Africa-Press – Djibouti. Le président du Botswana Mokgweetsi Masisi n’a pu retenir son étonnement lorsqu’une représentante de la société Lucara Diamond a déposé un énorme diamant de 2.492 carats dans ses paumes grandes ouvertes, ce 22 août 2024. Les yeux écarquillés, il découvrait ce qui est désormais le deuxième plus gros diamant au monde, découvert dans le nord-est du pays
Il détrône ainsi le Sewelô, une pierre de 1758 carats extraite de la même mine en 2019, et le place derrière le célèbre Cullinan (3106 carats) découvert en 1905 en Afrique du Sud.
Derrière la découverte de ce diamant, l’histoire de la géologue-aventurière Eira Thomas
L’histoire de cette nouvelle pierre d’exception, c’est d’abord celle d’une géologue-aventurière qui a révolutionné les techniques d’extraction minière. En 1991, Eira Thomas, l’actuelle PDG de Lucara Diamond, a 22 ans et est fraîchement diplômée lorsque son prospecteur minier de père lui demande de l’aider à trouver un gisement au Canada, une terre jusque-là vierge de toute mine diamantifère.
À cette époque, la quasi-totalité des pierres brutes utilisées en bijouterie proviennent d’Afrique australe. Mais des pierres trouvées dans le sol et les rivières semblaient indiquer la présence de kimberlites dans le nord du Canada.
La kimberlite tient son nom de la ville de Kimberley en Afrique du Sud, où elle a été décrite pour la première fois en 1870, après la découverte d’un diamant enchâssé dans le mur d’une maison.
Cette roche magmatique se forme à des centaines de kilomètres de profondeur dans le manteau terrestre, où les conditions de pression et de chaleur sont si intenses que le carbone se cristallise en diamant.
Le Botswana, exception démocratique d’Afrique australe
Il y a plus de 2,5 milliards d’années, des flux volcaniques ont transporté ces diamants jusqu’à la surface. Les vestiges de ces éruptions ont pris la forme caractéristique de tuyaux cylindriques de minerais riches en diamants: les kimberlites. L’ennui, c’est que seulement un site de kimberlite sur 100 est diamantifère et un sur 20.000 est susceptible d’être rentable…
Eira Thomas rejoint donc les vastes territoires canadiens du nord-ouest et en 1994, à seulement 25 ans, son flair scientifique la mène à la découverte du gisement de diamants de Diavik, près du lac de Gras, l’un des plus riches au monde, fournissant depuis 2003 plus de 8 millions de carats (1600 kg) par an. Ce premier fait d’armes lui vaudra le surnom de “reine du diamant”. Mais la jeune géologue, qui suit son père sur les terrains de prospection depuis l’âge de six ans, ne s’arrête pas là. En 2007, elle fonde avec deux associés la société Lucara, dans le but de prospecter au Botswana, une exception démocratique d’Afrique australe, qui tire 33 % de sa richesse nationale de l’activité diamantaire sans en faire des “diamants de sang”.
Après des débuts difficiles, l’entreprise finit par racheter le site de Karowe – à environ 500 kilomètres au nord de la capitale Gaborone – au diamantaire sud-africain De Beers. Si ce dernier a découvert le site dans les années 1970, il ne l’a en réalité quasi pas exploité du fait de sa faible teneur en diamants comparé à son site voisin Orapa.
La mise en place d’une méthode innovante pour trier les diamants
En étudiant les échantillons extraits plus de trente ans auparavant, les géologues de Lucara s’aperçoivent que de nombreuses pierres ont été brisées le long de leurs lignes de fissures, et qu’elles sont sans doute issues de pierres plus grosses. Ils comprennent alors que ce sont les modes de tri de l’époque qui les ont réduites à de petites pierres. Ils en concluent que si le site de Karowe est relativement pauvre en diamants (quelque 15 carats par centaine de tonnes de minerai contre mille pour Diavik), ces rares diamants semblent être de grande dimension.
Eira Thomas et son équipe de géologues décident alors de mettre en place une chaîne de tri innovante. Les minerais extraits sont désormais brassés dans un tambour rotatif – un moulin autogène – où ils se cassent entre eux, un processus bien moins destructif que le broyage pratiqué ailleurs en Afrique australe. Les pierres concassées doivent être ensuite triées pour repérer les diamants.
C’est là que se pose à eux un nouveau problème: les diamants du gisement sont de type IIa, des diamants remontés des plus grandes profondeurs, réputés pour leur transparence et leur pureté (quasiment 100 % de carbone), qui ne représentent que 0,8 % des pierres extraites dans le monde !
