Rentrée atmosphérique incontrôlée d’un satellite européen d’observation de la Terre

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Rentrée atmosphérique incontrôlée d'un satellite européen d'observation de la Terre
Rentrée atmosphérique incontrôlée d'un satellite européen d'observation de la Terre

Africa-Press – Côte d’Ivoire. Après près de trois décennies passées dans l’espace, le satellite européen ERS-2 doit retomber sur Terre entre le 18 et le 22 février 2024. Ce phénomène de rentrée atmosphérique est un processus bien connu des opérateurs. Selon le dernier rapport sur l’environnement spatial de l’Agence spatiale européenne (ESA), près de 2500 objets sont rentrés dans l’atmosphère en 2023, soit une masse de plus de 300 tonnes composées de débris, satellites et autres étages de lanceurs. Si certaines de ces trajectoires sont contrôlées et dirigées vers un endroit choisi, la plupart d’entre elles sont incontrôlées et c’est le cas pour ERS-2 qui peut retomber n’importe où sur Terre.

“60 à 70 débris retrouvés au sol depuis le début de l’ère spatiale”

Mais le risque de se le prendre sur la tête est infime. D’abord parce que notre planète est recouverte à 70% par des océans, ensuite parce que les terres émergées abritent de vastes zones désertiques ou très peu peuplées. “On compte 60 à 70 débris retrouvés au sol depuis le début de l’ère spatiale, explique Benjamin Bastida Virgili, ingénieur au bureau des débris spatiaux de l’ESA, à Darmstadt (Allemagne), mais aucun n’a causé de dommage. Dans le pire des scénarios, poursuit-il, il y aurait entre 100 et 200 kilos qui pourraient ne pas brûler dans l’atmosphère ; le plus gros fragment qui pourrait atteindre le sol est de 52 kilos. À titre individuel, on a une chance sur 5 milliards d’être touché par un de ces débris.”

Par comparaison, la probabilité d’être frappé par la foudre est de moins d’une sur un million (selon le CCHST, le centre canadien d’hygiène et de sécurité au travail).

Prévue pour trois ans, la mission ERS-2 a finalement duré 16 ans

ESR-2 est le troisième gros satellite d’observation de la planète Bleue opéré par l’Agence spatiale européenne qui rentre sur Terre, après GOCE, la mission dédiée à la gravité terrestre, en 2013, et la chute contrôlée dans l’Atlantique en août 2023 d’Aeolus, dédié quant à lui à la mesure des vents terrestres.

Lancé en 1995, ERS-2 était la deuxième mission d’observation de la Terre de l’ESA, après ERS-1. Lors de leur lancement, ces deux satellites étaient les plus sophistiqués jamais développés en Europe. Ils étaient équipés d’un radar à synthèse d’ouverture (SAR) et d’un altimètre radar, deux instruments essentiels à l’étude des températures et des vents de surface en mer, dont sont aujourd’hui dotées la plupart des missions d’observations terrestres. ERS-était également doté d’un capteur de mesure de l’ozone atmosphérique.

Prévue pour trois ans, la mission ERS-2 a finalement duré 16 ans. “Elle a recueilli une moisson de données, notamment sur les températures de surface de la mer, inédites à l’époque, explique Henri Laur, spécialiste de l’observation terrestre à l’ESA (Italie). Elle a aussi permis de mesurer l’évolution des calottes polaires, d’étudier les variations de végétation annuellement et a été utilisée plusieurs fois pour répondre aux besoins d’informations liées aux désastres majeurs.”

Les deux satellites ERS sont “des pionniers, les grands-pères des Sentinels, ces satellites qui composent aujourd’hui la constellation Copernicus”, souligne Henri Laur. La constellation européenne enregistre et étudie divers paramètres de l’état de la planète, essentiels pour nourrir les modèles d’évolution du climat dans le cadre du réchauffement global.

“Cette descente a été plus rapide qu’escomptée”

En 2011, alors qu’il était encore en bon état, décision est prise d’arrêter son fonctionnement pour ne pas en perdre le contrôle. “Les satellites postés aux alentours de 800 km d’altitude mettent de 100 à 200 ans pour rentrer dans l’atmosphère, explique Benjamin Bastida Virgili. Cela explique pourquoi il y a autant d’objets sur ces orbites. Or il est maintenant de règle de désorbiter un satellite dans les 25 ans après la fin de son exploitation.”

