Osman Bouh Odowa, Conseiller Technique Ministériel

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Osman Bouh Odowa, Conseiller Technique Ministériel
Osman Bouh Odowa, Conseiller Technique Ministériel

Africa-Press – Djibouti. « Nous sommes actuellement dans une phase initiale mais décisive du processus de valorisation de notre patrimoine national »
La République de Djibouti franchit une nouvelle étape dans la valorisation de son patrimoine culturel et naturel avec l’actualisation de sa liste indicative en vue d’une inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO. M. Osman Bouh, Conseiller technique au Ministère de la Jeunesse et de la Culture, revient sur les critères de sélection des dix sites retenus, les efforts entrepris pour conjuguer préservation et développement durable, ainsi que les enjeux liés à la sensibilisation des jeunes. Une vision stratégique s’esquisse, mêlant reconnaissance internationale, protection juridique et mobilisation citoyenne autour d’un héritage commun à transmettre.
Monsieur le Conseiller, la République de Djibouti a récemment actualisé sa liste indicative en vue d’une inscription au patrimoine mondial. Quels critères ont guidé la sélection des dix sites qui la composent aujourd’hui?

Effectivement, la République de Djibouti a procédé à la mise à jour de sa liste indicative, une opération devenue nécessaire dans la mesure où la dernière version remontait à 2014. Cette actualisation s’est principalement inscrite dans la volonté de porter à l’attention de la communauté internationale le site exceptionnel d’Abourma, un ensemble de gravures rupestres d’une richesse et d’une étendue remarquables. Ce site, qui s’étend sur environ trois kilomètres et rassemble pas moins de 109 figures rupestres, constitue l’un des plus vastes ensembles de ce genre sur le continent africain — le troisième en Afrique et le premier dans la région de la Corne.

Les critères qui ont présidé à la sélection des sites figurant sur cette liste sont rigoureux et alignés sur ceux définis par l’UNESCO. Ils englobent notamment l’authenticité, l’intégrité, ainsi que la valeur universelle exceptionnelle. Nous avons également veillé à inclure des sites incarnant des chefs-d’œuvre du génie créateur humain, qu’ils soient d’ordre culturel, naturel ou mixte. Cette sélection reflète donc à la fois la richesse de notre héritage et notre ambition de le préserver dans le cadre du développement durable.

Au regard de la diversité des sites – culturels, naturels et mixtes – figurant sur cette liste, comment le Ministère de la Jeunesse et de la Culture articule-t-il ses efforts pour conjuguer valorisation patrimoniale et développement local durable?

Nous sommes actuellement dans une phase initiale mais décisive du processus de valorisation de notre patrimoine national. Ce chantier englobe plusieurs dimensions, allant de la reconnaissance juridique à la mise en place de mécanismes de protection et de gestion durable. En ce sens, le Ministère de la Jeunesse et de la Culture, sous l’impulsion de Madame la Ministre Hibo Moumin Assoweh, a récemment soumis une loi sur la protection du patrimoine culturel et naturel, laquelle sera prochainement promulguée grâce à une collaboration étroite avec les autres départements sectoriels concernés. Il convient de souligner que les sites inscrits sur la liste indicative sont aujourd’hui relativement préservés d’un tourisme de masse, ce qui nous permet d’élaborer des politiques de valorisation respectueuses de l’environnement et des communautés locales. Cette approche progressive s’inscrit dans une vision stratégique qui place la préservation de l’héritage au cœur d’un développement durable, inclusif et cohérent avec les réalités territoriales.

Certains sites, tels que les tumuli de Randa ou la forêt du Day, sont particulièrement vulnérables. Quelles mesures concrètes sont envisagées pour renforcer leur protection face aux menaces du temps, du climat et des activités humaines?

S’agissant des tumuli de Randa, il convient de préciser qu’ils ne sont pas actuellement exposés à des menaces majeures. En revanche, la situation de la forêt du Day, qui constitue l’une des dernières forêts primaires du pays, est extrêmement préoccupante. Ce joyau écologique a subi, au fil des décennies, une dégradation irréversible, principalement imputable aux effets du changement climatique. Malgré les nombreuses tentatives d’intervention menées par l’État, notamment à travers des campagnes de reboisement et de sensibilisation, le recul de cette forêt emblématique demeure une réalité tragique.

Le Ministère entend néanmoins poursuivre ses efforts de documentation, de surveillance et de sensibilisation afin de prévenir toute dégradation supplémentaire des autres écosystèmes naturels figurant sur la liste indicative. Une coordination accrue avec les ministères de l’Environnement, de l’Agriculture et de la Décentralisation est également envisagée pour renforcer la résilience des sites naturels.

L’inscription sur la liste indicative constitue une étape préparatoire vers une reconnaissance par l’UNESCO. Où en est Djibouti dans ce processus, et quels sont les dossiers prioritaires pour une candidature à court terme?

Le Ministère de la Jeunesse et de la Culture est résolument engagé dans le processus d’inscription de plusieurs éléments du patrimoine djiboutien auprès de l’UNESCO. Depuis l’année dernière, des avancées notables ont été enregistrées. Ainsi, le rituel du Xeedho, une pratique nuptiale traditionnelle, a été inscrit dans le registre des patrimoines culturels nécessitant une sauvegarde urgente. Par ailleurs, le Xeer Issa, système juridique coutumier de la communauté issa, est actuellement en cours d’examen pour une inscription sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité.

Nous avons également récemment soumis à l’UNESCO le Madca, qui constitue l’ensemble des lois coutumières afar, dans le cadre d’un effort de reconnaissance et de préservation de ce pan essentiel de notre culture. En parallèle, des démarches sont en cours pour faire reconnaître les mariages traditionnels comme pratiques culturelles méritant une sauvegarde à travers des programmes d’inventaire et de transmission intergénérationnelle.

Enfin, au-delà des démarches institutionnelles, quelle place le ministère accorde-t-il à la sensibilisation des jeunes générations à la richesse patrimoniale du pays, et quel rôle la jeunesse peut-elle jouer dans la sauvegarde de cet héritage commun?

La question de la sensibilisation des jeunes générations constitue une priorité stratégique pour le ministère. Il est toutefois regrettable de constater que, pour l’instant, une grande partie de la population, notamment les jeunes, reste encore largement méconnaissant de la richesse patrimoniale de leur propre pays — qu’il s’agisse de ses sites culturels ou naturels. Le développement touristique, quant à lui, demeure à un stade embryonnaire, ce qui limite les opportunités de mise en valeur à grande échelle.

Or, l’inscription d’un site au patrimoine mondial déclenche généralement un regain d’intérêt et une augmentation significative du flux touristique — parfois estimée à plus de 20 %. Ce sursaut d’intérêt est souvent le point de départ d’une dynamique plus large incluant protection, valorisation, mais aussi éducation et sensibilisation.

Dans cette perspective, la jeunesse djiboutienne a un rôle central à jouer. Elle constitue à la fois le relais de la mémoire collective et le levier principal d’un changement de paradigme en matière de conservation patrimoniale. Le ministère, conscient de cette réalité, œuvre activement à leur intégration dans les politiques culturelles, notamment à travers des programmes de formation, d’insertion professionnelle et de volontariat patrimonial. Madame la Ministre accorde une attention toute particulière à cette dimension, considérant que le secteur culturel peut offrir aux jeunes des débouchés concrets et leur permettre de devenir des acteurs à part entière de la sauvegarde de notre héritage commun.

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