En Côte d’Ivoire, la Cour des comptes met Snedai dans la tourmente

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En Côte d’Ivoire, la Cour des comptes met Snedai dans la tourmente
En Côte d’Ivoire, la Cour des comptes met Snedai dans la tourmente

Baudelaire Mieu

Africa-Press – Côte d’Ivoire. Le groupe fondé par l’actuel président de l’Assemblée nationale, Adama Bictogo, se retrouve épinglé par l’institution chargée de contrôler la gestion des comptes publics. Une mise en cause dont l’entreprise se défend aujourd’hui.

À peine quelques mois après le scandale des détournements de fonds à plusieurs millions d’euros, le groupe ivoirien Snedai se retrouve empêtré dans une nouvelle affaire. Le dernier rapport de la Cour des comptes, rendu public au début de janvier, s’avère explosif pour la Société nationale d’édition de documents administratifs et d’identification, fondée par l’homme d’affaires Adama Bictogo, cacique du pouvoir et actuel président de l’Assemblée nationale. Au cœur de la polémique ? La gestion des fonds issus des passeports et visas dont Snedai Côte d’Ivoire est titulaire du contrat de concession de service publique depuis 2008.

Dans son rapport sur l’exécution de la loi de finances en vue du règlement du budget 2023, l’institution chargée de surveiller la gestion des finances publiques de l’État s’inquiète d’un problème relatif à la collecte des taxes sur la délivrance des passeports et des cartes d’identité.

Le ministère du Budget et du Portefeuille de l’État, tenu à l’époque par Moussa Sanogo, y est ainsi épinglé à propos de l’absence de traçabilité de la quote-part de l’État, laquelle s’élève à 20 000 F CFA (30,5 euros), droits de timbre inclus – à noter que les frais de timbre ont été fixés à 15 000 F CFA par l’ordonnance signée par Laurent Gbagbo en 2009 et qui encadre légalement le contrat de concession.

Pour 2022, les comptes de l’État au Trésor affectés aux droits perçus sur les cartes d’identité et les passeports n’affichaient qu’un total de 792 000 F CFA, soit le montant des droits fiscaux perçus pour… une cinquantaine de passeports. Une bien faible collecte donc, qui a alarmé l’institution.

Snedai « n’a pas accès aux fonds »

Avant la sortie dudit rapport de la Cour des comptes, Moussa Sanogo avait fait valoir auprès de l’institution des prérogatives dont disposaient Snedai, le concessionnaire, au titre de la perception des paiements des demandeurs de passeports. Dans certaines conventions conclues entre l’État et des sociétés privées, les fonds destinés à l’État ne sont en effet pas reversés directement au Trésor, mais peuvent transiter par une banque commerciale.

Dès son accession au pouvoir en 2011, Alassane Ouattara avait pourtant constaté une grande déperdition des fonds publics et une multitude de comptes bancaires dont le contrôle échappait à l’État. En 2014, une réforme a été engagée pour l’unicité des caisses de l’État au Trésor, mais des ministres ont institué quelques exceptions.

Le 3 janvier, Snedai Côte d’Ivoire s’est défendu, par voie de communiqué, expliquant qu’« un compte de séquestre a été ouvert au nom de l’État dans les livres de deux établissements financiers nationaux de premier rang afin d’y reverser les droits de délivrance de passeports ivoiriens et visas d’entrée en Côte d’Ivoire collectés par Snedai Côte d’Ivoire ». Et de préciser qu’il « n’a pas accès aux fonds logés sur lesdits comptes séquestres, dont l’État demeure le seul et unique titulaire ».

« Les droits de l’État sont virés directement une fois que le requérant paie les frais à la banque. Notre rémunération est de 2 000 F CFA par passeport, alors que nous produisons en moyenne 250 000 titres par an », abonde une source au sein de Snedai, rappelant la bonne foi et la probité de l’entreprise. Pour l’heure, l’identité des signataires sur les deux comptes en question reste inconnue.

Deux établissements bancaires sont cités dans l’ordonnance de 2009 pour faire transiter le paiement des frais de timbre: les filiales locales de Cobaci (désormais Banque Atlantique) et d’Ecobank. Cette dernière a d’ores et déjà réagi à l’affaire en annonçant, dans un communiqué daté du 4 janvier, la « suspension temporaire des paiements des frais de passeport, visas et cartes de séjour », aussi bien dans ses agences que sur son application mobile.

Le gouvernement se défend

Dans le dispositif, les demandeurs de passeport paient, auprès de l’un des deux établissements bancaires, un droit fixe de 40 000 F CFA, avec une clé de répartition bien définie. « Pour financer les investissements pour le déploiement de la logistique [de son système de titres d’identité], Snedai avait contracté de la dette auprès de ces mêmes banques. Dans la structuration, l’entreprise devait domicilier ses revenus dans ses banques », explique un proche du dossier.

En décembre 2007, lors de la signature du contrat de concession pour une durée de quinze ans sous forme de Built, operate and transfer (BOT), Snedai avait prévu d’investir 60 millions d’euros, principalement en dette, et les études de marché tablaient sur une production de 200 000 passeports par an, soit 3 millions de pièces d’identité sur toute la période. De leur côté, les services de la police des airs et des frontières estimaient que 700 000 titres seraient émis. Pour ce faire, l’entreprise devait construire dix sites d’enrôlement pour demandeurs. Mais aujourd’hui, Snedai n’en compte que cinq, tous situés à Abidjan.

Dans la soirée du 4 janvier, le gouvernement a réagi par un communiqué commun des ministres des Finances, Adama Coulibaly, et de l’Intérieur, Vagondo Diomandé, expliquant qu’« un compte dédié a été ouvert dans une banque [et qui] est régulièrement alimenté pour le recouvrement de la part fiscale revenant à l’État ». Les 792 000 F CFA mentionnés par la Cour des comptes représentent par ailleurs « uniquement les droits de demande en ligne, de visa d’entrée en Côte d’Ivoire, acquittés par des requérants à leur arrivée à l’aéroport international d’Abidjan ».

En 2023, l’entreprise créée par Adama Bictogo – dont il a dû céder les rênes pour accéder la présidence de l’Assemblée – a été au cœur de deux autres scandales: l’un portant sur un détournement en son sein à hauteur de plus de 1,6 milliard de F CFA, conduisant l’actionnaire principal à réorganiser la direction du groupe et de certaines filiales. Le second scandale portait, lui, sur une fraude à la nationalité et aux passeports, pour laquelle la responsabilité de Snedai n’a jamais été démontrée.

Article mis à jour à 9 h 58 avec des précisions concernant l’unicité des caisses de l’État.

Source: JeuneAfrique

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