Africa-Press – Côte d’Ivoire. Dans le hangar de la soufflerie de Saint-Cyr-l’École (Yvelines), une soixantaine de smartphones sont suspendus comme sur un fil à linge. Lorsque les ventilateurs géants se mettent en marche, cette guirlande hors du commun se met à onduler au gré du vent, tout en enregistrant très fidèlement son propre mouvement. Accélération, vitesse angulaire et orientation, autant de données qui vont permettre de mesurer très précisément le passage des rafales de vent artificiel, leur intensité, leur taille et leur vitesse grâce aux capteurs internes de chacun des smartphones.
“L’astuce ici, c’est qu’on utilise le téléphone à la fois comme expérience et comme instrument de mesure “, explique Stéphane Perrard, chercheur à l’École supérieure de physique et de chimie industrielles de la ville de Paris (ESPCI). L’expérience aurait pu être faite avec des plaques métalliques et de la captation vidéo, mais elle aurait été bien plus laborieuse. L’équipe d’ingénieurs physiciens a donc opté pour le smartphone comme outil de mesure, et elle n’est pas la première.
Des scientifiques de tous horizons, séduits par les bonnes performances des capteurs de nos téléphones, commencent à les utiliser pour des applications allant de la médecine au génie civil en passant par l’enseignement. Le faible coût, la qualité et la polyvalence de nos petits bijoux technologiques de poche pourraient bien leur valoir une place de choix au palmarès des instruments scientifiques dans les prochaines années.
Miniaturisé et tout-en-un, le smartphone est idéal pour des mesures de terrain. C’est cet aspect qui a décidé Stéphane Perrard et son collègue Antonin Eddi à franchir le pas en achetant 65 smartphones pour faire des mesures diverses, allant de la géophysique à l’aérodynamique. En plus de leurs expériences d’aérodynamique en soufflerie, le duo de chercheurs flirte avec les géosciences lors de campagnes de terrain sur la banquise canadienne. Leur but ? Mieux comprendre comment la glace se brise sous l’effet des vagues, une donnée importante pour modéliser le climat à l’échelle planétaire.
Jusque-là, ils empruntaient du matériel spécialisé à des collègues géologues, mais leurs premiers essais avec les téléphones semblent prometteurs. “Pour mesurer le mouvement de la glace sous l’effet des vagues, ça marche très bien, se félicite Stéphane Perrard à son retour de mission. Pour le moment, ça remplace les bouées de vagues. ” Des équipements qui coûtent autour de 1000 euros chacun, contre une centaine pour les téléphones choisis par l’équipe, qui espère bientôt pouvoir également se passer de géophones, des appareils qui détectent des vibrations plus rapides.
Mesurer à un stade précoce les vibrations infimes d’un pont
Trouver une alternative à des équipements techniques spécialisés, qui sont souvent coûteux, est une des raisons principales qui motivent les chercheurs. L’équipe de Paolo Santi, chercheur en génie civil au Massachusetts Institute of Technology (États-Unis), a conçu une méthode pour estimer l’état de santé d’un pont simplement en roulant dessus avec un téléphone à bord du véhicule.
“On utilise l’accéléromètre et le gyroscope, qui sont des éléments standard dans tous les smartphones aujourd’hui “, détaille le chercheur. Grâce à ces capteurs, les scientifiques mesurent les vibrations infimes du pont, dont la moindre modification alerte sur une dégradation de l’ouvrage, même à un stade très précoce, qui ne serait pas détectée par une inspection classique. “La première chose était de tester la précision des capteurs. On a fait une expérience dans la voiture en mettant des smartphones de différentes marques et modèles à côté d’un accéléromètre professionnel (un capteur qui, à lui seul, coûte environ 1000 dollars) et on a vu que les capteurs des smartphones étaient très bons, du moins pour ce qu’on voulait faire “, s’enthousiasme notre interlocuteur.
