Par Nadoun Coulibaly (à Abidjan)
Africa-Press – Côte d’Ivoire. Après des débuts dans la joaillerie et le négoce de matières premières agricoles, Moumini Bictogo, frère d’Adama Bictogo, fondateur du groupe Snedai et président de l’Assemblée nationale, porte un ambitieux projet de terminal minier devant désengorger les ports d’Abidjan et de San Pedro.
Le futur terminal minéralier prévu à Jacqueville, en banlieue ouest d’Abidjan: Moumini Bictogo, frère aîné d’Adama Bictogo, fondateur du groupe Snedai et président de l’Assemblée nationale, ne pense plus qu’à ce projet. Sa société, Lagune Exploration Afrique (LEA), et son partenaire chinois, China Harbour Engineering Company (CHEC), mettent les bouchées doubles pour démarrer le chantier d’une infrastructure estimée à 250 millions de dollars. En attendant, les deux entreprises assurent avoir déjà sécurisé quelque 200 millions de dollars d’opérations depuis la signature du contrat commercial, en juin dernier.
Devant s’étendre sur une superficie de 15 hectares, le projet comporte un terminal avec un quai de 320 mètres disposant de deux postes d’amarrage capables d’accueillir chacun un navire de 120 000 tonnes ainsi qu’une jetée avec deux postes destinés aux barges d’une capacité de 8 000 tonnes. Les travaux, qui doivent durer trente mois, seront réalisés par CHEC, l’infrastructure étant portée par une société de projet dédiée, Abidjan Mineral Gateway, dotée d’un capital d’un milliard de F CFA, comme l’ont révélé nos confrères d’Africa Business +.
« C’est mon combat. Je fais tout pour construire ce quai minéralier », avance l’entrepreneur âgé de 69 ans qui entend tirer profit de l’essor du secteur minier en Côte d’Ivoire en proposant une solution permettant de désengorger les ports d’Abidjan et de San Pedro. Alors que les projets dans la bauxite, le cobalt, le nickel et le manganèse se multiplient dans le pays, les ports ivoiriens demeurent la porte de sortie des minerais maliens, notamment du lithium produit dans les deux mines de Goulamina et Bougouni, lancées en début d’année.
Entré dans les mines par accident
Avant d’en arriver là, Moumini Bictogo commence son parcours d’entrepreneur dans la joaillerie, après une formation académique à Vérone en Italie au début de la décennie 1980. C’est son tuteur italien d’alors, Giovanni Di Giacomo, qui lui met le pied à l’étrier. Sous sa houlette, le natif d’Agboville dans la région de l’Agneby Tiassa conçoit les premières effigies du président Félix Houphouët-Boigny, joaillerie le montrant tenant une colombe, symbole de paix, tout en se lançant dans le négoce de matières premières agricoles, notamment le cacao et la noix de cajou, via la société African Trade Company (ATC) – une activité toutefois mise en sommeil aujourd’hui au profit des projets miniers. En parallèle, l’entrepreneur ivoirien, passionné de football, devient le promoteur en Côte d’Ivoire de l’équipementier sportif Gem’s, sponsor des Éléphants, l’équipe nationale.
Mais, c’est bien dans les mines qu’il fait son trou, presque par accident. Son entrée dans le secteur intervient en 2017 avec le lancement de la mine de bauxite de Bénéné, près Bongouanou, à 250 km d’Abidjan, sur un gisement doté de réserves estimées à 34 millions de tonnes. Sollicités quelques années auparavant, en 2013, par des investisseurs sud-africains afin de s’associer avec lui pour obtenir un permis minier et exploiter le site, ces derniers se désistent in extremis. Moumini Bictogo décide alors de poursuivre l’aventure en solo. « Je me suis retrouvé avec ces permis pour lesquels j’avais mobilisé plus de 7 millions d’euros d’investissement », assure-t-il. Au final, il développe la mine via Lagune Exploration Bongouanou (LEB), co-entreprise entre Lizetta Mines, holding de l’entrepreneur détentrice d’une participation de 44,01 %, la société Paris Holding (41,4 %) et l’État ivoirien à hauteur de 10 %.
