« Les systèmes semenciers traditionnels sont très importants, en particulier en Afrique »

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« Les systèmes semenciers traditionnels sont très importants, en particulier en Afrique »
« Les systèmes semenciers traditionnels sont très importants, en particulier en Afrique »

Propos recueillis par Espoir Olodo et Moutiou Adjibi Nourou

 

Africa-Press – Côte d’Ivoire. Les semences, au cœur des systèmes alimentaires, soutiennent une chaîne de valeur de 3 000 milliards de dollars. Face aux défis posés par le changement climatique, ce secteur est devenu crucial pour garantir la sécurité alimentaire. Dans ce contexte, l’Afrique, confrontée à la nécessité de renforcer sa résilience agricole et son autosuffisance alimentaire, cherche sa place dans un marché mondial des semences en constante évolution. Pour cela, le continent s’appuie sur divers partenaires, dont la Fédération internationale des semences (ISF), fondée officiellement en 2002 mais active depuis 1924. Son président, Arthur Santosh Attavar, s’est exprimé auprès de l’Agence Ecofin sur la vision de l’institution pour l’Afrique.

Agence Ecofin: Qu’est-ce que la Fédération internationale des semences et quel modèle d’agriculture l’organisation promeut-elle ?

Arthur Santosh Attavar: L’ISF est la voix du secteur mondial des semences, avec 100 ans d’histoire. Nous représentons 80 associations nationales de semences qui, à leur tour, représentent des dizaines de milliers d’entreprises semencières dans le monde, allant de l’entreprise familiale à la multinationale, ce qui équivaut à 96 % du commerce international des semences. L’ISF s’engage auprès d’organisations et de processus internationaux, plaidant en faveur de l’innovation en matière de sélection végétale, de l’harmonisation des réglementations commerciales et phytosanitaires, et de l’accès aux semences, afin de garantir un secteur semencier mondial diversifié, résilient et compétitif, qui profite à la fois aux producteurs et aux consommateurs.

L’ISF promeut un modèle d’agriculture durable qui intègre les dernières technologies, la diversité des semences, une bonne gestion de l’environnement et la responsabilité sociale. En se concentrant sur le développement de semences de qualité, en encourageant le commerce mondial et en plaidant pour des réglementations et des politiques basées sur des informations scientifiques solides, alignées sur les accords internationaux et harmonisées entre les différents gouvernements, nous visons à soutenir les besoins de tous les agriculteurs, y compris les petits exploitants, tout en garantissant la sécurité alimentaire et la croissance économique, en particulier dans les pays en développement où l’accès à des semences de qualité est plus difficile.

AE: Le continent africain accuse toujours un retard important dans le commerce mondial des semences. Quelle place tient-elle actuellement dans les initiatives de l’organisation ?

ASA: L’Afrique est une priorité constante pour l’ISF, qui s’efforce de construire et de renforcer les systèmes semenciers, les cadres commerciaux et l’accès aux semences de qualité pour les pays du continent. Les nations africaines souffrent de manière disproportionnée des impacts du changement climatique, et nous travaillons avec diverses parties prenantes pour aider à stimuler la productivité agricole et la résilience climatique dans la région en soutenant la réforme des politiques et en encourageant les investissements du secteur privé dans le développement des semences. Deux exemples concrets sont l’initiative conjointe G7+OCDE récemment lancée pour renforcer la certification des semences en Afrique, dans laquelle l’ISF est un partenaire de mise en œuvre, et le projet Seed Resilience de l’ISF au Rwanda, qui vise à faciliter l’accès à des semences de haute qualité, ainsi qu’à une formation sur les bonnes pratiques agricoles (BPA).

AE: Sur le continent, les systèmes de semences des petits exploitants dominent. Contrairement à d’autres régions, les agriculteurs africains se procurent principalement leurs semences à partir des récoltes précédentes. Quelle importance l’ISF accorde-t-elle à ces systèmes traditionnels ?

ASA: Les systèmes semenciers traditionnels sont très importants, en particulier en Afrique où les petits exploitants agricoles en dépendent. Nous soutenons ces pratiques traditionnelles tout en favorisant l’accès aux semences améliorées, car la coexistence de ces systèmes avec les innovations modernes fait partie intégrante de l’amélioration de la sécurité alimentaire et des moyens de subsistance des agriculteurs, ainsi que de la diversité des cultures. En fin de compte, nous pensons que les agriculteurs devraient avoir le choix des semences afin de pouvoir sélectionner les meilleures semences pour répondre à leurs besoins.

Il est vrai, cependant, qu’il reste beaucoup à faire pour assurer l’égalité d’accès aux semences de qualité sur le continent. C’est pourquoi nous travaillons avec Fair Planet pour mettre en place des systèmes de semences résistants au Rwanda, à travers le projet Seed Resilience. Notre projet testera les dernières variétés de légumes, de légumineuses, de pommes de terre et de céréales afin d’identifier celles qui conviennent le mieux aux conditions agro-écologiques du Rwanda. On estime que 84 000 agriculteurs rwandais recevront ensuite une formation et auront accès à des semences de haute qualité au cours des cinq prochaines années. Cette approche a déjà fait ses preuves en Éthiopie, où 75 000 petits exploitants ont triplé leur production de légumes.