Il fallait donc qu’il reste suffisamment de carburant pour abaisser progressivement son orbite jusqu’à 500 km altitude. Il a ensuite été passivé en lui retirant toutes sources d’énergie pour éviter une combustion spontanée. Depuis lors, il a effectué une lente descente de douze ans vers l’atmosphère et devrait y entrer autour du 20 février, entre le 18 et le 22.

“Cette descente a été plus rapide qu’escomptée, remarque Henri Laur. On remplit ainsi notre contrat.” Cette trajectoire est surveillée par l’Esoc, le centre d’opérations spatiales européen, mais aussi par des partenaires internationaux, dont Les États-Unis qui disposent d’un important système de surveillance des objets en orbite.

Pour suivre les mises à jour régulières de la trajectoire de rentrée atmosphérique du satellite ERS-2, rendez-vous sur le site de l’ESA.


Alerter sur les débris spatiaux

Cet événement est l’occasion, pour l’ESA, d’alerter sur le sujet des débris spatiaux, à l’heure où les satellites en activité ou désactivés se multiplient sur des orbites polluées de débris. “L’ESA est le responsable d’opération pour 30 satellites, qui sont des satellites majeurs, souligne Quentin Verspieren, coordinateur du programme européen de sécurité spatiale. L’agence est directement concernée par la prolifération des débris qui mettent en danger des équipements cruciaux et la vie des astronautes.”

L’augmentation de ces débris est notablement liée à deux épisodes marquants en orbite. En 2007, la Chine a ainsi réalisé un test antisatellite en détruisant par tir de missile l’un de ses satellites désactivé à 800 km d’altitude. Deux ans plus tard, en 2009, les satellites américain Iridium-33 et russe Cosmos-2251 sont entrés en collision, disséminant des essaims de débris de plus de 10 cm.

A cela s’ajoutent les 650 événements de fragmentation dénombrés depuis le début de l’ère spatiale, liés “pour 27 % aux batteries et pour 8 à 10% à des collisions. Il y a 10 ans, on effectuait une manœuvre d’évitement par an et par satellite, note Benjamin Bastida Virgili. Aujourd’hui, on en fait 3 à 4. Et plus il y aura des satellites en orbite, plus il faudra manœuvrer pour éviter des collisions.” Or chaque manœuvre utilise du carburant, ce qui réduit d’autant la durée de vie du satellite.

Le syndrome de Kessler

L’ESA a désormais pour ligne rouge une situation de prolifération des débris telle qu’elle nous mènerait au “syndrome de Kessler”, un scénario de réactions en chaîne dans lequel les impacts augmenteraient de manière exponentielle, rendant les orbites impraticables. Une situation qui inquiète Henri Laur: “alors que d’énormes flux d’informations nous parviennent de l’espace proche, le futur des sciences de la Terre dépend des données récoltées depuis l’espace.”

La première norme destinée à améliorer les pratiques date de 2008. Depuis lors, l’ESA s’est largement investi sur le sujet en lançant le programme de sécurité spatiale, financé par les membres de l’agence à hauteur de 1,2 milliard d’euros, soit “le plus gros investissement au monde sur cette question, souligne Quentin Verspieren. Dans le cadre de sa stratégie 0 débris, il a été décidé que toutes les missions entrant en phase de conception après 2030 ne devront laisser aucun débris dans l’espace.” La question se posera alors dès la planche à dessin et non pas une fois que l’objet sera en orbite.

D’ici là, l’ESA se prépare aux prochaines rentrées dans l’atmosphère du cubesat obsat en juin – qui devrait y brûler intégralement – , et des 4 satellites Clusters en septembre 2024 pour le premier, en 2025 pour deux autres et en 2026 pour le dernier. “Ce seront des rentrées incontrôlées, précise Benjamin Bastida Virgili. Mais comme ils circulent sur des orbites elliptiques, nous savons où et quand ils vont rentrer.” Après l’ère glorieuse de la conquête spatiale, voici venu le temps plus trivial de la gestion de ses déchets

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