Lacina Koné : « Placer les Africains au centre de la révolution digitale »

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Lacina Koné : « Placer les Africains au centre de la révolution digitale »
Lacina Koné : « Placer les Africains au centre de la révolution digitale »

Africa-Press – Djibouti. Il y a dix ans, un groupe de « sages » africains décidaient de réunir leurs forces pour accélérer le développement socio-économique du continent en s’appuyant sur les nouvelles technologies. Cet engagement donnera naissance à l’Alliance Smart Africa, une institution qui rassemble des chefs d’État, mais également des organisations internationales ainsi que des acteurs mondiaux et africains du secteur du numérique. Leur vocation : accélérer la numérisation du continent et créer un marché commun en la matière à l’horizon 2023. Lancée en 2013 par sept chefs d’État africains, l’Alliance compte désormais parmi ses membres 36 pays représentant plus d’un milliard de personnes et plus de 40 membres du secteur privé. À l’occasion de la dernière édition de sa grande messe annuelle, Transform Africa Summit, la première hors du Rwanda qui l’a vu naître, le directeur général de Smart Africa Lacina Koné s’est prêté à un bilan d’étape et a livré les grandes lignes de sa nouvelle feuille de route. Interview.

Le Point Afrique : La dernière édition de Transform Africa Summit, la première post-pandémie, la première également hors du Rwanda, vient de s’achever. A-t-elle atteint ses objectifs ? Du moins, êtes-vous satisfait ?

Lacina Koné : Si les participants sont contents, je le suis aussi parce que je suis jugé par les chefs d’État, les délégués, les partenaires… Les échos sont bons. Surtout pour une première hors de Kigali. C’était un challenge. Et c’est encore plus un challenge quand vous avez des chefs d’État impliqués. Nous avons réuni à Victoria Falls, au Zimbabwe, cinq chefs d’État, dont un roi, 44 ministres et environ 4 000 délégués de 91 pays. Une mobilisation historique donc.

La rencontre s’est tenue dans un contexte particulier, celui de l’après-Covid. Si la pandémie s’est traduite par une accélération de la digitalisation sur le continent, ne reste-t-il quand même pas des défis majeurs ?

Oui, c’est un travail de longue haleine. Mais le pire qui puisse arriver, c’est qu’on ne fasse rien vu qu’on est déjà en retard. Ainsi que le président du Malawi, Lazarus Chakwera, l’a rappelé dans son discours lors de la session d’ouverture, quand vous êtes dans un pays ou un continent où tout est en retard, le seul moyen de se rattraper, c’est de prendre des raccourcis. Et ce raccourci, c’est le numérique.

L’Afrique demeure le continent avec le plus bas taux de pénétration d’Internet avec seulement environ 39 à 40 % de la population par rapport à une moyenne mondiale de près de 60 %. Si la moitié de son marché n’a pas accès à Internet, cela devient un marché numérique de seulement 700 millions de personnes. Ce n’est pas l’Afrique que nous voulons. Pour bâtir l’Afrique dont nous rêvons, nous devons aller plus vite et la 4e révolution industrielle nous permet d’accélérer le rythme et de faire des sauts conséquents. L’Afrique que nous voulons est un continent transformé, innovant, connecté, ce qui était le thème de ce sommet. Cela implique de traduire la feuille de route de la révolution numérique de l’Afrique et d’atteindre notre vision commune de la création d’un seul marché numérique d’ici 2030.

Quel rôle Smart Africa, qui se veut un catalyseur, peut-il et veut-il jouer ?

Smart Africa est en effet un catalyseur, un accélérateur de la transformation et de l’agenda numérique du continent. Et qui dit accélérateur dit anti-décélérateur. Il faut que l’on soit pragmatique, participatif, audacieux ! Quand vous êtes dans une approche accélératrice, vous ne pouvez qu’adopter une approche collaborative. On le voit avec les différents partenaires qui nous soutiennent. Cet engagement et cette mobilisation sont un témoignage de leur soutien et de leur volonté d’accompagner l’agenda numérique africain.

Pour avoir plus d’impact, il faut plus de pays membres, or l’enthousiasme et la forte mobilisation des débuts semblent s’essouffler. Qu’en dites-vous ?

De mon point de vue, il n’y a pas de ralentissement. Quand j’ai pris mes fonctions, en 2019, nous étions 24 membres. En entrant au conseil d’administration de Smart Africa qui s’est tenu pendant Transform Africa, nous étions 36. Avec l’adhésion du royaume d’Eswatini et les candidatures de la la Zambie et du Botswana, nous sommes partis pour être 39 membres.

