Au Cœur De La Pêche Artisanale À Djibouti

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Au Cœur De La Pêche Artisanale À Djibouti
Au Cœur De La Pêche Artisanale À Djibouti

Africa-Press – Djibouti. À Djibouti, la pêche artisanale est bien plus qu’un métier: c’est un héritage vivant, profondément ancré dans les traditions maritimes de notre pays. Chaque jour, des centaines de pêcheurs bravent les flots avec passion, contribuant à nourrir la population et à faire vivre les marchés locaux. Cette activité, longtemps marginalisée, connaît aujourd’hui un nouvel élan grâce à l’engagement de ses acteurs et au soutien de partenaires publics et privés. Portée par un esprit de solidarité et d’innovation, la filière artisanale se réinvente. Un vent d’espoir souffle sur les côtes djiboutiennes.

Sur le quai du port de pêche de Djibouti, les cris des mouettes se mêlent aux cliquetis des moteurs hors-bord, aux appels des pêcheurs et au parfum salin du poisson fraîchement débarqué. Dans cette effervescence matinale qui rythme la vie maritime de Djibouti, un homme se distingue par son calme et sa détermination. Ayanleh Liban-Samrie, président de la coopérative des pêcheurs maritimes, incarne une nouvelle génération d’acteurs économiques revenus au pays pour y bâtir un avenir collectif et durable.

Né le 13 mars 1985 à Djibouti, formé en France en commerce international, cet ancien membre de la diaspora a décidé il y a plus de sept ans de tourner le dos à la vie occidentale pour revenir sur les rives de la mer Rouge. Un retour motivé par une passion de toujours: la mer, transmise par son père, pêcheur avant lui. « J’ai acheté un premier bateau pour renouer avec ce plaisir d’enfance. Puis un deuxième, pour répondre à la demande croissante. Très vite, les pêcheurs m’ont fait confiance et m’ont proposé la présidence de l’association. C’est ainsi que tout a commencé », raconte-t-il, les yeux brillants de sincérité.

Une coopérative au service des pêcheurs

Aujourd’hui, la structure qu’il dirige est bien plus qu’un simple regroupement de travailleurs de la mer. C’est une véritable organisation coopérative, fondée sur la solidarité et la mutualisation. L’Association pour le développement de la pêche de Djibouti, créée en 1999, regroupe plus de 300 pêcheurs affiliés, répartis sur 178 embarcations – dont 30 de 4 mètres, 60 de 5 mètres et 85 de 7 mètres. La production annuelle atteint les 2 300 tonnes de poissons, un chiffre modeste au regard du potentiel maritime national, mais qui témoigne d’un effort constant dans un environnement difficile.

« Nous fonctionnons selon un modèle solidaire. Chaque prise est mise en commun, les bénéfices sont répartis entre les membres après déduction des frais. Nous fournissons également des filets et du carburant pour les sorties en mer », précise Ayanleh.

Ce mode de gestion permet à de nombreux pêcheurs de vivre de leur activité, même si les défis sont nombreux. Les navires, souvent de petite taille et peu équipés, ne peuvent pas s’aventurer loin en mer. La majorité n’est pas dotée de dispositifs de sécurité ou de navigation modernes. Les sorties de pêche, limitées à une journée ou quelques jours au plus, dépendent encore des vents et des courants pour le retour au port. Une vulnérabilité qui pèse sur la productivité mais aussi sur la sécurité des marins.

Le poids économique d’un secteur encore sous-exploité

Le paradoxe de la pêche à Djibouti est connu: bien que notre pays dispose d’une zone maritime riche, le secteur ne représente encore qu’environ 5 % du PIB. Ayanleh le regrette, tout en gardant espoir. « Nous avons un potentiel énorme. Mais les obstacles sont nombreux: équipements insuffisants, formation limitée, absence d’organisation de la chaîne de froid, et surtout, une grande précarité sociale », déplore-t-il. Car au-delà des problèmes techniques, c’est tout un système qui reste à structurer. La pêche artisanale alimente les principaux points de vente du pays – marchés de Riad, Quartiers 6, 7 et 7 bis, Ambouli, Balbala, Hayableh, Cheick Moussa, PK12, Arta, Ali-Sabieh – mais sans circuit logistique clairement défini. Les ventes se font aussi dès le retour des bateaux, à quai, et certaines cargaisons sont envoyées par avion à Addis-Abeba ou Dubaï, à raison de 600 à 800 kilos par expédition. Des efforts notables, mais encore largement insuffisants.