AE: Malgré l’importance du secteur agricole sur le continent, le marché africain des semences n’en est qu’à ses débuts et attire plusieurs multinationales comme Bayer, ChemChina… Comment l’ISF se positionne-t-elle face à cette tendance qui, selon certains, menace la diversité des semences traditionnelles sur le continent ?

ASA: Avec le changement climatique, l’augmentation de la faim et les conflits en cours dans le monde, le choix des semences pour les agriculteurs, en particulier en Afrique, est de plus en plus limité. Les multinationales et les sociétés semencières, en général, apportent des technologies de pointe importantes et contribuent à élargir le choix des semences pour les agriculteurs. Cela signifie qu’un agriculteur a accès aux semences dont il a besoin pour s’adapter à son contexte.

Un secteur semencier privé dynamique est essentiel non seulement pour offrir un choix de semences, mais aussi pour encourager les partenariats public-privé en Afrique. Ces partenariats sont essentiels pour la recherche agricole, afin que les institutions publiques et le secteur privé puissent tirer parti de leurs atouts complémentaires pour développer des variétés de cultures améliorées qui répondent aux besoins des agriculteurs et des communautés locales. Les partenariats sont également importants pour s’assurer que ces variétés atteignent les agriculteurs par le biais de programmes de vulgarisation et d’activités de renforcement des capacités.

Le continent africain est et restera un moteur de la sécurité alimentaire mondiale. Grâce à un meilleur choix de semences, il pourra bénéficier de variétés performantes et résistantes au climat.

AE: Dans votre dernier rapport, vous soulignez un appel mondial à construire un secteur semencier collaboratif et durable qui offre des produits de qualité, résilients et accessibles aux pays à faible et moyen revenu. Quel rôle joue l’ISF dans la recherche agricole, en particulier en Afrique, et comment l’ISF collabore-t-elle avec les organisations régionales de recherche, les gouvernements ou les groupes d’agriculteurs en Afrique ?

ASA: Le projet Seed Resilience de l’ISF au Rwanda est un bon exemple de la manière dont nous travaillons en partenariat avec les institutions et les acteurs locaux pour favoriser l’accès à des produits semenciers de qualité, résilients et accessibles dans les pays à revenu faible et intermédiaire, et dont nous encourageons les innovations qui s’attaquent de front aux défis locaux. Dans le cadre de ce projet, nous menons des essais sur différentes variétés de semences afin d’identifier celles qui conviennent le mieux aux conditions climatiques locales, nous démontrons ces progrès aux agriculteurs locaux et nous établissons une relation de confiance avec eux dans le processus. Non seulement des milliers d’agriculteurs bénéficieront de ce projet, mais les communautés locales seront également touchées par l’amélioration de la sécurité alimentaire.

Au niveau mondial, notre partenariat avec le CGIAR, le plus grand partenariat de recherche agricole au monde, vise précisément à remédier à la faible productivité agricole résultant de l’adoption insuffisante de variétés améliorées et de l’accès limité à des semences de qualité en Afrique et ailleurs. En tirant parti de notre expertise et de nos ressources complémentaires, notre objectif est de faire en sorte que les agriculteurs des pays à revenu faible et intermédiaire puissent avoir accès à des variétés améliorées à haut rendement et augmenter leur productivité agricole, même face aux extrêmes climatiques et à d’autres chocs, en promouvant des pratiques agricoles durables et résilientes.


AE: En Afrique, les réseaux d’agriculteurs font circuler le matériel génétique, favorisant le développement de variétés adaptées aux conditions locales et à la diversité des cultures. De nombreuses organisations craignent que la recherche sur les semences hybrides et modernes ne convienne pas à ces systèmes, car ces semences ne peuvent pas être replantées. Quelle est votre position sur cette question ?

ASA: Il est important de préserver les pratiques culturelles et de soutenir la propriété communautaire des bibliothèques et des banques de semences, tout en favorisant l’accès à des variétés végétales améliorées telles que les hybrides. Ces systèmes sont complémentaires: différentes méthodes agricoles peuvent coexister, au grand bénéfice des communautés environnantes. Les semences hybrides présentent des avantages potentiels évidents, notamment des rendements plus élevés et une résistance aux maladies, ce que de nombreux agriculteurs africains comprennent, mais la conservation de la diversité génétique et des pratiques traditionnelles de conservation des semences, qui ont été transmises par des générations d’agriculteurs, est également d’une grande importance à mesure que les systèmes de semences se développent au fil du temps. En fait, ces systèmes complémentaires existent partout dans le monde et nos membres ont renforcé les capacités de nombreux pays en matière de production de semences et de production alimentaire pour les cultures légumières et les grandes cultures, en utilisant à la fois des variétés traditionnelles et des variétés améliorées.

Source: agenceecofin

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