La CÔTE D’IVOIRE : Une « Galette » africaine que se disputent farouchement Américains et Chinois

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La CÔTE D’IVOIRE : Une « Galette » africaine que se disputent farouchement Américains et Chinois
La CÔTE D’IVOIRE : Une « Galette » africaine que se disputent farouchement Américains et Chinois

Anouar CHENNOUFI

Africa-Press – Côte d’Ivoire. La Côte d’Ivoire, ayant déjà accueilli plus tôt les Etats-Unis, est désormais considérée comme une nouvelle porte d’entrée de la Chine vers l’Afrique de l’Ouest.

Il faut d’abord noter que ce pays africain a connu un mois de janvier 2024 intensément actif suite aux visites rendues séparément, et à un court intervalle, par le Ministre des Affaires étrangères de la Chine « Wang Yi » en Côte d’Ivoire (les 17 et 18), et le secrétaire d’État des Etats-Unis « Antony J. Blinken » (les 22 et 23).

• Pour les relations ivoiriennes et chinoises:

Il importe de noter que les questions du Moyen-Orient et de la coopération bilatérale ont dominé la visite de Wang Yi en Côte d’Ivoire, précisément les 17 et 18 janvier dernier, après avoir visité, le 13 du même mois, l’Egypte puis la Tunisie, avant de poser pied à terre au Togo, le 16 janvier.

Par ailleurs, il est important également de rappeler la présence remarquable de Pékin, du moins sur le plan logistique, au sommet de l’IGAD, l’Autorité intergouvernementale pour le développement (en anglais: Intergovernmental Authority on Development) tenu à Kampala, Capitale de l’Ouganda, ainsi que sa participation aux sommets du Mouvement des Non-alignés et du groupe G77+Chine qui se sont déroulés dans la capitale ougandaise (le 21 janvier 2024), d”une manière qui révèle la forte implication de la Chine dans les enjeux du continent africain, qui recoupent les préoccupations internationales représentées par le Mouvement des non-alignés (qui regroupe 120 pays, et qui représente la deuxième organisation mondiale en termes de nombre de membres) et le Groupe des 77.

• Pour les relations ivoiriennes et américaines:

Il faut reconnaître que la visite du secrétaire d’État Antony J. Blinken à Abidjan a fait progresser les engagements pris lors du Sommet des dirigeants « États-Unis-Afrique » en élargissant les partenariats avec le gouvernement, les institutions et le peuple de Côte d’Ivoire. Blinken a rencontré le président Alassane Ouattara et de hauts membres de son gouvernement pour discuter des priorités communes visant à renforcer la démocratie et la bonne gouvernance, à développer la croissance économique et le commerce, à améliorer la sécurité en Côte d’Ivoire et dans la région, ainsi que des programmes visant à faire progresser le climat et l’alimentation, la sécurité et la santé.

A / La Chine et la Côte d’Ivoire vues à la loupe

Le président ivoirien Ouattara recevant Wang Yi

Il n’échappe à personne que la Côte d’Ivoire possède des ressources naturelles diverses et importantes, mais son économie est restée dépendante des politiques coloniales françaises, qui sont restées en place même après l’indépendance du pays en 1960, et ce pendant des décennies. La présence chinoise en Côte d’Ivoire était importante pour que cette dernière puisse sortir du « néocolonialisme » et se libérer des politiques de plus en plus « exploitatrices » de la France sous la présidence de l’actuel président français, Emmanuel Macron, sans apporter un réel soutien à Abidjan dans ses dossiers urgents, notamment dans les secteurs de la sécurité, de l’économie et de la coopération régionale.

Preuve de la force du lien entre Pékin et Abidjan, les importations de cette dernière en provenance de Chine sont passées de 100 millions de dollars en 2002 à plus de 1,57 milliard de dollars, 20 ans plus tard (2022). Contrairement à la baisse des investissements français en Côte d’Ivoire, leurs homologues chinois ont augmenté les leurs à 7,5 milliards de dollars, dont la plupart étaient destinés à des projets d’infrastructures.

