création par les groupes armés d’un réseau d’interactions commerciales illicites avec les commerçants de la région nord, pour valoriser leurs sources de financement (telles que : l’élevage, l’agriculture, le commerce et la recherche d’or),

• L’afflux de réfugiés en provenance des pays voisins du nord du pays, avec les risques et les défis qu’ils posent.

Le gouvernement ivoirien doit nécessairement y prêter attention et œuvrer pour y remédier.

Les caractéristiques de l’approche ivoirienne de lutte contre le terrorisme au Nord

Le terrorisme constitue l’une des menaces les plus graves à la paix et à la sécurité internationales. Le continent africain, qui n’est pas épargné par ce fléau, a vu s’intensifier ces dernières années, principalement dans sa partie occidentale et au Sahel, des attaques terroristes meurtrières contre les civils et les forces de sécurité locales et internationales y compris les casques bleus. La Cote d’Ivoire n’y a pas échappé.

Après l’attentat barbare perpétré le 13 mars 2016 à Grand-Bassam, le territoire ivoirien, dans sa partie septentrionale frontalière du Burkina Faso et du Mali est sans cesse la cible d’attaques terroristes.

Face à cette situation sécuritaire préoccupante, les autorités ivoiriennes ont pris des mesures au triple plan national, sous régional et international.

Sur le plan national, le Gouvernement ivoirien a procédé à une adaptation de son cadre juridique, avec le vote le 7 juillet 2015 de la loi portant répression du terrorisme, complétée par celle du 14 novembre 2016 sur la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.

En mai 2018, la Côte d’Ivoire a intégré dans son dispositif législatif portant sur la répression de ce fléau meurtrier, des dispositions traitant des questions liées au financement et à l’organisation de voyages des éléments des groupes armés, conformément à la Résolution n°2253 (2015) du Conseil de sécurité des Nations unies.

Au niveau sous régional et régional, la Côte d’Ivoire a adhéré aux mécanismes de lutte contre le terrorisme tant au sein de la CEDEAO que de l’Union Africaine. Il en est ainsi de « l’Initiative d’Accra », lancée en 2017 qui regroupe la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Benin, le Togo, le Burkina Faso et le Mali. Elle a pour objectif de promouvoir l’échange d’information ainsi que la coopération dans la conduite d’opérations militaires transfrontalières.

Par ailleurs, la Côte d’Ivoire qui est partie aux 19 instruments internationaux élaborés par la Communauté internationale pour prévenir les actes terroristes, est fortement engagée dans la mise en œuvre des résolutions pertinentes des Nations Unies en la matière.

Dans ce contexte, ce dossier vise à évoquer certaines étapes traversées par le pays au cours de l’expansion de l’activité terroriste sur son territoire, spécifiquement dans la région du Nord, qui a commencé par sa propagation et s’est terminée par son déclin, puis évoque les caractéristiques de la stratégie ivoirienne de lutte et les mécanismes qu’elle a adoptés et qui se sont révélés efficaces pour faire face à la vague d’expansion de ce fléau vers les côtes de l’Afrique de l’Ouest.

• L’évolution du phénomène terroriste en Côte d’Ivoire…de l’extension au déclin

La présence et la propagation de groupes violents dans la région du Sahel en Afrique et le fait de les considérer comme un foyer principal et traditionnel n’étaient pas suffisants et cohérents avec l’ambition d’extension et d’expansion des groupes armés dans de nouvelles zones géographiques, y compris les pays du Sahel ouest-africain, dont la Côte d’Ivoire.

Il importe donc de rappeler à ce propos la première attaque terroriste majeure qui s’est produite en Côte d’Ivoire en mars 2016, lorsque trois hommes appartenant à Al-Qaïda au Maghreb islamique, devenu plus tard « Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans », venus du Mali, ont ouvert le feu sur les clients de certains restaurants et sur des baigneurs dans la ville côtière de Grand-Bassam, entraînant la mort de 19 personnes.

