La première seconde de l’Univers : le moment où l’inflation cosmique impose sa loi

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La première seconde de l'Univers : le moment où l'inflation cosmique impose sa loi
La première seconde de l'Univers : le moment où l'inflation cosmique impose sa loi

Africa-Press – Côte d’Ivoire. 10-35 seconde: l’inflation cosmique impose sa loi. L’Univers émergeait tout juste du Big Bang lorsqu’un phénomène d’une ampleur inouïe l’a bouleversé en profondeur: l’inflation cosmique. Elle s’est déclenchée environ 10-35 seconde après le Big Bang. La taille de l’Univers observable, alors bien plus petite que le noyau d’un atome, s’est trouvée tout à coup multipliée par un facteur 1026, au moins. Pour se représenter un tel étirement, il faut imaginer le rayon d’un atome, 10-10 mètre, mesurant tout à coup une année-lumière, soit le quart de la distance qui nous sépare de l’étoile la plus proche. Et tout cela en 10-32 seconde !

C’est beaucoup plus rapide que la vitesse de la lumière. Mais les lois de la physique ne sont pas violées, car seules la matière et l’énergie ne peuvent pas dépasser la vitesse de la lumière. Tandis qu’au cours de l’inflation, c’est la trame même de l’espace et du temps qui s’est dilatée follement… Mais quelle mouche avait donc pu piquer les Américains Alan Guth et Paul Steinhardt et les Russes Andreï Linde et Alexeï Starobinski pour émettre une telle hypothèse, à l’orée des années 1980 ?

“Historiquement, l’inflation est censée résoudre les problèmes posés par la théorie du Big Bang qui s’impose dans les années 1960, explique Vincent Vennin, physicien à l’École normale supérieure de Paris. Elle répondait notamment à deux questions: pourquoi l’Univers est-il plat ? Et pourquoi est-il homogène, ce que l’on appelle le problème de l’horizon. Depuis les années 1980, d’autres explications ont émergé pour les résoudre, mais je considère, comme la majorité des cosmologistes, que l’inflation demeure la meilleure. ”

Trouver le mécanisme répulsif qui contrecarre la gravitation

Pour comprendre comment l’inflation est à la manœuvre, prenons l’exemple de l’homogénéité que l’on peut résumer ainsi: l’Univers observable est aujourd’hui si vaste – son rayon est d’environ 46 milliards d’années-lumière – qu’il comporte des zones trop éloignées les unes des autres pour que la lumière ait eu le temps de voyager entre elles depuis le Big Bang. Autrement dit, elles n’ont jamais pu échanger d’informations ni quoi que ce soit, puisque rien ne va plus vite que la lumière.

“Elles ne devraient donc pas se ressembler, souligne Vincent Vennin. Car il n’y a aucune raison que l’Univers soit homogène sur des distances plus grandes que la distance maximale parcourue par la lumière. Or, les observations de l’Univers lointain réalisées dans les années 1970 ont montré au contraire qu’il était très homogène, avec partout la même densité de matière, d’énergie, le même nombre de galaxies, avec les mêmes propriétés, etc. D’où l’idée de cette phase d’expansion très accélérée, l’inflation, qui, en dilatant l’Univers bien plus vite que la vitesse de la lumière, a permis que des régions autrefois en contact soient désormais très éloignées les unes des autres.”

Cette hypothèse drastique ne fait guère l’unanimité à l’époque, car si elle a le mérite de résoudre l’intriguant problème de l’horizon, elle en pose un autre: l’Univers à grande échelle est régi par la force de gravité. Elle est attractive. On ne s’attendrait donc pas à ce que l’Univers se dilate éperdument… Quel mécanisme répulsif pouvait ainsi contrecarrer la gravitation ? Pour l’imaginer, il fallait une révolution conceptuelle.

