La Finance verte en Afrique: enjeux et propositions pour mobiliser les financements nécessaires

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La Finance verte en Afrique: enjeux et propositions pour mobiliser les financements nécessaires
La Finance verte en Afrique: enjeux et propositions pour mobiliser les financements nécessaires

Africa-Press – Djibouti. Une chronique de Lauras Anagonou, Banquier d’Affaires à Wall Street (Etats-Unis).

Le changement climatique inflige des pertes économiques considérables à l’Afrique, avec des pertes annuelles estimées entre 7 et 15 milliards de dollars. L’expansion du désert du Sahara, le plus vaste désert du monde, s’est accrue de 10 % au cours du dernier siècle, principalement en raison des effets du changement climatique.[1] Alors que le Sahara continue de s’étendre, le lac Tchad, l’une des plus grandes sources d’eau douce de la région, qui nourrit près de 30 millions de personnes réparties entre le Nigeria, le Cameroun, le Niger et le Tchad, a considérablement rétréci. Au cours des 60 dernières années, le lac Tchad a perdu 90 % de sa superficie, soit l’équivalent de la superficie d’Israël.[2] Les conséquences dramatiques de cette diminution ont forcé près de 4 millions de personnes à fuir leurs foyers dans les pays voisins.[3]

Ces effets de migrations forcées n’ont pas affecté que la région du lac Tchad. Pour ne considérer que l’année dernière, près de 1,2 million de personnes en Afrique de l’Est étaient contraintes d’abandonner leurs résidences, à cause des températures extrêmes et d’autres effets du changement climatique, tels que les inondations, les tempêtes et des grandes sécheresses.[4]

Dans cette perspective, les prévisions estiment qu’en 2040 l’Afrique perdra 50 milliards de dollars à cause des effets du changement climatique. Pour prévenir ces pertes catastrophiques, le continent est tenu d’exécuter avec efficacité son plan d’action sur le changement climatique. Afin d’atteindre les objectifs fixés à l’horizon 2030, le Center for Policy Initiatives estime que le continent a annuellement besoin de 227 milliards de dollars pour mettre en œuvre ses «Contributions Nationales Déterminées ». Mais chaque année, le continent Africain ne parvient à réunir qu’environ 30 milliards de dollars de financements verts,[5] soit à peine un peu plus d’un dixième du montant requis. L’implémentation des Contributions Nationales Déterminées pour l’ensemble des pays africains nécessite la somme colossale de 2800 milliards de dollars d’ici 2030. Et ce n’est point surprenant que la plupart des pays africains éprouvent des difficultés à répondre à ces besoins financiers considérables.

Figure 1: Flux et besoins de financement climatique en Afrique (milliard de dollar US, moyenne annuelle)

Plusieurs facteurs rendent encore plus difficiles les efforts pour faire évoluer le financement vert en Afrique. L’un d’entre eux est le regard des investisseurs étrangers qui jugent l’Afrique comme une destination d’investissement à très haut risque, ce qui les amène à adopter une attitude attentiste. En réalité, les politiques de financement vert et les cadres réglementaires y afférents n’existent pas dans plusieurs pays africains.

L’autre défi dans l’attraction des financements verts est la lenteur du continent à se doter de compétences techniques nécessaires pour concevoir, développer et faire avancer les projets verts, de la proposition à la réalisation. À cela s’ajoute le manque de transparence autour des émissions de gaz à effet de serre et les mesures de correction à ce propos qui doivent augmenter. Cela peut être accompli en utilisant un modèle «de mesure, de notification et de vérification». Avec ce système mis en place, la réduction des gaz à effet de serre due à la déforestation et la dégradation des forêts pourrait être quantifiée et communiquée aux différentes parties prenantes. Aujourd’hui, dans la majeure partie de l’Afrique, la prise de décisions sur la base d’analyse de données est entravée du fait de la rareté de l’accès à des informations fiables et pertinentes en ce qui concerne les informations climatiques. Cet axiome s’avère véridique : «ce qui peut être quantifié, peut être financé».

Le monde dispose des ressources nécessaires pour financer une transition vers zéro émission nette, c’est-à-dire un état dans lequel les gaz à effet de serre entrant dans l’atmosphère sont équilibrés par leur élimination de l’atmosphère terrestre. Atteindre le niveau zéro émission nette est un moyen pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré Celsius, prévenant ainsi les catastrophes climatiques à l’échelle planétaire. Atteindre au niveau mondial zéro émission nette est l’un des plus grands défis que la race humaine a à relever. Heureusement, il y a assez de ressources disponibles qui peuvent être affectées aux projets visant à corriger les effets du changement climatique.

