Africa-Press – Côte d’Ivoire. Les espèces qui vivent dans des environnements extrêmes développent souvent des adaptations uniques pour survivre. Le killi turquoise, de son nom scientifique Nothobranchius furzeri, vit dans des étangs au Zimbabwe et au Mozambique qui s’assèchent entièrement pendant 8 mois de l’année.
Afin de survivre à cette sécheresse, l’espèce a développé un mode de vie bien particulier. Les poissons adultes ont une très courte vie de six mois en moyenne et se reproduisent le plus vite possible pendant la saison des pluies, quand les étangs sont encore remplis. Quand viennent ensuite les mois de sécheresse, les embryons sont laissés dans la boue, attendant que l’eau revienne.
Ils entrent à ce moment-là dans un état où le métabolisme ralentit, la diapause. Certains organes essentiels déjà en développement continuent de fonctionner, mais à un rythme considérablement réduit. Ils survivent ainsi pendant des mois, voire des années, en laboratoire, sans aucun compromis détectable pour leur future vie d’adulte.
Si le phénomène de diapause chez ces poissons a été documenté par le passé, on ne comprenait toujours pas son origine. Une nouvelle étude, publiée le 28 mai dans la revue Cell, dévoile maintenant les mécanismes responsables de cette diapause.
Une des diapauses embryonnaires les plus extrêmes chez les vertébrés
Le mécanisme de diapause embryonnaire existe également chez d’autres espèces de vertébrés, notamment certains reptiles et poissons et chez certains mammifères comme les ours, les chevreuils ou les souris. Cependant, le killi turquoise représente un cas extrême de diapause en termes de durée et de complexité.
« Cela arrive à peu près au milieu du développement, et de nombreux organes sont déjà formés à ce stade – ils ont un cerveau en développement et un cœur qui s’arrête de battre pendant la diapause et qui reprend ensuite », explique l’auteur principal, Param Priya Singh, de l’Université de Californie à San Francisco, dans un communiqué de presse. « Le killi turquoise est la seule espèce de vertébrés que nous connaissons qui peut subir une diapause aussi tardive dans son développement ».
Une « réutilisation » de gènes qui ont plus de 473 millions d’années…
Pour comprendre comment l’état de diapause est apparu chez le killi turquoise, les chercheurs se sont demandés quand, au cours de l’évolution, les gènes utilisés pour déclencher la diapause sont apparus. Ils se sont ainsi penchés sur l’étude des paralogues du génome des killi, des « copies » d’un gène qui évoluent au fil du temps, permettant potentiellement d’accomplir finalement de nouvelles fonctions. Ces paralogues peuvent aider à déterminer l’origine évolutive précise de certains gènes.
Les chercheurs ont alors identifié 6247 paires de paralogues qui présentaient des fonctions spécifiques à la diapause. Ils ont estimé que la plupart des gènes spécialisés dans la diapause étaient des paralogues « très anciens », apparus il y a plus de 473 millions d’années, même si la diapause est apparue relativement récemment chez ces poissons (il y a 18 millions d’années).
… et qui sont communs à tous les vertébrés
« Nous avons découvert que la plupart des gènes spécialisés dans la diapause chez le killi turquoise sont des paralogues très anciens, ce qui signifie qu’ils ont été dupliqués au niveau de l’ancêtre commun de tous les vertébrés », remarque de son côté la biologiste moléculaire Anne Brunet de l’Université de Stanford, co-auteure de l’étude. Pour voir si de tels paralogues spécialisés existent chez d’autres mammifères, les chercheurs ont étudié l’expression de paralogues pendant la diapause embryonnaire chez la souris domestique, Mus musculus.
Les résultats d’une analyse comparative ont montré que les paralogues de ces souris sont également très anciens et partagés par tous les autres vertébrés. « Cela suggère que les mêmes mécanismes qui permettent la diapause ont été cooptés à plusieurs reprises pour l’évolution de la diapause chez des espèces très éloignées », explique Param Priya Singh.
Dans l’étude, les chercheurs expliquent que les paralogues se spécialisent en réponse à un environnement difficile, par exemple un manque temporaire de nourriture, des températures extrêmes ou d’autres changements, mais que globalement, les mécanismes par lesquels la divergence de paralogues contribue à l’évolution d’adaptations complexes sont encore mal compris.
« L’un des éléments clés de la diapause est le métabolisme lipidique »
Les chercheurs ont également étudié comment ces gènes spécialisés dans la diapause sont régulés chez le killi turquoise. Ils ont identifié plusieurs facteurs de transcription nécessaires à la diapause (des protéines qui contrôlent l’activité des gènes), notamment REST et FOXO3, dont on sait qu’ils sont également exprimés pendant l’hibernation chez les mammifères.
Les chercheurs ont montré que REST et FOXO3 modulaient des gènes impliqués dans des fonctions telles que le métabolisme des lipides. Lors de la diapause, les lipides sont stockés comme source d’énergie essentielle pour maintenir les fonctions vitales de l’organisme. « L’un des éléments clés de la diapause est ce métabolisme lipidique si particulier, assure Anne Brunet. Pendant la diapause, les niveaux de triglycérides et d’acides gras à très longue chaîne semblent être beaucoup plus élevés, ce qui constitue une forme de stockage et contribue peut-être à la protection à long terme des membranes de l’organisme ».
Les chercheurs prévoient de continuer à étudier la manière dont les différentes espèces régulent la diapause et d’approfondir le rôle du métabolisme des lipides pendant celle-ci. « Il s’agit d’un état tellement complexe que je pense que nous ne faisons qu’effleurer la surface », a déclaré M. Singh.
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