“Dès les années 1980, les cosmologistes ont compris que considérer l’Univers sous l’emprise de la seule gravitation était une vision finalement très ‘classique’. Ce serait vrai s’il était composé de particules dotées d’une masse. Mais à sa naissance, l’Univers possède une énergie si considérable que la matière ne peut plus être décrite en termes de particules. Il faut utiliser la notion de champs, plus précisément des champs quantiques. Or, avec ces entités, il est possible de concevoir un phénomène répulsif…”, détaille Vincent Vennin Un champ quantique est aux particules ce qu’un lac serait aux molécules d’eau.

Un lac occupe une région de l’espace, et tout objet se trouvant dans le même espace que lui subira l’action des molécules d’eau. En clair, il sera mouillé ! De la même façon, un champ quantique confère à l’espace qu’il occupe des propriétés particulières, propres à la particule (photon, électron, muon, boson de Higgs…) qu’il incarne. Toute comme les molécules d’eau sont indiscernables dans le lac, ces particules sont fondues dans le champ. Mais derrière cette tentative pour visualiser la théorie des champs quantiques, il faut surtout retenir que la matière à haute énergie est décrite par des champs qui sont un tout autre objet que des particules.

Ainsi, dès 1980, Alan Guth fait l’hypothèse que l’Univers juste après le Big Bang baigne dans un champ scalaire. Pour se représenter ce qu’est un champ scalaire, une simple carte météo suffit. Elle fait correspondre à chaque ville une température. De la même façon, un champ scalaire fait correspondre un nombre en chaque point de l’espace. Dans le cas qui nous concerne – l’inflation -, l’Univers est ainsi baigné d’un champ scalaire qui se manifeste sous la forme d’une particule nommée opportunément “inflaton”.

Sébastien Renaux-Petel, cosmologiste à l’Institut d’astrophysique de Paris, nous le présente: “Le champ d’inflatons fait correspondre en tout point de l’espace une densité d’énergie. Cette densité se décompose en une énergie cinétique et une énergie potentielle. Prenons l’exemple d’une balançoire pour distinguer les deux. L’énergie potentielle est maximum lorsque la balançoire est en haut, et son énergie cinétique minimale. Lorsqu’elle est au plus bas, son énergie cinétique est maximale et son énergie potentielle nulle. Le balancement correspond à une conversion de l’énergie potentielle en énergie cinétique, et réciproquement.”

La chasse à l’inflaton est ouverte

L’inflation va se déclencher pour une raison en apparence toute simple: juste après le Big Bang, l’énergie potentielle de l’inflaton est supérieure à son énergie cinétique. Ce qui sera lourd de conséquences, comme l’explique Sébastien Renaux-Petel. “Pour comprendre, il faut ajouter une notion fondamentale en physique des champs: la pression exercée par l’énergie, qui est la différence entre l’énergie cinétique et l’énergie potentielle. Comme l’énergie potentielle est supérieure à l’énergie cinétique, alors cette pression est négative. Or, Albert Einstein a démontré avec la théorie de la relativité générale que la matière et l’énergie influent sur la dynamique de l’espace-temps. Et d’après les équations de la relativité, cette densité d’énergie à pression négative dilate l’espace-temps… ”

Voilà donc pourquoi l’Univers va s’agrandir… Mais pourquoi aussi violemment ? “Car la densité d’énergie de l’inflaton reste constante, même lorsque l’Univers grandit. A contrario de l’énergie classique qui, elle, se dilue “, ajoute le cosmologiste. De fait, si vous chauffez votre studio de 20 m2 à la température de 20 °C et que tout à coup vous doublez sa surface, la température va baisser. L’action de l’inflaton ne diminue pas à mesure que l’espace grandit, bien au contraire: comme sa densité est constante, plus l’Univers grandit et plus la force qui le dilate grandit avec lui. D’où le caractère exponentiel de l’inflation. Toutefois, son énergie potentielle diminue lentement, comme si elle descendait une pente douce. Et finalement, l’énergie cinétique la dépasse. La pression devient positive et l’inflation s’arrête. “Toute l’énergie de l’inflaton va servir à créer les premières particules baryoniques, qui mèneront aux atomes”, conclut Sébastien Renaux-Petel. Ce qui fait de nous les lointains descendants de l’inflaton.