Dépourvus d’azote, ils ne sont pas fluorescents et ne peuvent être détectés par la luminescence aux rayons X, un processus de tri largement utilisé dans les mines de diamants. Le géologue canadien John Armstrong suggère alors d’utiliser un autre type de détection par rayons X qui a fait ses armes dans l’industrie du recyclage des déchets.
C’est ainsi qu’en 2014, Lucara approche la société norvégienne TOMRA, fondée par les frères Planke dans les années 1970, initialement pour gérer le tri des bouteilles vides d’un épicier local.
De décennies en décennie, l’entreprise a connu une extension mondiale tandis que ses technologies de recyclage des déchets se perfectionnaient. Pour les adapter aux mines de diamants, Lucara a investi plus de 50 millions de dollars dans l’entreprise norvégienne et a entièrement repensé son circuit de tri autour de six machines utilisant la technique dite de “transmission des rayons X” (XRT).
Après l’étape de concassage, le flux de minerais est déversé sur un tapis roulant. Les pierres sont ensuite “scannées” par un tube à rayons X, dont le rayonnement pénètre les matériaux et fournit des informations d’absorption spectrale mesurées par une caméra à rayons X.
Placée à l’opposé du dispositif, cette caméra analyse la “transparence des atomes”. Le carbone ayant un numéro atomique parmi les plus faibles, on peut facilement le distinguer des autres minerais, car il est le plus transparent aux rayons X. Lorsque le système détecte un diamant, un signal est envoyé à l’unité de contrôle, qui ouvre la vanne correspondant à sa position à l’extrémité de la bande transporteuse. La gemme est alors séparée du flux de matériaux par un jet d’air comprimé, qui la fait retomber dans un deuxième circuit de tri (voir la vidéo ci-après).
Une pierre de 269 carats qui se vend environ 20 millions de dollars
Une première machine pilote est mise en route. Mais elle n’isole pas le moindre diamant pendant des mois. Le doute se distille chez les investisseurs.
Néanmoins, les machines sont livrées. Et en avril 2015 l’usine entière n’utilise plus que la technologie XRT. Un pari risqué au vu des piètres premiers pas… Mais dès les premiers jours d’utilisation du nouveau système, c’est le jackpot avec la détection d’une pierre de 269 carats qui se vendra par la suite pour quelque vingt millions de dollars.
Entre-temps, les chercheurs de Lucara ont mis en exploitation le lobe sud du gisement, après avoir fait chou blanc avec le lobe nord. Six semaines de découvertes de pierres exceptionnelles vont d’emblée rembourser l’investissement dans les nouvelles machines.
Et le 16 novembre 2015, c’est une pierre grosse comme une balle de tennis qui est découverte: le Lesedi La Rona, d’un poids de 1109 carats, aujourd’hui quatrième plus gros diamant jamais découvert. Son acheteur – pour 63 millions de dollars -, le joaillier britannique Graff en a tiré un diamant taillé en émeraude de 302 carats et 66 pierres taillées plus petites.
Taille du Lesedi La Rona.
Dès le lendemain de la découverte, deux pierres de 374 et 813 carats – cette dernière a été baptisée Constellation – rejoignent les coffres de Lucara. En 18 mois de fonctionnement, plus de 200 kilos de diamants sont sortis du lobe sud de la mine.
Une véritable caverne d’Ali Baba géologique ! En 2020, peu avant le confinement, une pierre de 549 carats a été découverte grâce au “Mega Diamond Recovery”, un équipement mis en place en 2017 directement derrière le premier broyeur sur le site même d’extraction.
Cette installation bien en amont de l’usine de traitement est destinée à maximiser la récupération de diamants d’exception. C’est cet équipement qui a permis de détecter la nouvelle pierre et qui contribue notamment à l’ascension continue du Botswana dans les rangs des pays producteurs de diamants
Depuis 2012, date du début de l’exploitation de la mine de Karowe, 30 diamants de plus de 300 carats en ont été extraits, dont quatre de plus de 1000 carats. Quelques 11 diamants ont été vendus pour plus de 10 millions de dollars chacun, représentant au total un revenu de 237 millions de dollars !
La société canadienne prévoit d’exploiter la mine à ciel ouvert jusqu’en 2026 et de creuser ensuite le sous-sol en arborescence. La mine de Karowe devrait ainsi continuer à bouleverser le marché du diamant probablement jusqu’en 2040.
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