Il faut savoir que nous sommes ici en présence d’une coalition de bonne volonté car on devient membre pour pouvoir travailler avec les autres. Chaque pays doit de ce fait adopter un schéma directeur. Je prends l’exemple de la Tunisie. Depuis son adhésion en 2017, nous avons travaillé ensemble sur le schéma directeur et le Startup Act. C’est une adhésion de bonne volonté qui n’est pas politique. Ce n’est pas parce que nous avons 54 pays que nous devons avoir 54 membres. Ceci dit, les 37 pays membres aujourd’hui représentent plus de 1,1 milliard de personnes et plus de 85 % de la population du continent.

Vous multipliez les partenariats stratégiques avec des acteurs internationaux du secteur, dont Hewlett Packard, Hitachi, des sociétés africaines également. L’implication du secteur privé est-elle importante dans cette accélération de la transformation digitale du continent ?

Le secteur privé en est la clé ! Pour que le continent puisse s’épanouir, nous avons besoin du secteur privé. Le background de cette transformation, c’est le secteur privé parce que nous n’avons pas le savoir-faire. Nous nous appuyons sur les acteurs internationaux comme Hitachi, que vous mentionnez, mais aussi sur des Afrochampions comme Ascend Digital ou Asmos Consulting Africa qui ont également officialisé leur adhésion au cours du sommet. Ce que nous visons, c’est créer des Afrochampions parce que ce sont eux qui vont soutenir les économies africaines.

Quand nous avons adopté le Smart Africa Manifesto, à l’issue de la première édition de Transform Africa, en octobre 2013, lequel texte a conduit à la création de l’Alliance, nous l’avions souligné. Il s’agissait de donner la priorité au secteur privé et pas seulement au secteur privé international. Il est temps de faire confiance à notre secteur privé.

Cette édition de Transform Africa marquait également le dixième anniversaire de Smart Africa. L’occasion de faire un bilan, mais aussi de dégager des perspectives. Quelle est votre feuille de route pour les deux prochaines années ?

Dix ans, c’est effectivement un âge important pour une institution. L’occasion de faire une pause et de revenir sur les dix dernières années pour observer les montagnes que nous devons encore gravir. Aujourd’hui, nous exprimons notre gratitude aux pères fondateurs de la Smart Africa Alliance lancée lors du premier Transform Africa Summit en octobre 2013 par 7 chefs d’état avec pour mandat de conduire les développements socio-économiques de l’Afrique en tirant parti du pouvoir de la transformation numérique. Ce fut un début modeste avec un capital de 600 000 dollars américains. Ce fut aussi important car une graine avait été plantée pour transformer l’Afrique et en faire le continent que nous voulons.

Nous regardons aujourd’hui derrière et pouvons dire avec fierté que nous avons joué notre rôle. Notre voyage de dix ans a été marqué par une collaboration et un partenariat multipartite solide et significatif à travers des projets et des initiatives pratiques, avec une vision partagée accélérant la création d’un marché numérique unique en 2030. Nous sommes passés de sept États membres en 2013 à une alliance de 37 États membres représentant une population de 1,1 milliard de personnes, plus de 50 membres privés et un capital de 23 millions de dollars. Et nous continuons de grandir.

Des partenariats ont été développés à travers le continent, plus d’une centaine, y compris avec des agences de développement et des organisations de financement telles que BMZ, GIZ, l’Union européenne, la Banque mondiale, le NORAD, la Banque africaine de développement, la BADEA…

Pour ce qui concerne notre nouvelle feuille de route, il s’agit de nous réorganiser en quatre grands programmes. D’abord autour des mots clés « Connect, Innovate Transform ». « Connect » concerne les infrastructures de base inclusives et durables, à long terme. « Innovate » porte sur le renforcement des capacités. « Transform » porte sur la transformation numérique et les services numériques. Ensuite, autour de la digitalisation et de l’accompagnement des pays membres. Certains pays ont en effet besoin d’accélérer leur digitalisation et de bénéficier de ce type d’accompagnement adapté. Ce sont les grandes lignes de notre schéma 2023-2025.

Nous avons comme objectif d’avoir un plus grand impact sur la transformation économique et sociale de l’Afrique et de placer les Africains au centre de la révolution digitale pour la création d’une société juste et inclusive qui offre des chances égales à tous. Dix ans plus tard, notre mandat reste plus pertinent que jamais.

La prochaine édition de Transform Africa, sera-ce un retour à Kigali ou la poursuite de votre tournée africaine ?

Nous allons effectivement continuer de tourner sur le continent avant de rentrer à Kigali. Les candidatures sont ouvertes pour la prochaine édition. Elles devront être bouclées en septembre prochain. Plusieurs critères vont être déterminants dont notamment les infrastructures, la sécurité et la logistique.

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