Les réseaux énergétiques à la merci du changement climatique

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Les réseaux énergétiques à la merci du changement climatique
Les réseaux énergétiques à la merci du changement climatique

Africa-Press – Côte d’Ivoire. L’énergie, cause et victime du réchauffement climatique ? Pas de doute: l’utilisation des ressources fossiles pour la production d’énergie a un impact majeur sur le climat. Mais, à l’inverse, celui-ci a des répercussions sur la disponibilité de l’électricité. Or, en 2050, 90 % de celle-ci devra être produite à partir d’énergies renouvelables (EnR) si l’on veut maintenir l’augmentation de la température mondiale sous le seuil des 2 °C.

Un défi gigantesque, d’autant que la demande pourrait exploser dans les prochaines décennies, notamment parce que la hausse des températures entraînera davantage de besoins en climatisation. Selon une étude de 2023 publiée dans Nature Energy, la consommation électrique nécessaire à la climatisation dans les villes européennes pourrait en effet grimper par moments de près de 400 % !

« En 2050, la température annuelle pourrait avoir augmenté globalement de 2 à 3 degrés, alerte l’expert de l’Université de Princeton, aux États-Unis, Amarasinghage T. D. Perera, qui étudie l’impact du réchauffement climatique sur la production d’énergie. Mais jour par jour, voire heure par heure, elle pourrait augmenter de 5, voire 10 °C. Même chose en hiver, avec des pics de froid qui multiplieront la demande de chauffage ». Ces hausses ponctuelles très fortes viendront s’ajouter à une croissance régulière des besoins énergétiques, qui, en 2050, pourraient avoir augmenté de 50 % par rapport à aujourd’hui, selon l’Agence internationale de l’énergie.

Voilà pourquoi il faudra produire davantage, tout en remplaçant les sources traditionnelles par des alternatives renouvelables comme le solaire ou l’éolien, plus écologiques, mais aussi plus dépendantes du climat. Le solaire, par exemple, perd en efficacité lorsqu’il y a davantage de nuages une situation que pourraient connaître certaines régions aujourd’hui très ensoleillées, telle la péninsule Arabique, où le nombre de jours gris pourrait doubler d’ici à 2050. Alors que d’autres parties du monde, comme l’Europe, verraient le ciel se dégager plus souvent et pourraient donc mieux exploiter l’énergie solaire.

« Mais n’oublions pas que, lorsque la température augmente de 0,5 °C, le rendement des panneaux photovoltaïques diminue de 0,2 à 0,3 %, précise Raúl Cordero, expert du réchauffement climatique à l’Université de Santiago du Chili. À grande échelle, cela représente de grandes pertes de production.  »

Les éoliennes à l’arrêt si le vent souffle à plus de 90 km/h

L’éolien aussi pourrait être touché, puisque certaines zones du globe seront moins ventées, avec notamment une baisse de 10 % du potentiel en Europe et en Amérique du Nord. Mais il y aura davantage de vent ailleurs sur la planète. Ceci pourrait-il compenser cela ? Pas sûr. Ces vents plus fréquents sont attendus principalement dans des zones moins peuplées et disposant de peu d’infrastructures éoliennes, telles que les régions polaires et les tropiques.

Quant à l’énergie hydraulique, elle représentait en 2015 plus de 70 % de la production mondiale d’EnR. « Les centrales hydroélectriques sont importantes car elles agissent comme des batteries géantes, disposant d’un grand potentiel de production pour les moments où la demande est forte » , explique Adrienne Marshall, hydrologue à l’École des mines du Colorado, aux États-Unis, qui ajoute que cette source d’énergie peu polluante et bon marché subira aussi les effets du réchauffement: « D’abord, parce qu’il est possible que le régime des précipitations change, mais ces évolutions sont difficiles à prévoir. D’autres phénomènes sont en revanche plus certains, tels qu’une raréfaction de la neige, grande pourvoyeuse d’eau au printemps et en été, ainsi que des épisodes de sécheresse, dont la fréquence augmente déjà.  »

Tout comme celle d’autres événements climatiques extrêmes ouragans, inondations et feux de forêt. « Même les scénarios les plus optimistes en prévoient davantage », rappelle Luo Xu, qui étudie la résilience des systèmes énergétiques face au changement climatique à l’Université de Princeton, aux États-Unis.

Aux États-Unis, par exemple, les coupures de courant causées par de tels événements ont augmenté de 78 % entre la première et la deuxième décennie de ce siècle, et représentent 80 % de tous les black-out électriques du pays. Affectant notamment les énergies renouvelables, plus exposées. « L’année dernière, l’ouragan Hillary, de catégorie 1, donc assez faible, a pourtant causé une baisse considérable de la production d’énergie solaire en Californie, qui est passée de 15.000 à 5.000 mégawatts par jour, précise-t-il. Il a provoqué la formation d’une immense structure nuageuse qui a atténué le rayonnement solaire, à quoi sont venus s’ajouter les dommages causés aux infrastructures photovoltaïques. »

La fréquence et l’intensité des ouragans et autres cyclones tropicaux vont probablement augmenter, affectant la production d’énergie solaire, mais aussi éolienne. Car, par mesure de sécurité, ces turbines sont programmées pour s’arrêter lorsque le vent dépasse une certaine vitesse, en général 90 km/h moins que les vents d’un ouragan de catégorie 1, qui excèdent les 100 km/h.