D’autant plus que ces dernières années, la coopération sécuritaire entre la Chine et la Côte d’Ivoire a atteint des niveaux sans précédent, ce qui indique également la profondeur de ce rapprochement. En 2023, l’armée ivoirienne a signé un accord militaire avec son homologue chinois (via China North Industries Corporation), l’un des plus importants fournisseurs d’armes chinois, pour la fourniture de 50 véhicules armés. Abidjan a fait également appel à l’expertise chinoise dans le domaine de la lutte contre le terrorisme, sans oublier que les relations politiques entre les deux pays se sont clairement approfondies depuis le sommet du président chinois « Xi Jinping » et du président ivoirien « Alassane Ouattara » en décembre 2022, en plus leur accord pour élargir les relations bilatérales entre leurs pays et l’engagement d’Abidjan en faveur de la politique « d’une seule Chine » en échange de l’engagement de la Chine à approfondir ses relations commerciales avec la Côte d’Ivoire, a fait de cette dernière l’un des partenaires les plus importants de la Chine en Afrique de l’Ouest.

• Au fils des ans…les relations se consolident

Toutes obstructions et entraves mises à l’écart, ces dernières années, la Côte d’Ivoire a en effet représenté une porte d’entrée majeure pour la Chine dans la région ouest-africaine. D’autant plus que des entreprises chinoises ont repris les projets de rénovation du port d’Abidjan et ont ouvert de nouveaux ports d’expédition dans ledit port, en mars 2022. Ces importantes rénovations du port ont fait de la Côte d’Ivoire une véritable porte d’entrée vers la Chine et son influence dans les domaines économique, sécuritaire et politique de la région. La Côte d’Ivoire est également devenue le partenaire le plus important de la Chine et de son initiative « la Ceinture et la Route » en Afrique de l’Ouest, et pour mettre en place une alternative à l’arrêt d’une grande partie du commerce chinois vers l’Europe, le Continent américain et l’Afrique du Sud, elle bénéficiera donc du port d’Abidjan et sa capacité croissante grâce aux investissements chinois.

Pour plusieurs raisons, la récente visite de Wang Yi en Côte d’Ivoire s’inscrit dans le cadre d’une compréhension croissante entre les deux pays sur la plupart de leurs questions communes. Cela transparaît clairement dans les remerciements de Wang Yi à la Côte d’Ivoire pour sa compréhension et son soutien clair à la Chine sur la question de Taiwan, dans le cadre du soutien accru annoncé par Abidjan pour les questions qui préoccupent la Chine, comme la sécurité dans la région du Sahel et le renforcement de ses relations avec les pays de la région et un certain nombre de pays d’Afrique de l’Ouest. D’autre part, cette visite a marqué un bon départ, surtout, dans les relations économiques entre les deux pays. La Chine finance de nombreux grands projets d’infrastructures, un ensemble de barrages hydroélectriques, et un projet d’extension supplémentaire du port d’Abidjan. Cette évolution s’est cristallisée dans le fait que la Chine est devenue, ces dernières années, le premier partenaire commercial de la Côte d’Ivoire, le volume des échanges commerciaux entre les deux pays ayant doublé entre 2017 et 2022 (atteignant 1,85 milliard de dollars), pour atteindre prés de 4,46 milliards de dollars aujourd’hui. Wang Yi a également conclu sa visite à Abidjan en signant un accord pour accorder à cette dernière un contingent de bus électriques.

De même que la visite de Wang Yi à Abidjan a répondu à ces objectifs généraux et, plus que cela, à la capacité de la Chine à faire de ses relations avec cet important pays d’Afrique de l’Ouest la base d’une politique plus large en Afrique de l’Ouest et dans la région du Sahel.

A noter entre-autres que la tournée africaine de Wang Yi a pleinement réussi à consolider les liens de la Chine avec l’Afrique, comme en témoigne le programme de cette tournée qui a inclus l’Égypte, la Tunisie, le Togo et enfin la Côte d’Ivoire, qui est très diversifiée, importante et influente dans les politiques régionales et internationales en termes de gestion de la situation à Gaza, de la mer Rouge et des relations africaines avec les pays de l’Union, des relations européennes et bilatérales et de l’utilisation du port d’Abidjan comme porte d’entrée pour les exportations chinoises dans la région ouest-africaine, et également de l’obtention de Pékin d’un soutien politique bilatéral africain au niveau des réunions de l’Organisation IGAD, du Mouvement des pays non alignés et du Groupe des 77+ Chine lors des réunions de haut niveau dont la capitale ougandaise, Kampala, a été témoin en janvier dernier, avec un grand élan à succès, et avec le soutien de la Chine à ces réunions et du gouvernement ougandais lui-même, d’une manière qui a permis une issue sans heurts à ces événements (indépendamment de l’évaluation minutieuse de leurs résultats) et une indication d’un développement important dans la diplomatie africaine et un retour clair à la voix du « Sud global » et à ses alignements derrière les politiques de la Chine et de certains de ses partenaires les plus importants comme l’Afrique du Sud sur le continent africain.

