« Khaled Drareni, journaliste, numéro d’écrou 22 244 », un documentaire hommage

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« Khaled Drareni, journaliste, numéro d’écrou 22 244 », un documentaire hommage
« Khaled Drareni, journaliste, numéro d’écrou 22 244 », un documentaire hommage

Africa-PressCôte d’Ivoire. Khaled Drareni passera mercredi 3 février son 314e jour en détention à la prison d’El-Koléa, à l’ouest d’Alger. Devenu une épine dans le pied du pouvoir algérien, le journaliste a été condamné en appel à deux ans de prison ferme pour « incitation à un attroupement non armé et atteinte à l’intégrité du territoire national » le 15 septembre 2020. La chaîne TV5 Monde, dont il était le correspondant, lui rend hommage dans un documentaire de 26 minutes, diffusé les 6 février, à 20 heures, et disponible en ligne dès mercredi : Khaled Drareni, journaliste, numéro d’écrou 22 244, réalisé par Guillaume Villadier et Séverine André.

Lorsqu’il est arrêté, le 7 mars 2020, Khaled Drareni couvre une manifestation du Hirak, le soulèvement populaire qui a secoué l’Algérie pendant plus d’un an, jusqu’à sa suspension en raison de la pandémie de nouveau coronavirus. Le journaliste, qui a fait carrière dans l’audiovisuel public puis privé, suit ces marches depuis février 2019, notamment pour la chaîne TV5 Monde. Egalement présent à travers ses directs sur les réseaux sociaux, il est une figure familière des manifestations.

En avril 2019, l’ancien chef de l’Etat Abdelaziz Bouteflika est balayé par le Hirak, mais, au fil des mois, la situation se tend entre le régime, qui veut imposer son agenda pour se maintenir au pouvoir, et la rue, qui réclame une transition politique. Alors que l’espace audiovisuel du pays se ferme à toute opposition, les journalistes et les médias indépendants deviennent gênants.

« Mouchard »

Interpellé chez lui à trois reprises et convoqué par la Direction générale de la sécurité intérieure (qui dépend de l’armée), Khaled Drareni se voit intimer l’ordre de mettre fin à ses activités et de s’abstenir de couvrir les manifestations comme les activités de l’opposition politique et associative.

« Pour cet Etat, ce système, un journaliste libre est un criminel. Moi je suis fier d’être un journaliste libre et un criminel. Et je continuerai à faire mon travail de journaliste en toute indépendance »,

affirme-t-il au sortir d’une énième garde à vue en marge d’une manifestation qu’il couvrait dans la capitale. Il paiera quelques semaines plus tard son refus de se plier aux injonctions des hommes du général Ouassini Bouazza, alors tout-puissant patron du contre-espionnage. Le régime n’oublie rien. Et il ne pardonne rien à ceux qui ont eu l’irrévérence de lui apporter la contradiction. Dont Khaled Drareni, dans le collimateur depuis des années.

« Tu veux être une star ? Tu vas voir… »,

l’avait déjà « prévenu », en avril 2014, Abdelmalek Sellal, alors premier ministre, après une interview mouvementée sur le plateau de la télévision privée Dzair TV. Khaled Drareni sera débarqué de cette chaîne où il animait l’une des émissions phares.

Pourtant, et malgré quinze ans de carrière, il n’est pas « journaliste », assure le ministre de la communication, Amar Belhimer, pour justifier son emprisonnement. La loi algérienne ne permettant pas de détenir un journaliste, les autorités n’ont cessé de lui contester sa qualité professionnelle. Même si M. Belhimer avait lui-même été l’invité de Khaled Drareni dans une nouvelle émission qu’il présentait en 2016.

Venu sur son plateau la même année en tant que ministre de l’habitat, un certain Abdelmadjid Tebboune lui affirme alors qu’« Abdelaziz Bouteflika restera dans l’Histoire ». Elu à la tête de l’Etat après une présidentielle contestée et boycottée en décembre 2019 par la population, M. Tebboune qualifiera Khaled Drareni de « mouchard » après son accession au pouvoir.

« Un double combat »

Un autre pan de l’histoire est convoqué par un invité de M. Drareni : Emmanuel Macron. Interrogé en février 2017 par le journaliste, le futur président français reconnaît que le « colonialisme » est un « crime contre l’humanité ».

« Khaled Drareni a interviewé Macron et lui a arraché un aveu que nos politiques n’ont jamais réussi à obtenir d’un responsable français. Au lieu de l’honorer, on le jette en prison »,

s’exclame l’avocat Me Abdelghani Badi lors du procès en appel. Début 2020, trois journalistes sont en détention en Algérie. Pendant que Khaled Drareni manifeste pour soutenir ses collègues, certains lui reprochent son manque de neutralité. Il s’en explique et assume : « Non seulement on doit faire notre travail de journaliste, mais, en même temps, on doit se battre pour la liberté de la presse et la liberté d’expression. Nous n’avons pas qu’un seul combat comme dans les grandes démocraties, mais un double combat. »

Après 314 jours en prison, celui qu’on a voulu faire taire est devenu le journaliste algérien le plus connu à l’étranger et un symbole de la dégradation des libertés dans le pays. Le 25 février, le Cour suprême examinera son pourvoi en cassation. L’ultime recours déposé par ses défenseurs.

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