À la recherche des preuves de l’inflation

Si l’inflation reste inaccessible à nos regards, il doit être possible de voir la trace fossile de son action. C’est l’objectif de la mission internationale Litebird, dirigée par l’Agence spatiale japonaise Jaxa. “Litebird ressemble au satellite Planck, mais en bien plus sensible, détaille Matthieu Tristram, cosmologiste au CNRS et membre de la mission. Ce télescope va mesurer les photons constituant la première lumière de l’Univers. Mais si Planck se concentrait sur leur énergie, Litebird va mesurer leur polarisation, une caractéristique de leur champ électromagnétique. Nos modèles prévoient que l’inflation a produit des ondes gravitationnelles primordiales, une vibration très forte de l’espace-temps, qui ont laissé une trace dans le plasma qui emplissait l’Univers à ce moment-là. Il s’agit d’une polarisation particulière des photons, dite de mode B. Elle doit être encore visible dans le fond diffus cosmologique.” Le lancement de la mission est prévu vers 2032.

Dans un autre domaine, la simulation numérique est un puissant outil pour étudier l’inflation. Par exemple, la plateforme GRChombo, un code en open source mis à disposition des spécialistes de la relativité générale. Sa cofondatrice Katy Clough, de l’Université Queen Mary de Londres (Royaume-Uni), explique: “L’inflation homogénéise l’Univers. Nos simulations doivent donc tester si elle peut s’enclencher à partir d’un univers inhomogène. Souvent, cela ne marche qu’à partir d’un milieu homogène. Nos récents travaux ont montré que certains modèles fonctionnent, mais il reste des questions sur la validité des hypothèses simplificatrices que nous faisons afin de modéliser l’Univers tout entier. ”

Un nom de code

Admettons, mais il y a un hic. Quel est cet “inflaton” responsable de tout ? Pour l’heure, ce n’est qu’un nom de code. Personne ne sait qui est cette particule et son champ associé. Mais depuis quarante ans, la chasse à l’inflaton est ouverte, et elle suscite un certain enthousiasme. Il y a tellement de modèles d’inflation, ne reposant pas toujours sur un champ scalaire d’ailleurs, que l’on peut en faire une encyclopédie… au sens propre ! En mars 2023, Vincent Vennin a ainsi sorti une nouvelle version de son “Encyclopaedia Inflationaris”, dix ans après la première qui correspondait à sa thèse de doctorat. Entre-temps, elle a doublé de volume, atteignant près de 800 pages et compilant une centaine de modèles d’inflation.

“Autant de modèles pour un seul phénomène, c’est probablement unique en physique, note Vincent Vennin. Chacun fait des prédictions, sur la composition de l’Univers, sa géométrie, etc. Il était nécessaire de les réunir, car grâce aux collisionneurs de particules comme le LHC, qui tentent de faire émerger de nouvelles particules, aux satellites qui cartographient l’Univers, de Planck à Euclid, nous accumulons de nouvelles données. Il faut alors les confronter aux prédictions des différents modèles, ce qui permet d’en éliminer un certain nombre. ” C’est ainsi que parmi tous les modèles, ceux à champ scalaire apparaissent comme les plus aptes à décrire l’Univers tel qu’on l’observe aujourd’hui. Mais jusqu’à présent, un seul de ce type a été découvert: le boson de Higgs. La particule, observée pour la première fois au LHC du Cern à Genève (Suisse) en 2012, a été arrachée à un champ de Higgs qui se trouve être justement un champ scalaire, le seul connu à ce jour. Ce qui fait de lui un candidat pour constituer l’inflaton, sans pour autant que les chercheurs disposent de la preuve ultime qu’il s’agit bien de lui. D’autres mesures seront nécessaires pour distinguer ce modèle des autres.