B / Les Etats-Unis et la Côte d’Ivoire…vus à la loupe

Anthony Blinken avec Alassane Ouattara lors d’une conférence de presse à Abidjan

D’un autre côté, les États-Unis et la Côte d’Ivoire travaillent ensemble pour investir dans les ressources humaines, promouvoir la paix et accroître la prospérité partagée, en particulier pour les jeunes Ivoiriens: « Une Côte d’Ivoire saine, sûre et économiquement forte est UTILE pour les États-Unis ».

Le pays de l’Oncle Sam entretient effectivement avec la Côte d’Ivoire une relation forte basée sur des valeurs partagées, sachant que les États-Unis investissent massivement dans le peuple et les institutions ivoiriens, sur la base d’un partenariat de respect mutuel.

Les USA n’ont pas manqué de féliciter la Côte d’Ivoire pour avoir accueilli la Coupe d’Afrique des Nations CAN 2024, en rappelant que le Secrétaire d’Etat américain, Anthony Blinken et sa délégation ont assisté à un match clé et ont reconnu le professionnalisme, la compétition et la diplomatie exceptionnels sur le terrain.

Par ailleurs, le Conseil consultatif présidentiel sur l’engagement de la diaspora africaine (The President’s Advisory Council on African Diaspora Engagement) a choisi la Côte d’Ivoire pour sa visite inaugurale, réunissant trois envoyés sportifs pionniers, avec le soutien du Centre d’engagement mondial, comme symbole visible de leur partenariat bilatéral.

En outre, pour le président américain « Joe Biden », la Côte d’Ivoire constitue un partenaire essentiel dans la mise en œuvre de la stratégie présidentielle visant à prévenir les conflits et à promouvoir la stabilité du plan décennal associé pour les côtes de l’Afrique de l’Ouest (incluant également le Bénin, le Ghana, la Guinée et le Togo). Ce plan s’aligne étroitement sur le Plan national de développement de la Côte d’Ivoire 2021-2025 visant à:
• renforcer la cohésion sociale,
• renforcer la résilience des communautés,
• élargir les opportunités économiques,
• créer les conditions de la paix et de la stabilité en Côte d’Ivoire.

Il importe de noter également l’intérêt accordé par les Etats-Unis au leadership et à la générosité de la Côte d’Ivoire qui a accueilli des milliers de réfugiés et de demandeurs d’asile vulnérables alors que la violence au Sahel continue de forcer les déplacements à travers l’Afrique de l’Ouest.

Lors du lancement par le président Biden du Partenariat pour les infrastructures et l’investissement mondiaux au G7 en 2022, ABD Group, une société de développement de projets axée sur l’Afrique, a annoncé les phases 1 et 2 d’un projet d’unités hospitalières.

Actuellement, le groupe ABD a achevé 35 hôpitaux et 74 % des travaux de la phase 1, sachant que ce projet fournit de nouvelles infrastructures de santé aux communautés de la Côte d’Ivoire et constitue un exemple frappant des résultats que les entreprises américaines peuvent fournir sur le terrain.

Reconnaissons également que les États-Unis restent incontestablement le seul contributeur à répondre aux besoins des personnes déplacées dans toute l’Afrique de l’Ouest, car en 2023, ils ont fourni près de 12 millions de dollars d’aide humanitaire à leurs partenaires répondant aux besoins des réfugiés.

Promesses de financement non négligeables

A son tour, Anthony Blinker a annoncé que les États-Unis fourniraient 45 millions de dollars de nouveaux financements, en collaboration avec le Congrès américain, pour aider la Côte d’Ivoire et ses voisins à prévenir les conflits et à promouvoir la stabilité face aux menaces régionales. Grâce à ce financement, les États-Unis consacreront près de 300 millions de dollars à l’aide axée sur la stabilité dans les zones côtières de l’Afrique de l’Ouest depuis 2022, ce qui souligne leur engagement à collaborer avec cette région pour la stratégie visant à prévenir les conflits et à promouvoir la sécurité et la stabilité.