Cette nouvelle méthode pourrait à terme remplacer les campagnes d’inspection visuelle annuelles qui constituent à l’heure actuelle la surveillance la plus courante mais ne détectent que des dommages avancés. Les ouvrages pourraient de surcroît bénéficier d’une veille continue grâce à un suivi collectif, par exemple si chaque voiture traversant le pont avec un smartphone à son bord était en capacité d’envoyer des données scientifiques collectées à son passage du pont, sur un principe que l’équipe de Paolo Santi a testé en Italie en utilisant les téléphones professionnels des équipes de surveillance routière.
Plusieurs milliards de capteurs sophistiqués actifs ou activables
L’avantage ultime du smartphone est peut-être de se trouver dans toutes les poches. Plus de 60 % de la population mondiale en possède un et ce chiffre grimpe jusqu’à 87 % en France, soit plusieurs milliards de capteurs sophistiqués actifs ou activables à travers le monde. Un potentiel énorme, notamment dans les pays en développement où l’accès à du matériel scientifique de pointe est souvent limité. C’est dans cette optique que Daniel Fletcher, chercheur à l’Université de Californie à Berkeley (États-Unis), a inventé le CellScope.
Utilisé à des fins médicales sur des terrains parfois reculés, son microscope portable basé sur un smartphone a reçu le soutien de la fondation Bill & Melinda Gates. “Le projet initial était d’utiliser la microscopie mobile pour détecter la présence de parasites filaires dans les échantillons sanguins. C’est important pour savoir si on peut donner un médicament afin de traiter une autre maladie, la cécité des rivières. On a donc créé un instrument qui pouvait rapidement quantifier le nombre de parasites présents dans les échantillons sanguins “, détaille le chercheur.
Le dispositif a fait ses preuves lors de collaborations académiques au Cameroun et au Viêt Nam notamment, et plusieurs études de terrain ont démontré son efficacité pour diagnostiquer des maladies infectieuses, oculaires, et même dernièrement, pour détecter le Covid-19. “Je pense qu’il y a un gros potentiel pour rendre la microscopie accessible et disponible dans des pays où il n’y a pas les moyens de se procurer les gros microscopes de recherche “, note Daniel Fletcher.
C’est également en échangeant avec des étudiants étrangers que Régis Barille, enseignant-chercheur à l’IUT d’Angers (Maine-et-Loire) et auteur du livre “La Physique avec son téléphone portable”, a imaginé des travaux pratiques à faire sur smartphone. “En Afrique, on pourrait faire de tels TP parce que quasiment tout le monde a un téléphone, mais il y a un manque de matériel pour ces exercices “, explique le physicien. Si l’utilisation de smartphones ne fait pas encore l’unanimité dans le monde de la recherche, cette méthode originale semble néanmoins avoir de beaux jours devant elle.
À vous de jouer les Newton et Tesla…
Curieux de faire des mesures précises à votre tour ? Votre smartphone prend déjà des mesures physiques en permanence. Grâce à l’accéléromètre et au capteur à effet Hall, il est possible par exemple de mesurer la gravité terrestre ou le champ magnétique. Ainsi l’application PhyPhox, créée par l’École supérieure polytechnique de Rhénanie-Westphalie (Allemagne) et traduite en français par des chercheurs de l’Université Paris-Saclay, permet d’accéder aux données brutes des capteurs d’un smartphone.
Posez votre téléphone bien à plat, sur une table par exemple, et lancez une mesure “accélération avec g” en cliquant sur le bouton “play”. Le troisième graphe “accélération selon z” vous permet de lire directement la constante de gravitation (g pour les physiciens). Sa valeur théorique est 9,81 m/s2. Pour le champ magnétique, ouvrez le magnétomètre et dans l’onglet “norme”, lisez la valeur du champ magnétique à l’endroit où vous vous trouvez. Il vaut en moyenne 47 microteslas en France, mais dépend de l’endroit où vous vous trouvez sur la Terre (plus fort aux Pôles qu’à l’équateur) et de la présence d’aimants autour de vous. Éloignez-vous au maximum des objets électroménagers.
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