Parmi les victimes, on avait relevé à l’époque « six citoyens européens et trois membres des forces de sécurité », 33 autres furent blessés. Ces attaques faisaient suite à des attaques similaires commises contre des hôtels et cafés haut de gamme au Mali et au Burkina Faso. L’incident en Côte d’Ivoire était unique et le pays n’avait jamais rien connu de pareil.

En avril 2016, soit prés d’un mois après, le gouvernement avait alloué plus de 130 millions de dollars pour renforcer les capacités des forces de sécurité, suivi par l’adoption par le Parlement de plans à long terme visant à rendre les services de sécurité plus professionnels, prévoyant notamment des réductions de salaires pour permettre une augmentation des dépenses militaires et l’octroi de primes aux officiers de l’armée comme outil de motivation, et comme moyen de réduire tout sentiment de mécontentement dans les rangs des forces et de réprimer toute tentative de rébellion au sein de l’armée, sans oublier d’élever et d’améliorer les compétences de combat des forces de sécurité et forces militaires et en fournissant les équipements nécessaires pour renforcer la sécurité des frontières et accroître la surveillance aérienne.

Bien que le pays n’ait pas enregistré de nouveaux attentats terroristes, cependant, le pays faisait partie du plan des groupes armés visant à s’étendre et à se concentrer, en particulier dans la région nord du pays, et cela ressort clairement de ce qu’ont exprimé les dirigeants du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans lors d’un clip vidéo publié en novembre 2018, dans lequel les peuls d’Afrique de l’Ouest ont été exhortés à « poursuivre le jihad », compte tenu de l’adhésion d’un grand nombre d’entre eux à ces groupes armés extrémistes, ce qui coïncidait avec les informations reçues concernant l’affectation de Hamadoun Koufa, chef du groupe Massina, une brigade affiliée au groupe « Nusrat al-Islam », dirigée par un chef burkinabé connu sous le nom de guerre « Hamza » pour établir des cellules dans le nord de la Côte d’Ivoire et recruter de nouveaux éléments.

• Caractéristiques de l’approche ivoirienne de lutte contre ce phénomène

À la lumière d’un environnement régional turbulent caractérisé par la fragilité et la faiblesse à tous les niveaux, il est remarquable que la Côte d’Ivoire ait pu neutraliser ses zones de l’activité des groupes armés qui se propage dans toute la région et menace sa sécurité nationale, notamment à travers ses frontières du nord, ce qui révèle une approche efficace en matière de sécurité que le pays a adoptée, pour contrecarrer toute tentative des groupes armés de s’étendre sur ses terres et de les adopter comme principales zones de concentration, qui peuvent être analysées comme ci-après.

A-La dimension sécuritaire et militaire de la lutte contre le terrorisme

Abidjan est conscient que cette lutte nécessite en partie une coopération régionale à travers la mise en œuvre d’opérations militaires conjointes en coopération avec les pays voisins, capables d’étouffer les groupes armés et de restreindre leurs mouvements.

Il va sans dire que la Côte d’Ivoire a lancé la première opération militaire conjointe de lutte, intitulée « Opération Komoi », en 2020, en coopération avec les forces burkinabè, après que les services de renseignement ont mis la main sur un commandant « recherché » dans le nord de la Côte d’Ivoire, en plus de la participation de la Côte d’Ivoire à l’Initiative antiterroriste européenne d’Accra, pour laquelle la base militaire ivoirienne était devenue un centre de formation pour d’autres armées ouest-africaines.

Aussi, dans le cadre des efforts ivoiriens visant à renforcer sa politique sécuritaire dans le nord du pays en coopération avec les pays de la région et ses partenaires internationaux, Abidjan a travaillé à la création d’un centre régional de sécurité en vue de lutter contre le terrorisme, sachant qu’en juin 2021, l’Académie Internationale de Lutte contre le Terrorisme (AILCT), implantée sur près de 1200 hectares, fût inaugurée dans la ville côtière de Jaqueville, située au sud du pays, en coopération avec la France, et qui allie :
• formation pratique,
• renforcement des capacités,
• et recherche stratégique.

