Smart Africa, l’alliance du numérique de Paul Kagame, a-t-elle rempli ses promesses ?

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Smart Africa, l’alliance du numérique de Paul Kagame, a-t-elle rempli ses promesses ?
Smart Africa, l’alliance du numérique de Paul Kagame, a-t-elle rempli ses promesses ?

Africa-Press – Djibouti. C’est dans le majestueux décor des chutes Victoria, au Zimbabwe, que Smart Africa a tenu à célébrer ses dix ans, profitant de la tenue de son événement annuel, le Transform Africa Summit (du 26 au 28 avril).

Pour Lacina Koné, directeur général de l’alliance publique-privée panafricaine depuis 2016, c’est surtout l’occasion de montrer l’engagement que son organisme a su créer au fil des ans, en réunissant 5 000 participants de plus de 100 pays, dont six chefs d’État (Zimbabwe, Rwanda, Sénégal, Eswatini, Malawi et Zambie), plusieurs ministres et des représentants du secteur privé.

Cloud, smart city et e-commerce

Initiée par le président du Rwanda, Paul Kagame, qui en assure toujours la présidence du conseil d’administration, l’organisme a été conçu pour développer l’économie numérique et l’administration connectée sur le continent. Mais au fil des ans, les chantiers se sont multipliés et la lisibilité de son action s’est complexifiée. « Quantifier l’impact concret de l’alliance est difficile, mais elle influe positivement certaines décisions, comme le Start-up Act », concède un conseiller présidentiel sénégalais. « Smart Africa n’est pas restée qu’une idée rédigée sur du papier et exprimée dans des discours », veut croire son directeur général.

Selon ce dernier, qui a pris les rênes de l’alliance en 2019, l’organisation a vu plusieurs concrétisations en dix ans : « De 7 pays membres, nous sommes passés à 36 actuellement [la Guinée est sur le point de devenir le 37e membre]. Et nous disposons d’une douzaine de projets de schéma directeur [sur 34 au total] déjà prêts à être exécutés », explique Lacina Koné

Pour chaque projet, un pays a été désigné comme un « vaisseau amiral », responsable de la conceptualisation d’un cadre juridique et réglementaire et de sa mise en application. Le tout est concilié ensuite dans un texte devant être remis à l’alliance puis ratifié par l’ensemble des pays membres.

Le projet « cloud et datacenter pour l’Afrique » a par exemple été confié à Djibouti ; celui relatif à la protection et la confidentialité des données revient au Sénégal ; le Rwanda, pour sa part, est responsable des villes intelligentes (smart cities) ; les villages intelligents sont gérés par le Niger ; tandis que la thématique de l’e-commerce et du paiement en ligne est pensée au Ghana.

Baptisé One Africa Network, le projet de souveraineté numérique, qui comporte un volet sur l’interconnexion des réseaux mobiles (roaming), est effectif dans neuf pays d’Afrique de l’Est. Et les discussions pour son application en Afrique de l’Ouest ont débuté, selon le dirigeant ivoirien.

Financement des start-up et des télécoms

Smart Africa constitue aussi des sociétés filiales à capitaux publics africains (special purpose vehicule) afin de bénéficier d’un financement commun pour l’achat d’équipement télécoms. « Nous sommes accompagnés par la Banque arabe pour le développement économique [Badea], et neuf pays sont prêts à entrer dans ce projet », assure Lacina Koné.

Bloc Smart Africa Fund, un fonds d’investissement dans les start-up est également en cours de création avec l’investisseur luxembourgeois Bamboo Capital Partners. L’objectif pour Smart Africa est de lever 100 millions d’euros, notamment grâce à l’apport de 5 millions d’euros par chaque pays membre, ce qui doit représenter 70 % de la somme finale.

« La Côte d’Ivoire a payé sa contribution et nous avons déjà pu investir dans cinq start-up », fait savoir le directeur général de Smart Africa. Parmi les bénéficiaires du fonds, figurent le camerounais Waspito, spécialisé dans la télémédecine et créé par Jean Lobe Lobe, et la plateforme sénégalaise d’e-commerce Afrikamart, des frères Mignane et Albert Diouf.

Autre chantier déterminant, le pilote du projet d’intégration des systèmes d’identité numérique, « socle d’une vraie transformation », aux dires de Lacina Koné. Il doit débuter dans les prochaines semaines entre le Bénin, le Togo, le Ghana et le Sénégal. Pour autant, tout ne convainc pas dans l’action de l’alliance, qui compte à son conseil d’administration des acteurs privés comme Huawei, Orange, Google, PWC ou encore SoftBank.

« Coalition de bonnes volontés »

« Nous avons travaillé pendant un an avec eux sur l’interopérabilité dans les transferts d’argent transfrontaliers. Nous étions la seule entité privée et devions travailler avec la Banque mondiale [BM] et l’IFC [la Société financière internationale]. Et je peux vous dire que les résultats sont loin d’être au rendez-vous », relate une dirigeante d’une grande plateforme africaine d’infrastructure de paiement.

« Ils savent parfaitement engager différents acteurs et construire des communautés, mais je ne vois aucun résultat concret pour le moment. Nous avons donc décidé de nous désengager progressivement », poursuit-elle.

Au premier jour du Transform Africa Summit, le 25 avril, Smart Africa et la Banque africaine de développement (BAD) ont néanmoins annoncé un projet sur les paiements numériques et les politiques de commerce électronique pour le commerce transfrontalier (Idect), de 1,5 million de dollars.

Celui-ci prévoit des programmes régionaux de formation sur ces sujets pour 600 membres de gouvernements, dont 60 % de femmes, dans 10 pays du continent. « L’Union africaine [UA] est prête à travailler, nous devons juste aller plus vite », a souligné Paul Kagame lors de la cérémonie d’ouverture.

Est-ce un vœu pieux, formulé par le président du Rwandais et de l’alliance ? Pour l’heure, aucun chantier n’a été appliqué aux 36 pays membres. Et qu’en sera-t-il des 18 (bientôt 17) pays non-membres ? En tant que « coalition de bonnes volontés », comme se plaît Lacina Koné à décrire l’organisation qu’il pilote, Smart Africa ne dispose d’aucun pouvoir de coercition, à l’inverse de l’UA, qui se monte néanmoins très discrète sur les questions de développement et de souveraineté numérique. Mais l’alliance espère jouer un rôle de catalyseur pour transférer ses bonnes pratiques à l’institution panafricaine.

Elle bénéficie pour cela d’un soutien financier de grands groupes privés, comme le géant des télécommunications Econet, fondé par le milliardaire zimbabwéen Strive Masiyiwa, ou encore l’indien Tata Communications. Chaque année, ces groupes déboursent 200 000 dollars pour siéger comme membre platine – une participation qu’ils sont libres de renouveler ou non – et tenter d’imposer leur vision du développement du numérique sur le continent.

Interrogé sur ce point, Lacina Koné se défend de toute ingérence extérieure : « La plupart des programmes que nous menons ne sont pas issus de propositions du secteur privé mais de celles nos partenaires du développement, comme l’allemand BMZ, la coopération norvégienne, la BM, la BAD et la Badea », assure-t-il.

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