Côte d’Ivoire, Sénégal, Kenya… Comment nourrir les populations urbaines

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Côte d’Ivoire, Sénégal, Kenya… Comment nourrir les populations urbaines
Côte d’Ivoire, Sénégal, Kenya… Comment nourrir les populations urbaines

Africa-Press – Côte d’Ivoire. Un marché de 1 000 milliards de dollars : c’est ce que devrait représenter l’économie alimentaire – l’ensemble des activités permettant aux individus de se nourrir – en Afrique à la fin de la décennie selon la Banque mondiale. Vivier de création de richesses et d’emplois, ce secteur, qui génère 35 % du PIB en Afrique de l’Ouest d’après l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), joue avant tout un rôle crucial sur le plan de la sécurité et de la souveraineté alimentaires.

Ces dernières années, la croissance démographique et l’urbanisation rapide du continent ont fait des villes les principaux centres de consommation… et lieux de tensions en raison des difficultés d’approvisionnement et des prix élevés qui en découlent. Si nourrir les villes (qui comptaient 472 millions d’habitants en 2015 selon les Nations unies) est un défi, ce le sera encore davantage à l’horizon 2030, quand le continent comptera quelque 760 millions de citadins, contre environ 600 millions aujourd’hui. Comment le relever ? Éléments de réponse.

La question de la gestion alimentaire des villes refait aujourd’hui surface alors que des menaces pèsent à la fois sur l’offre et sur la demande de biens alimentaires. Côté offre, la guerre en Ukraine induit des complications au niveau des exportations de céréales dont plusieurs pays (Égypte, Algérie, Maroc, Nigeria, entre autres) sont dépendants, alors que les sécheresses à répétition réduisent les récoltes locales, en particulier dans l’est (victime en outre d’invasions de criquets) et l’ouest du continent.

Lier le champ à l’assiette
Côté demande, le choc provoqué par la pandémie de Covid-19 et l’inflation généralisée qui en résulte réduisent le pouvoir d’achat de nombreux foyers, contraints de tailler dans leur premier poste de dépenses, l’alimentation, qui représente 44 % du budget en zone urbaine sur le continent, selon l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture.

Près de 18 millions de personnes sont en situation de grave insécurité alimentaire en Afrique de l’Ouest, un record depuis 2014, a indiqué en mai le Programme alimentaire mondial (PAM). À ce contexte tendu s’ajoute un autre écueil : le manque de connexions entre zones de production et zones de consommation. « La production seule ne suffit pas à nourrir les villes, il faut aussi assurer toute la chaîne d’approvisionnement pour lier le champ à l’assiette », note Philipp Heinrigs, économiste à l’OCDE et spécialiste des systèmes alimentaires ouest-africains.

Or, en la matière, les obstacles sont légion : infrastructures de transport manquantes ou de piètre qualité, nombre limité de convoyeurs, carences des réseaux de distribution, barrières douanières, insécurité… « Il en résulte des coûts de transport élevés, répercutés sur le tarif des produits, ce qui explique que les denrées alimentaires en Afrique de l’Ouest sont parmi les plus chères du monde à niveau équivalent de revenus par habitant », constate Gaëlle Balineau, économiste à l’Agence française de développement (AFD) et experte des filières agroalimentaires.

Structurer l’activité marchande
Face à cette réalité, la tâche des villes est colossale, leur réponse ne pouvant s’inscrire que dans une politique globale incluant : soutien à la production, investissement dans les transports, régulation des points de vente, mise en œuvre de normes sanitaires et lutte contre le gaspillage. Cette approche, qui se double de la nécessité d’entretenir le dialogue avec l’ensemble des acteurs, est celle portée par le Pacte de Milan, une initiative engagée en 2015 et réunissant 200 villes dans le monde, dont 35 en Afrique, en faveur d’une politique alimentaire urbaine durable.

Outre les bonnes pratiques, ce pacte promeut une série de projets de consolidation des systèmes alimentaires locaux : microjardins assurant un revenu aux habitants les plus pauvres de Dakar, formation des vendeurs informels d’Abidjan à des standards de qualité afin de moderniser l’activité marchande. Les deux villes ont été, avec Nairobi, membres du comité de pilotage du Pacte entre 2019 et 2021.

LA GRANDE DISTRIBUTION A UN RÔLE CLÉ À JOUER POUR BOOSTER L’AGRICULTURE URBAINE.

Pour beaucoup, la solution réside aussi dans l’essor de l’agriculture urbaine, c’est-à-dire le fait de cultiver (principalement des fruits et des légumes frais) au sein des villes ou à leurs portes. C’est déjà le cas à Casablanca, Abidjan, Lomé et Ouagadougou, entre autres. Si la pratique des jardins urbains suppose que l’on résiste à la pression des promoteurs immobiliers, elle est bénéfique à plusieurs titres : elle permet de fournir des produits à valeur ajoutée à des consommateurs en demande, tout en assurant un moyen de subsistance à des cultivateurs urbains défavorisés.

Sans oublier qu’en augmentant et diversifiant la production agricole nationale, elle contribue à réduire les importations. « Si les pouvoirs publics peuvent aider en investissant notamment dans la chaîne du froid, la grande distribution, en faisant le lien entre producteurs et clients, a aussi un rôle clé à jouer pour booster l’agriculture urbaine », avance Ollo Sib, analyste du PAM pour l’Afrique centrale et l’Afrique de l’Ouest.

Rôle positif de la Zlecaf
Plusieurs autres villes – dont Abuja, Bouaké et Cotonou – mettent encore l’accent sur la modernisation des marchés, rappelant qu’ils demeurent le principal lieu d’achat des produits alimentaires (pour plus de 90 % de la nourriture dans les villes ouest-africaines, selon l’OCDE). Si, seule, elle ne suffit pas, cette stratégie – qui vise à générer des recettes à travers la fiscalisation des vendeurs – peut néanmoins aider à réguler les flux de marchandises, à améliorer la qualité des produits, à structurer l’activité marchande et à réduire les pertes.

Autrement dit, c’est encore un moyen de consolider l’économie alimentaire – premier pourvoyeur d’emplois avec 66 % du total en Afrique de l’Ouest selon l’OCDE – en la formalisant et en la professionnalisant. Cette action est souvent menée de pair avec un renforcement des normes d’hygiène. « Le Ghana a fait beaucoup d’efforts sur ce point, comme en témoignent les nombreux contrôles menés dans plusieurs villes, dont Accra et Koumassi », reprend Ollo Sib, déplorant toutefois le peu de progrès sur ce volet dans la majorité des autres villes ouest-africaines.

Des tendances de fond jouent enfin de façon positive. La Zone de libre-échange africaine (Zlecaf), en levant les obstacles aux échanges transfrontaliers, ne pourra que faciliter l’approvisionnement des marchés. Les nouvelles technologies, utilisées pour la production, la distribution et la commercialisation, permettent déjà de connecter plus rapidement et à moindre coût les zones rurales aux zones urbaines. Les investissements annoncés dans la chaîne du froid ouvrent la voie à une consolidation des filières agricoles. Autant de solutions à combiner et à décliner au niveau local.

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