Sénégal Côte d’Ivoire Qui Gagnera la Course à l’Émergence

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Sénégal Côte d’Ivoire Qui Gagnera la Course à l’Émergence
Sénégal Côte d’Ivoire Qui Gagnera la Course à l’Émergence

Thaïs Brouck

Africa-Press – Côte d’Ivoire. Bassirou Diomaye Faye a fait du souverainisme l’alpha et l’omega de sa politique économique, une stratégie aux antipodes de celle adoptée 15 ans plus tôt par Alassane Ouattara. Qui, entre le Sénégal et la Côte d’Ivoire, remportera la course à l’émergence? Jeune Afrique analyse point par point la rivalité entre les deux locomotives d’Afrique de l’Ouest.

Quatre-vingt-dix minutes ne suffiront pas pour départager les Éléphants des Lions de la Teranga. Nous sommes le 30 janvier 2024. Pour ce 8e de finale de la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) organisé à Yamoussoukro, le stade Charles Konan Banny est plein à craquer. Il faut dire que le derby ouest-africain Côte d’Ivoire-Sénégal est une affiche de rêve: le pays hôte, rescapé miraculeux de la phase de poule, face au champion en titre.

Dès la 3e minute, le Sénégal ouvre la marque. La Côte d’Ivoire pousse, encore et encore. Finalement, Franck Kessié égalise en fin de partie sur penalty et emmène les coéquipiers Sadio Mané en prolongation. Aucune des deux équipes ne réussit à faire la différence et c’est finalement lors de la séance de tirs au but que les Ivoiriens parviennent à arracher la victoire.

Depuis leur indépendance, la rivalité entre les deux locomotives de la zone de l’Union Économique et Monétaire Ouest Africaine (Uemoa) ne se cantonne pas aux terrains de football. De l’économie à l’influence, le pays de la Teranga et la terre d’Éburnie se disputent le titre de première puissance francophone d’Afrique de l’Ouest.

D’ailleurs, dans la plupart des domaines, les deux pays sont souvent au coude à coude, comme le démontre notre classement exclusif « Gouvernance, influence, innovation: les 20 pays les plus performants ». Comme lors de ce fameux match de la CAN, la Côte d’Ivoire (10e) l’emporte de peu sur le Sénégal (13e).

Cette émulation réciproque est entrée dans une nouvelle dimension depuis l’élection du président Bassirou Diomaye Faye en 2024. En effet, si les deux pays semblaient jusqu’alors afficher une stratégie de développement semblable, ils prennent désormais des directions opposées. Qui remportera la course au développement? État des lieux en quatre points.

Dynamisme économique: avantage à la Côte d’Ivoire (1-0)

En matière de production de richesse, la Côte d’Ivoire a une confortable longueur d’avance. En 2023, le PIB du pays qui compte 31 millions d’habitants s’est élevé à 78,88 milliards de dollars alors que celui du Sénégal et ses 18 millions d’habitants était de 30,85 milliards.

Ce qui correspond à un écart de très exactement 800 dollars en PIB par habitant: 2 506 dollars pour la Côte d’Ivoire contre 1 706 dollars pour le Sénégal. Pourtant, en 2012, tandis qu’Alassane Ouattara vient d’entamer son premier mandat, les deux pays sont au coude à coude et l’écart de PIB par habitant est alors inférieur à 200 dollars. Que s’est-il passé au cours de la dernière décennie?

Au sortir de la crise post-électorale, la Côte d’Ivoire a profondément transformé son économie et enregistré l’un des taux de croissance les plus rapides et soutenus au monde. Historiquement, le pays joue un rôle de hub économique pour toute la sous-région.

« Le premier producteur mondial de cacao peut compter sur ses ressources agricoles et minières, explique l’économiste ivoirien Séraphin Prao. Le secteur minier, qui contribue pour 5 % du PIB, est appelé à se développer fortement à moyen terme grâce à l’ouverture de nouvelles mines. »

Le secteur minier, qui contribue pour 5 % du PIB, est appelé à se développer fortement à moyen terme grâce à l’ouverture de nouvelles mines.

Dans le même temps, c’est-à-dire au cours des deux mandats de Macky Sall (2012-2024), la croissance sénégalaise a été moins dynamique, à moins de 5 % en moyenne. Mécaniquement, l’écart s’est accentué entre les deux pays.

Mais la tendance est en train de s’inverser. Dès cette année, le Sénégal devrait afficher la plus forte croissance du continent avec 8,4 % selon le FMI. « De vastes gisements de pétrole et de gaz ont été découverts. Les réserves des blocs de Rufisque et de Sangomar sont évaluées à plus d’un milliard de barils de pétrole », rappelle Séraphin Prao.

Reste que pour espérer rattraper la Côte d’Ivoire, le Sénégal va devoir maintenir cette performance pendant au moins une décennie.

Infrastructures: égalisation du Sénégal (1-1)

Dakar et Abidjan sont des chantiers permanents. Au Sénégal, des infrastructures modernes ont poussé à travers tout le pays. Désormais, un train express régional (TER) relie Dakar à Diamniadio. Imaginée pour décongestionner la capitale, la ville nouvelle est située à deux pas du nouvel aéroport international.

Ce centre administratif, accessible également par l’autoroute, accueille le stade Abdoulaye-Wade, le centre international de conférences Abdou-Diouf et la Dakar Arena. Le reste du pays n’est pas en reste. Ces dernières années, des centaines de kilomètres d’autoroute ont été construits, le taux d’électrification rurale a été multiplié par deux et dépasse désormais 90 % en zones urbaines.