Conscient de l’urgence de professionnaliser la filière, Ayanleh a su mobiliser des ressources de la diaspora pour initier un programme de formation innovant. Vingt apprentis pêcheurs ont ainsi suivi une formation de deux mois, à la fois théorique et pratique. À l’issue de cette période, ils ont reçu cinq bateaux de 4 mètres, des filets et des bacs à glace pour conserver les poissons en mer. Ils ont également été accompagnés lors de leurs premières sorties, et formés aux bases de la mécanique pour pouvoir faire face à une panne en mer.

« C’est un projet exemplaire. Il a permis à de jeunes Djiboutiens d’apprendre un vrai métier, et de s’y engager dans de bonnes conditions. Le soutien de la diaspora a été décisif, et prouve que les Djiboutiens de l’étranger ont un rôle à jouer dans le développement local », affirme le président de la coopérative.

Autre volet essentiel du programme: la sensibilisation à l’hygiène et à la santé. Une série d’ateliers a été organisée pour 50 pêcheurs de la capitale et 30 femmes vendeuses de poisson. Les thèmes abordés: hygiène sanitaire, stockage, matériel, propreté des lieux de vente, mais aussi prévention du VIH/Sida. Une démarche saluée par les autorités sanitaires comme un modèle de responsabilisation communautaire.

Dans la même logique, l’association veille à la préservation de l’environnement marin. La pratique de la pêche, qu’elle soit artisanale ou récréative, est strictement soumise à la détention d’une licence. Une mesure visant à éviter la surpêche, à protéger les écosystèmes, et à responsabiliser les acteurs du secteur.

L’association dirigée par Ayanleh peut compter sur le soutien de plusieurs institutions partenaires, locales et internationales. La Direction de la Pêche intervient notamment dans les formations et les campagnes de sensibilisation. L’entreprise Al Aoul Group participe à la modernisation du port de pêche. La TIKA, agence turque de coopération, a construit un garage pour la réparation des bateaux et offert plusieurs embarcations. L’armée italienne, de son côté, fournit régulièrement du matériel de pêche.

La JICA, l’agence japonaise de coopération internationale, s’implique depuis trois ans dans le renforcement des capacités du secteur. Et l’organisation saoudienne PESCA a même construit une maison d’accueil sur l’île de Maskali, permettant aux pêcheurs de s’y reposer en cas de mauvais temps ou de fatigue.

Autre geste significatif: la garde-côte djiboutienne a mis en place un numéro d’urgence – le 1500 – pour les situations de détresse en mer. Une mesure de sécurité saluée par les pêcheurs, qui travaillent dans des conditions parfois extrêmes.

Malgré tous ces efforts, un problème reste entier: l’absence totale de couverture sociale pour les pêcheurs. Aucun d’eux ne dispose à ce jour d’une protection de la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS). Une situation que dénonce avec vigueur Ayanleh Liban-Samrie.

« Ce métier est l’un des plus risqués. Les marins affrontent les vagues, les tempêtes, les pannes en mer, parfois sans équipement adéquat. Et pourtant, ils n’ont droit à aucune couverture maladie, aucune pension. Cela doit changer. Nous demandons aux autorités de prendre cette situation en main », plaide-t-il.

Dans une lettre adressée aux autorités compétentes, la coopérative a exprimé son souhait de voir émerger un système d’affiliation spécifique pour les pêcheurs. « Ce serait un grand pas en avant, non seulement pour leur dignité, mais aussi pour l’attractivité de ce métier auprès des jeunes », ajoute-t-il.

Un avenir à construire… ensemble

En parcourant les jetées, en discutant avec les pêcheurs et les vendeuses qui font vivre les marchés de la capitale, on comprend vite que la mer n’est pas seulement une source de revenus. Elle est un mode de vie, un héritage, un horizon d’espérance. Grâce à des hommes comme Ayanleh Liban-Samrie, la pêche artisanale retrouve ses lettres de noblesse. Mais pour transformer l’essai, il faudra des moyens, une volonté politique affirmée, et un accompagnement de long terme.

Le bilan dressé à l’issue de cette rencontre est clair: les résultats sont encourageants, les bases sont là. Reste désormais à faire de cette dynamique locale un vrai levier de croissance nationale. Et à garantir aux pêcheurs de Djibouti, héros discrets de nos rivages, les conditions de travail et de vie qu’ils méritent.

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