La richesse globale a considérablement augmenté ces deux dernières décennies, atteignant actuellement plus de 500 000 milliards de dollars. En effet, les études de Mckinsey révèlent que la valeur des actifs dans le monde est passée de 156 000 milliards de dollars en 2000 à 514 000 milliards de dollars en 2020.[6] D’après les données de Bloomberg, le volume des obligations souveraines proposant un rendement négatif a atteint 18 000 milliards de dollars dans le monde entier en 2020. [7] Selon PwC, les actifs sous gestion au niveau mondial ont augmenté de plus de 40 % depuis 2015 avec une estimation d’augmentation de 110 000 milliards aujourd’hui à 145 000 milliards d’ici 2025. Dans le même ordre d’idées, les parts des fonds de pension connaîtront une augmentation pour atteindre presque 65 000 milliards de dollars d’ici 2025.[8] En outre, la disponibilité du capital vert privé n’a jamais été aussi grande. L’engagement en faveur de zéro émission nette pris par les institutions financières, y compris les fonds souverains, les fonds de pension, les compagnies d’assurances et autres, implique qu’il existe des milliers de milliards de dollars de liquidités vertes qui attendent d’être mobilisées pour de nouveaux rendements ajustés aux risques et de nouvelles opportunités d’investissement.

Dans le même temps, les risques d’investissements en Afrique sont peut-être surestimés. Une récente enquête de Mckinsey rapportait que beaucoup pensent que seulement 50 sociétés africaines font un milliard de dollars de chiffre d’affaires annuel, alors qu’il y a en réalité 400 qui le font chaque année.[9] La perception du risque en Afrique doit être reconsidérée pour refléter la résilience, la digitalisation et l’intégration croissante qui se développent sur les marchés africains.

Pour attirer des financements supplémentaires, aussi bien de l’intérieur qu’à l’international, et stimuler la participation du secteur privé aux financements verts, les gouvernements africains doivent continuer l’assainissement de leur climat des affaires. Les pays n’ayant pas agi dans ce sens devraient mettre en place des incitations fiscales vertes pour encourager les projets visant à réduire les dommages environnementaux. Les gouvernements africains devraient aussi mandater leurs Agences de Promotion des Investissements à être au premier plan dans la quête de durabilité de leurs pays.

Figure 2: Part du financement climatique privé dans le financement climatique total par région (moyenne de 2019/2020)

Dans le but d’élargir l’accès au financement climatique, les pays africains devraient tirer parti des instruments financiers dont l’efficacité est prouvée pour mobiliser du financement climatique dans le monde entier, tels que les obligations vertes – un produit financier relativement innovant pour les levées de fonds dans le cadre des projets de développement durable axés sur l’environnement, qui accélèrent l’atténuation et l’adaptation au changement climatique. Plus de 70 % des obligations vertes africaines sont émises en Afrique du Sud, avec le Nigeria et le Maroc contribuant à hauteur de 23 %.[10]Le plus gros problème est que l’Afrique n’émet que 1 % des obligations vertes, selon la Commission Economique pour l’Afrique.[11] Cette situation est préoccupante étant donné l’ampleur des besoins de l’Afrique en matière de financement climatique.

Un autre instrument tout aussi efficace pour attirer les financements climatiques est le crédit carbone. Le marché de crédit carbone a le potentiel d’attirer des milliards de dollars d’investissement. Selon l’Initiative du Marché Africain du Carbone (IMAC), l’Afrique génère seulement 2 % de son potentiel en crédit carbone. Si le continent pouvait atteindre son niveau cible de 300 millions de crédits carbone annuels d’ici 2030, cela débloquerait 6 milliards de dollars de revenus, créant 30 millions d’emplois.[12] Le Kenya, le Malawi, le Gabon, le Nigeria, et le Togo ont déjà exprimé leur volonté de collaborer avec l’IMAC. Le Gabon, le deuxième plus grand pays boisé du monde après le Suriname, prévoit d’organiser la plus grande vente de crédits carbone jamais réalisée, qui pourrait rapporter plus de 2 milliards de dollars. Les autres pays devraient lui emboîter le pas.

L’instrument de financement climatique actuellement discuté dans les échanges internationaux est l’instrument Climate/SDG debt swap (conversion de dette Climat/ODD). Cette restructuration de la dette engage le débiteur à entreprendre des actions spécifiques axées sur le climat. Les économistes du FMI ont confiance en son efficacité économique[13], ce qui en fait un outil potentiel pour les pays africains qui ont fait défaut sur leur dette ou qui sont à risque de faire défaut sur leur dette souveraine. En janvier 2023, la Zambie a reçu une proposition de Climate debt swap du Fonds mondial pour la nature (WWF) d’une valeur de 13 milliards de dollars pour contribuer à la restructuration de sa dette. Toutefois, pour assurer sa viabilité économique, la conversion de dette climat nécessite une prudence extrême, une étude de faisabilité rigoureuse et un engagement absolu en faveur de la transparence.

Alors que l’Afrique s’apprête à représenter 25% de la population mondiale d’ici 2050, et même 40% d’ici la fin du siècle selon certaines projections[14], il est crucial de mettre en place des partenariats multipartites pour aborder proactivement les défis climatiques. En bâtissant une Afrique plus durable pour les générations futures, nous pouvons à la fois faire face aux pertes économiques et environnementales actuelles et créer un avenir plus prospère et résilient pour tous.

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