Ces impacts combinés sur la production d’énergie pourraient devenir la norme, car la multiplication de ces événements climatiques va en amplifier les conséquences. Exemple: la montée des eaux pourrait par moments s’emballer à cause d’orages, provoquant sur les côtes des inondations plus fortes qu’aujourd’hui. Et il y aura davantage de cyclones tropicaux suivis de vagues de chaleur, qui pourraient donc frapper en plein black-out électrique. « On peut aussi penser aux feux de forêt, qui se déclenchent souvent après une vague de chaleur. Ils peuvent endommager les infrastructures énergétiques au moment où la demande en électricité est au plus haut à cause des besoins de climatisation », prévient Amarasinghage T. D. Perera.

Comment refroidir les réacteurs nucléaires avec de l’eau chaude ?

L’énergie nucléaire ne sera pas épargnée non plus. Peu polluante pour ce qui est des gaz à effet de serre, elle nécessite en revanche beaucoup d’eau: entre 1.500 et 3.000 litres pour chaque mégawattheure généré. « Outre de l’électricité, les centrales nucléaires produisent de la chaleur. Leur inertie thermique est beaucoup plus élevée que celle des centrales thermiques fonctionnant avec du gaz ou du charbon. Elles ont besoin d’eau pour éliminer cette chaleur résiduelle et refroidir les réacteurs afin d’éviter que le cœur ne fusionne », rappelle Joana Portugal Pereira, professeure de planification énergétique à l’Université fédérale de Rio de Janeiro, au Brésil.

Par ailleurs, pour une hausse de 1 °C de la température mondiale de l’air, celle de l’eau augmentera de 0,6 à 0,8 °C. Qui dit eau plus chaude dit moindre efficacité des réacteurs nucléaires, par modification du cycle de Carnot (qui définit la quantité d’énergie motrice produite en fonction du transfert de température: plus l’eau qui reçoit l’énergie est froide, plus le transfert est efficace). Or, les centrales ne peuvent relâcher dans l’environnement une eau trop chaude, car sa moindre teneur en oxygène peut avoir des conséquences sur la biodiversité. Entre 2010 et 2019, près de 4.000 pannes de centrales nucléaires ont été causées par des événements météorologiques, notamment des vagues de chaleur obligeant à stopper les réacteurs. Sans compter qu’en période de sécheresse, il n’y a tout simplement pas d’eau pour assurer leur fonctionnement.

D’autant que 40 % des centrales nucléaires dans le monde sont localisées sur les côtes (précisément à cause de leurs besoins en eau), ce qui les expose à la montée des eaux, aux cyclones et aux tsunamis. « Pour améliorer la sécurité, il faut des investissements lourds. Par exemple, on construit sur la côte est du Japon des murs de 15 à 20 mètres en prévention de potentiels tsunamis, ainsi que des systèmes alternatifs de refroidissement. Mais cela coûte cher, avertit Joana Portugal Pereira. Et la plupart des centrales en construction ou planifiées sont localisées dans des zones très exposées à la hausse des températures, comme le Moyen-Orient, sans que les risques liés soient toujours pris en compte.  »

Tous les modes de production d’énergie du futur seront donc rattrapés par le changement climatique. Mais les experts réfléchissent à des solutions. « Le nucléaire n’est pas la panacée, mais on peut diminuer les risques en diminuant la taille des réacteurs », propose la chercheuse. L’hydroélectrique peut aussi devenir plus résilient s’il est interconnecté: « Comme à travers l’ouest des États-Unis, où l’impact des sécheresses est atténué par la redistribution de l’énergie vers les zones peu affectées », selon Adrienne Marshall. Le transport de l’énergie d’une zone à une autre peut aussi être mieux sécurisé, par exemple avec des câbles souterrains résistants aux feux de forêt.

Des microréseaux capables de s’activer en cas d’urgence

Sans oublier que les énergies renouvelables autorisent une plus grande souplesse. « Produire et stocker l’énergie solaire peut se faire chez soi. La production d’énergie peut ainsi être plus résiliente », explique Luo Xu. Ces microréseaux électriques pourraient s’activer lors d’une urgence, le temps que le réseau principal soit rétabli. Et les variations de disponibilité des énergies renouvelables pourraient être contrebalancées par une plus grande variété des modes de stockage.

L’hydrogène vert, généré avec l’excédent des énergies renouvelables par temps calme, pourrait être utilisé pour produire de l’électricité en cas de baisse de production. Sans oublier que d’autres sources d’énergie sont plus résilientes, comme l’énergie géothermique qui exploite la chaleur des sous-sols, dont les structures sont moins exposées aux changements climatiques. « Je suis optimiste, assure Amarasinghage T. D. Perera: nous avons des solutions scientifiques pour les problèmes que nous affrontons. »

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