En face, la Côte d’Ivoire n’a pas à rougir. Sur la période 2011-2023, le gouvernement affirme avoir investi 2,6 milliards d’euros dans la production, le transport et la distribution d’électricité. Selon le gouvernement, l’intégralité des localités du pays seront connectées d’ici la fin de l’année.

Côté infrastructures routières, alors que la capitale économique ne comptait que deux ponts au début des années 2010, il aura fallu moins d’une décennie pour que trois de plus enjambent la lagune Ebrié. Dans tout le pays, des pistes sont devenues des routes, des routes se sont transformées en autoroutes, des ronds-points en échangeurs. La Côte d’Ivoire possède le réseau routier le plus développé de la sous-région.

Reste donc un secteur où le Sénégal a pris une longueur d’avance: les transports en commun. Comme à Dakar, le BRT, une ligne de bus avec des voies dédiées, a été inauguré cette année dans la capitale économique ivoirienne. Mais le métro a déjà pris plusieurs années de retard et ne devrait pas être livré, au mieux, avant 2027.

Climat politique et attractivité: la Côte d’Ivoire prend l’ascendant (2-1)

Malgré des heurts, des manifestations et un report de quelques semaines, finalement, en matière de démocratie, le pays de la Teranga est resté fidèle à sa réputation d’exception ouest-africaine. Il est le seul pays de la zone Uemoa à n’avoir jamais été frappé par un coup d’État et est l’un des rares à connaître, régulièrement, des alternances démocratiques.

Néanmoins, les incertitudes liées au report du scrutin ont impacté la croissance qui a plafonné à un peu plus de 4 % en 2024 alors que le double était anticipé. En mars 2024, Bassirou Diomaye Faye a finalement élu président de la République dès le premier tour – une première pour un candidat d’opposition – sur un programme de rupture.

Comme promis pendant la campagne, dès sa prise de fonction, il a lancé une série d’audits: finances publiques, contrats pétroliers et gaziers, infrastructures. « La posture souverainiste qui a conduit à réviser les accords signés et privilégier des partenariats gagnant-gagnant n’est pas mauvaise, estime l’économiste sénégalaise Seydina Alioune Ndiaye. Mais il ne faut pas que cette stratégie se transforme en un repoussoir d’investissements directs étrangers (IDE). »

Car ces dernières années, la croissance du pays a été particulièrement portée par les IDE, notamment dans le gaz et le pétrole. En 2023, le Sénégal était même la première destination de l’Uemoa en la matière avec 2,64 milliards de dollars d’investissements. La même année, le voisin ivoirien parvenait à attirer 1,75 milliard de dollars d’investissements étrangers.

La posture souverainiste qui a conduit à réviser les accords signés et privilégier des partenariats gagnant-gagnant n’est pas mauvaise. Mais il ne faut pas que cette stratégie se transforme en un repoussoir d’IDE.

Après les Sénégalais en 2024, c’est au tour des Ivoiriens d’être appelés aux urnes en octobre prochain. Le président sortant, Alassane Ouattara, au pouvoir depuis 2010, n’a pas encore confirmé s’il briguera un nouveau mandat. En face, l’opposition part, pour l’instant, en rangs dispersés et la candidature de Tidjane Thiam, l’un des favoris, n’a pas été retenue. Alors que les scrutins sont souvent des moments de tensions, voire de violence dans le pays, celui-ci fera figure de test pour le système politique et la résilience économique du pays.

« Notre scénario de référence part du principe que les affrontements, s’ils se produisent, ne seront pas d’une ampleur suffisante pour perturber de manière significative la croissance ou l’assainissement budgétaire, et prévoit une large continuité dans l’élaboration des politiques », analysait Fitch Ratings le 31 janvier, en décidant de maintenir, malgré le contexte incertain, la note de crédit de la Côte d’Ivoire.

En clair, contrairement à ce qui s’est passé au Sénégal, l’agence de notation estime que l’élection n’aura pas de conséquences sur l’activité économique du pays.

Gestion des finances publiques: la Côte d’Ivoire remporte la partie (3-1)

Début 2024, Moody’s plaçait les deux pays ex æquo et leur attribuait la même note de crédit: Ba3. Un an plus tard, rien ne va plus pour le Sénégal. L’agence de notation a rétrogradé le pays de trois crans à B3, tandis que Yamoussoukro a vu sa note relevée à Ba2, accordant au pays l’un des meilleurs profils de crédit du continent.

« Ce relèvement reflète la résilience économique de la Côte d’Ivoire, soutenue par une diversification économique croissante, des niveaux de revenus en hausse et des perspectives économiques robustes », justifiait alors Moody’s. Dès l’an prochain, le déficit budgétaire du pays devrait même redescendre en dessous de 3 % du PIB. La dette s’est stabilisée à 58 % du PIB en 2024, avec une projection à 52,7 % d’ici à 2026.

Pendant ce temps-là, au Sénégal, un audit des finances publiques a révélé une « dette cachée » de plus de sept milliards d’euros. À fin décembre 2024, selon le FMI, le déficit budgétaire s’est établi à 11,7 % du PIB tandis que la dette a atteint 105,7 % du PIB. D’ici à la fin de l’année 2025, la dette devrait même atteindre 114 % du PIB, ce qui fait du pays l’un des plus endettés du continent.

« Cette dégradation reflète la perte de confiance des investisseurs internationaux dans la capacité du Sénégal à honorer ses engagements financiers à moyen terme », expliquait récemment l’économiste Seydina Alioune Ndiaye à Jeune Afrique.

Au-delà des chiffres, la situation des finances publiques sénégalaises est un handicap sérieux pour le gouvernement et limite ses marges de manœuvre budgétaire pour les prochaines années. Dans la course à l’émergence, la Côte d’Ivoire a incontestablement pris une longueur d’avance.

Source: JeuneAfrique

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