Mais pour Sébastien Renaux-Petel, si la quête de la source de l’inflaton est intéressante en soi, elle n’est pas nécessaire pour avancer. Car la preuve de l’inflation est là, sous nos yeux, dans le spectacle même de l’Univers tel qu’il se présente à nous. “L’inflation a permis des prédictions bien avant les observations, et elles ont été vérifiées. La répartition des galaxies témoigne de l’action de ce champ scalaire primordial, explique le cosmologiste. Elle résulte des fluctuations quantiques du champ. ” Nous ne pouvons pas voir les fluctuations du champ, 10-35 seconde après le Big Bang, mais il est possible de s’en approcher grâce à une “photographie” de l’Univers, prise 380.000 ans après l’inflation grâce au satellite Planck en 2013.

C’est la mesure du fond diffus cosmologique, ou “première lumière de l’Univers”. Évidemment, 380.000 ans cela paraît bien loin de l’époque de l’inflation, mais à l’échelle de l’Univers – âgé aujourd’hui de 13,8 milliards d’années -, c’est tout proche. Cette première image révèle un Univers alors uniquement composé d’un plasma à très haute énergie, où les photons de lumière se libèrent de la matière et circulent librement pour la première fois. Ils dessinent alors un Univers formé de zones un tout petit peu plus riches en énergie que d’autres. La matière va se concentrer sur ces zones, ce qui débouchera sur des amas de galaxies quelques centaines de millions d’années plus tard. “Les mesures précises de Planck confirment que ces inhomogénéités sont issues des fluctuations quantiques de la durée de l’inflation. On peut donc affirmer qu’il y a une continuité entre les fluctuations de ce champ, les inhomogénéités mesurées du fond diffus cosmologique et la structure de l’Univers contemporain. Le mécanisme détaillé de l’inflation nous échappe encore, mais l’étude des fluctuations offre la perspective de le découvrir “, conclut le cosmologiste.

Les contestataires de la théorie de l’inflation

Si l’inflation est aujourd’hui très largement admise par la communauté des cosmologistes, elle reste contestée par quelques personnalités de poids. À commencer par l’Américain Paul Steinhardt, l’un des auteurs de la théorie dans les années 1980. L’autre sceptique majeur est le Britannique Roger Penrose, prix Nobel en 2020 pour ses travaux sur les trous noirs… “Leurs critiques sont de plusieurs ordres, note le physicien Vincent Vennin. On ne sait toujours pas ce qu’est l’inflaton. Et tant qu’on ne l’aura pas identifié formellement, l’inflation restera une théorie ‘non spécifiée’, qui peut être incarnée par plusieurs modèles. L’autre critique qui revient souvent consiste à savoir comment elle a débuté. Longtemps, les calculs mathématiques menés afin de démontrer comment l’inflation a rendu l’Univers homogène partaient du principe que l’Univers était homogène dès le départ. Sinon, les équations étaient trop compliquées à résoudre. La démonstration tombait un peu à plat. Mais depuis cinq ans environ, la donne change grâce à la relativité numérique qui permet désormais de faire des calculs à partir d’un univers inhomogène.”

Par ailleurs, les détracteurs de l’inflation proposent une alternative: l’Univers serait issu de la contraction d’un précédent. C’est le concept de temps cyclique cher à Penrose, ou théorie du grand rebond, défendue par Paul Steinhardt. Selon eux, ce modèle aurait l’avantage d’éviter le Big Bang, cette singularité initiale que la physique n’explique pas. Et l’Univers s’étant recontracté sur lui-même avant de se redilater, cela expliquerait son homogénéité. “Ce dernier point est exact, remarque Sébastien Renaux-Petel de l’Institut d’astrophysique de Paris, qui a travaillé sur ce modèle. L’ennui, c’est la difficulté à décrire ce qu’il advient des fluctuations de densité d’énergie qui peuplent l’Univers lors du rebond, cette phase de transition qui mène à l’Univers en expansion. Voilà pourquoi cette hypothèse demeure minoritaire. ”

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