L’académie comprend également des modules de formation pour les officiers de justice et les directeurs de prison, en plus d’être une plate-forme de coopération entre les officiers militaires et autres personnels concernés, avec leurs homologues du monde entier, de la région et du continent au sens large, après que des fonctionnaires et officiers de 26 pays africains y ont suivi des cours de formation au sein de cette académie, en 2023.

Quant au niveau des mouvements de sécurité locaux, Abidjan a déclaré la région du nord une zone militaire divisée en deux sous-zones d’opérations (nord-ouest et nord-est) et a envoyé des forces supplémentaires dans cette région, notamment des unités antiterroristes de l’armée, de la police et de la gendarmerie.

Par la même occasion, Abidjan a augmenté l’effectif de l’armée (en nombre) pour que son effectif atteigne d’ici fin 2023, environ 24 mille éléments, tandis que les estimations indiquent que les forces de police et de gendarmerie représentent 40 mille membres de sécurité supplémentaires, outre les changements apportés à la direction militaire et sécuritaire, notamment le remplacement du chef d’Etat-major de l’armée et du ministre de la Défense, d’ailleurs cela a eu des répercussions sur la stratégie militaire de lutte contre le terrorisme, outre la création du Centre de renseignement opérationnel antiterroriste en août 2021, pour améliorer la collecte d’informations de renseignement, renforçant ainsi le rôle de l’État dans la mise en œuvre d’opérations terrestres, aériennes et de renseignement visant à limiter la capacité des groupes armés à mener des incursions au sein même de l’État.

Il importe de rappeler qu’Abidjan a également élaboré une stratégie nationale de lutte, depuis 2018, et publié une loi antiterroriste visant à restreindre cette activité en tarissant les sources de financement des groupes armés et en restreignant les politiques du groupe visant à recruter davantage d’éléments, notamment en autorisant les forces de sécurité à procéder à des écoutes téléphoniques.

B-La dimension sociale et économique de la stratégie d’Abidjan de lutte contre le terrorisme

Ce qui est frappant dans l’expérience ivoirienne en matière de lutte contre le terrorisme, c’est qu’elle ne s’est pas limitée à la dimension sécuritaire et militaire, mais qu’elle s’est plutôt appuyée en parallèle sur des réformes structurelles et socio-économiques qui ont constitué le principal pilier de l’efficacité du rôle gouvernement dans la lutte contre les groupes armés. Abidjan a réalisé d’énormes investissements publics dans les infrastructures pour fournir des services de base aux citoyens, notamment des routes, des lignes électriques, des écoles et des hôpitaux, en particulier dans la région du nord.

D’autant plus que le gouvernement s’est efforcé de répondre aux préoccupations des jeunes (hommes et femmes) vivant dans la région du nord concernant les mécanismes de recrutement par les groupes armés. En raison de problèmes sociaux et économiques, le gouvernement a pu lancer une initiative visant à coordonner et à mettre en œuvre une variété de projets sociaux, en utilisant de manière optimale l’importante assistance financière et technique fournie par les donateurs.

Dans ce contexte, en janvier 2022, a été lancée la deuxième phase d’un programme social national destiné à réduire les disparités économiques régionales, connu sous le nom de « PSGouv2.65 » et s’étendant sur la période (2022-2024), qui vise à améliorer les conditions de vie des citoyens dans les six régions du nord, en plus d’améliorer les infrastructures de la région nord et de permettre à ses habitants d’accéder aux services sociaux de base tels que l’éducation, la santé, l’électricité, l’eau potable et l’entretien des routes, en lien avec des projets d’insertion professionnelle, d’emploi des jeunes et d’octroi d’allocations de sécurité sociale, de manière à gommer complètement les perceptions d’abandon habituellement dominantes.

