Delphine Iweins
Africa-Press – Côte d’Ivoire. Si la culture de l’arbitrage s’intensifie sur le continent, elle reste insuffisante au regard des enjeux auxquels entreprises et États font face. Analyse.
C’est un fait, « les litiges liés à l’Afrique sont en nette augmentation », reconnaît Roland Ziadé, avocat associé du cabinet Linklaters. En effet, près de 1 700 arbitrages en lien avec le continent africain [en raison de la nationalité d’une des parties, du siège de l’arbitrage, de la loi applicable, etc.] sont actuellement en cours, d’après des données récoltées auprès de la legaltech Jus Mundi.
Parmi eux, la majorité (55 %) concerne un litige entre entreprises, et près de 25 % relèvent de désaccords entre États et investisseurs ou entre plusieurs États. Voilà pour le panorama général. Mais, à y regarder de plus près, la tendance est à la multiplication des procédures devant les juridictions, les parties menant de front un arbitrage d’investissement basé sur un traité bilatéral et, par exemple, un arbitrage commercial fondé sur le contrat.
Inégalités entre les parties
Pour notre avocat, qui est aussi arbitre, « l’intérêt pour l’investisseur est d’augmenter ses chances d’obtenir un dédommagement ». Et de préciser : « Les fondements juridiques ne sont pas les mêmes d’un type d’arbitrage à l’autre. »
Ce foisonnement des arbitrages d’investissement et commerciaux est parfois dû à un manque de rigueur dans la rédaction des contrats. Les ministères et services d’État ne sont pas suffisamment sensibilisés au risque contentieux. Trop d’échanges et de remarques sont encore écrits, et la coordination entre services autour d’un même dossier est souvent laborieuse. « Elle nécessite beaucoup d’énergie et fait perdre du temps dans la procédure », fait remarquer Maude Lebois, avocate spécialiste de l’arbitrage international, associée fondatrice du cabinet Gaillard Banifatemi Shelbaya Disputes.
Ce sentiment est aussi éprouvé lors d’arbitrages commerciaux. Les entreprises locales se retrouvent souvent dans une procédure qu’elles comprennent mal face à des organisations étrangères parfaitement au fait des rouages. L’inégalité entre les parties est réelle et date de la négociation du contrat. « La clause de résolution des différends est souvent la dernière clause que l’on négocie et elle est généralement proposée par une seule partie », constate Isabelle Rouche, avocate associée du cabinet Asafo & Co. « Les directions juridiques des entreprises africaines ne sont parfois pas assez sensibilisées à la relecture des clauses de résolution des différends. Pourtant, les conditions de sortie d’un contrat sont très importantes », insiste-t-elle. En effet, c’est cette clause qui désigne le siège où se déroulera l’arbitrage.
Des sièges peu convaincants
Pourtant, le choix du lieu de l’arbitrage est crucial. Les parties cherchent en effet un endroit neutre où se dérouleront les audiences, mais pas seulement. C’est aussi le choix juridique du droit applicable en cas de recours et d’annulation de l’arbitrage. C’est pourquoi 42 des 54 États africains sont partis à la Convention de New York pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères. De plus, des pays comme la Tanzanie, le Nigeria ou la Sierra Leone ont adopté, ces deux dernières années, des lois en faveur de l’arbitrage.
Cependant, d’après Jus Mundi, la plupart des arbitrages en lien avec l’Afrique ont lieu à Paris ou à Londres. « Le continent est victime de préjugés. La partie adverse étrangère ne veut pas prendre le risque de se retrouver devant un juge local. Il est dommage que la partie africaine ne négocie pas plus cette clause au profit de sièges ayant des réglementations et des pratiques favorables à l’arbitrage international sur le continent », regrette Isabelle Rouche.
Un facteur culturel doit aussi être pris en compte. Certaines entreprises ou certains États du continent préfèrent se retrouver à Paris ou à Londres que dans un autre pays africain dont ils ne connaissent pas le système judiciaire. « Le renforcement de la perception positive du lieu de l’arbitrage passe en particulier par la mise en place de lois et d’un système judiciaire favorables à l’arbitrage. C’est un véritable investissement pour un pays », résume Christophe Von Krause, avocat-associé spécialiste de l’arbitrage et de l’Afrique chez White & Case.
Manque de diversité chez les arbitres
Et même si des centres d’arbitrage réputés ont vu le jour à Abidjan, Kigali ou Johannesburg, le résultat reste mitigé. En cause, notamment, les manques de formation des avocats à l’arbitrage, et de représentation des arbitres africains. Pour les parties à l’arbitrage, il est difficile de désigner un arbitre considéré comme trop peu expérimenté. Ce qui est encore trop souvent le cas des arbitres africains. « C’est une prise de risque qui peut lui être reproché par la suite. Les institutions d’arbitrage ont une plus grande marge de manœuvre », explique Maude Lebois.
Seules ces dernières peuvent donner l’impulsion d’une plus grande diversité des arbitres. « Il existe un besoin reconnu d’un plus grand nombre de professionnels du droit du continent à même d’intervenir comme arbitres internationaux, et, dans cette perspective, de développer la formation à l’arbitrage international des professionnels du droit, comme les avocats et magistrats », indique Christophe Von Krause.
Le manque est identifié, et la communauté arbitrale internationale travaille à y remédier. Par exemple, la conférence régionale ICC Afrique sur l’arbitrage international s’est tenue à Lagos les 1er et 2 juin 2022. Néanmoins, un véritable progrès sera réalisé lorsque des arbitres africains seront appelés à résoudre des litiges non africains. Cette évolution demeure encore trop embryonnaire.
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