C’est ainsi que les Américains ont projeté de réaliser des investissements stratégiques à long terme pour aider la Côte d’Ivoire à s’attaquer aux causes sous-jacentes du conflit, conformément à son approche louable de « sécurité centrée sur la population ».

Dans tout le nord de la Côte d’Ivoire, les programmes:
• favorisent le dialogue entre les autorités locales et les communautés,
• élargissent les moyens de subsistance économiques des jeunes et des femmes,
• et augmentent les capacités de la police communautaire.

Ces efforts portent leurs fruits puisque les communautés locales et les responsables de la sécurité travaillent ensemble pour améliorer les systèmes d’alerte précoce, repousser les fausses nouvelles et lutter contre l’extrémisme violent.

C / La Chine, l’Afrique et la confrontation au « régime américain »

Au terme de sa tournée africaine, le ministre chinois des Affaires étrangères a estimé que son pays devait coopérer avec l’Afrique « en renforçant l’échange d’expériences en matière de gouvernance et en explorant conjointement les moyens d’accélérer les processus de modernisation ». A cette fin, lors de la série de délibérations africaines de Wang Yi avec ses différents agendas dans les quatre pays qu’il a visités (dont l’Egypte et la Tunisie), Pékin a souligné la nécessité de parvenir à un consensus sur la question du consensus sino-africain lors de la nouvelle session à venir du Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC), qui devrait se tenir à l’automne 2024 et s’appuie sur les principes du président Xi Jinping régissant la politique africaine de la Chine, qui reposent sur la sincérité, l’obtention de résultats réels et les bonnes intentions.

Il faudrait se rendre à l’évidence que la tournée africaine de Wang Yi, a renforcé la perception d’une « concurrence intense entre la Chine et les États-Unis d’Amérique » pour l’influence politique et les innombrables ressources naturelles du continent. D’autant plus que Washington a envoyé son secrétaire d’État, Anthony Blinken, dans une tournée africaine qui comprenait quatre pays.

Il s’agit évidemment du Cap-Vert, de l’Angola et du Nigeria, outre la Côte d’Ivoire, qui fût la dernière étape de la récente tournée africaine du ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi, quelques heures seulement après le départ du ministre chinois des Affaires étrangères d’Abidjan.

Toutefois, on peut relever dans ce contexte que ce qui distingue la diplomatie chinoise de son homologue américaine sur le continent, c’est qu’elle repose sur une approche gagnant-gagnant plus réaliste, et lie le soutien politique aux stratégies régionales et internationales de la Chine (par les pays africains) à la poursuite du soutien économique chinois sans aucun condition politique directe (la Chine insistant toujours sur sa non-ingérence) dans les affaires intérieures des pays africains, contrairement à Washington qui souligne, à chaque tournée d’un de ses responsables sur le continent africain, lier la coopération avec les pays africains à son dossier en le domaine des droits de l’homme, par exemple, comme lors de la dernière tournée de Blinken, fin janvier 2024.


Le président chinois Xi Jimping

Le retour de cette diplomatie chinoise bien établie s’est manifesté par l’obtention par Pékin, lors de la présence de Wang Yi sur le continent, d’un soutien direct et explicite à sa position à l’égard de Taiwan, qui avait élu à l’occasion de ce tour son président, William Lai Ching-te (en attente d’investiture le 20 mai 2024) qui est connu pour ses positions dures à l’égard de la Chine et de la politique « chinoise ».

A noter qu’en échange des conditions américaines croissantes concernant ses relations avec les pays africains, la Chine offre aux pays africains une couverture sûre face à divers problèmes, notamment leurs défis économiques.

À cet égard, la Chine prétend être désormais le partenaire le plus important de l’Afrique subsaharienne pour faire face aux exigences d’investissements dans les infrastructures de la région au cours des dix prochaines années, estimés selon la Banque africaine de développement à 93 milliards de dollars par an, (les pays africains n’en ont pas encore obtenu plus de la moitié), alors que la Chine devrait augmenter ses contributions en fournissant un financement suffisant pour ces investissements importants à la plupart des pays d’Afrique subsaharienne, avec des conditions politiques très faibles, surtout par rapport à ses homologues américains et occidentaux, du moins actuellement.

Nous ne pensons avoir tout dit sur ce bras de fer Sino-américain en Afrique de l’ouest, dans le Sahel et sur le continent brun en général, car ce dossier sera suivi nécessairement par d’autres dossiers..

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