Dans ce contexte, l’État, à travers ce programme, a dispensé des formations rémunérées d’une durée allant de 6 à 9 mois dans des métiers tels que la menuiserie, la couture et la coiffure, ciblant environ 22.000 jeunes hommes et femmes, dont la plupart étaient peu instruits ou analphabètes, et qui les qualifiaient pour obtenir des prêts à faible taux d’intérêt, ou sans aucune charge, afin de se lancer dans leur propre entreprise après avoir terminé la formation. Alternativement, les jeunes peuvent choisir des cours afin d’obtenir un permis de conduire.

Le gouvernement a également réussi à utiliser efficacement les stations de radio locales pour informer les citoyens des programmes efficaces de formation et de développement du gouvernement et des emplois qu’ils offrent, empêchant de facto les groupes armés d’exploiter les niveaux sociaux et économiques des habitants du nord du pays pour recruter des éléments et créer d’importantes zones de concentration dans le nord du pays. Le programme de travaux publics de Korhogo versait aux agents de nettoyage public et éboueurs un salaire mensuel, plus un montant fixe à déposer sur un compte d’épargne après six mois de travail, ce qui donnait aux femmes la possibilité d’épargner et de réinvestir leur argent dans de petits projets.

Il n’a pas échappé au gouvernement ivoirien que les groupes terroristes ont exploité les défis sociaux et économiques auxquels est confrontée la région du nord, comme en témoignent les conclusions d’une étude récente publiée en 2022 selon laquelle environ 74 % des habitants de la région du nord sont satisfaits de la situation. Les services de sécurité ont joué un rôle important à leur égard, et ils ont également exprimé leurs craintes, de la hausse des prix alimentaires et du taux de chômage, plus que leurs craintes pour leur sûreté et leur sécurité personnelle. En outre, le président Ouattara a augmenté le nombre de régions du pays de dix à 31 et a augmenté le nombre de représentants du gouvernement (et de personnalités politiques) du nord, renforçant ainsi les liens entre la capitale et la région du nord et facilitant également la mise en œuvre du programme de développement économique.

C-La promotion de la tolérance religieuse dans une société multiethnique

L’une des dimensions sur lesquelles le président Ouattara s’est appuyé dans sa stratégie efficace de lutte contre le terrorisme est la dimension de la « tolérance religieuse ». En tant que musulman marié à une catholique, Ouattara se présentait comme un modèle fiable de tolérance religieuse et de coexistence pacifique, indépendamment des différences religieuses ou ethniques, d’autant plus que les musulmans sont principalement basés dans la région du nord, considérée comme l’un des catalyseurs de l’expansion des groupes armés extrémistes dans la région nord du pays, c’est pourquoi le président Ouattara s’est efforcé de barrer la route à ces groupes en faisant respecter le principe de tolérance religieuse et de coexistence pacifique, et donner la priorité au langage du dialogue pour renforcer la diversité religieuse dans le pays.

D-La stabilité interne assurée par le gouvernement d’Alassane Ouattara après son arrivée au pouvoir en 2011

Suite au conflit dont le pays a été témoin au cours de la période 2002-2011, le gouvernement ivoirien, sous l’ère du président ivoirien Alassane Ouattara, a pu imposer un état de stabilité parallèlement à la réalisation du développement, en construisant une infrastructure économique moderne à travers le pays, qui lui a permis de restaurer le pouvoir de l’État dans les zones où il avait décliné, y compris la région du nord, qui offraient toutes un environnement largement fortifié à différents niveaux.

Ouattara a travaillé à la mise en œuvre de l’accord de paix conclu en 2007, qui stipulait la démobilisation d’environ 6.000 rebelles et l’intégration de milliers d’anciens rebelles dans les forces armées, après avoir reçu une formation professionnelle, y compris des chefs rebelles qui dirigeaient leurs propres milices dans le nord, et ont pu les maintenir sous l’égide de l’armée.

Cela a abouti à la construction d’une armée largement cohésive avec le soutien des partenaires étrangers d’Abidjan tels que la France, la Chine et le Maroc.

En outre, l’élite politique a su préserver des liens ethniques et familiaux étroits qui lient l’élite politique d’Abidjan au nord de la Côte d’Ivoire.

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