Unique producteur de bauxite
Si la pandémie de Covid-19 et la baisse des cours de la bauxite ont compliqué les débuts de LEB, le pari est finalement gagnant. Après une production modeste de quelque 54 000 tonnes en 2022, ce sont plus de 200 000 tonnes de bauxite qui ont été produites en 2023 pour un chiffre d’affaires estimé à 2,15 milliards de F CFA. Une production écoulée en partie auprès de clients asiatiques, en l’occurrence Top Sun et China Asia Entreprise, LEB visant la barre du million de tonnes de minerai brut extrait à court terme. Pour l’heure, l’exploitation du site de Bongouanou permet à Moumini Bictogo d’être l’unique producteur et exportateur ivoirien de minerai de bauxite, avec des teneurs moyennes en alumine supérieures à 48 %.
En parallèle, sa société Lagune Exploration Afrique (LEA) veut diversifier ses activités dans l’exploitation semi-industrielle. « Cette stratégie, menée via Lizetta Mines, est pertinente vu le cours historiquement haut de l’once d’or – autour de 4 000 dollars – et à portée de main des investisseurs locaux. Elle pourra servir de tremplin vers une exploitation industrielle, dominée jusqu’ici par les compagnies étrangères », souligne Yacouba Diarra, le président du Groupement professionnel des miniers de Côte d’Ivoire (GPMCI), le principal syndicat corporatiste du secteur.
Peu de moyens financiers
« Moumini Bictogo a un profil d’investisseur avant-gardiste qui sait évaluer un marché et prendre des risques dans un secteur réputé à haute intensité capitalistique comme l’industrie minière », ajoute Yacouba Diarra, un temps en compétition avec Moumini Bictogo pour prendre la tête du GPMCI, un duel qui s’est réglé par consensus, selon l’entrepreneur, via l’attribution du poste de président d’honneur à Bictogo. « Il a compris très vite que l’avenir du secteur minier sera dominé en grande partie par l’exploitation des métaux critiques pour soutenir, d’une part, la transition énergétique et, d’autre part, la croissance de nos pays », reprend Yacouba Diarra.
« Sa position est celle d’un précurseur de la diversification du secteur ivoirien des métaux qui ouvre les portes, avec peu de moyens financiers », avance, pour sa part, un juriste minier basé à Abidjan, soulignant que « Moumini Bictogo lève peu de ressources mais parvient à développer des projets d’envergure comme le terminal minéralier ».
Pointant l’ampleur des défis à relever pour faire aboutir le projet, certains observateurs portent un regard plus distancié. « Moumini Bictogo est un entrepreneur avisé mais il doit encore faire ses preuves dans notre industrie », glisse ainsi un acteur minier ivoirien. Principal écueil à surmonter: réussir à mobiliser la totalité du financement requis par le projet de terminal. Dans ce cadre, l’entrepreneur ivoirien a ouvert des discussions avec le ministère des Transports et le Port autonome d’Abidjan (PAD). Il entend aussi faire entrer au tour de table des miniers et privés ivoiriens comme étrangers – des pistes qui restent à concrétiser.
Parmi ses atouts, l’entrepreneur ivoirien, homme de réseaux, peut compter sur un cercle d’amitiés cosmopolites. Son restaurant Happy Hours, qu’il tient depuis plus de deux décennies dans le quartier huppé du Plateau, est un lieu de rencontres pour les membres de l’élite ivoirienne, avocats, banquiers, décideurs politiques, sportifs ou artistes. Interrogé sur ce point, il tente une explication, assurant n’avoir d’appétit que pour les affaires, pas pour la politique. « J’ai de l’entregent et du relationnel mais je suis discret dans mes affaires, souligne-t-il. Je n’ai pas de connexions politiques mais j’ai des amis et frères dans la politique. Leurs conseils, que je sollicite, me permettent de mieux appréhender l’environnement. »
Source: JeuneAfrique
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