Africa-Press – Djibouti. Sur la mappemonde utilisée dans les salles de classe du monde entier, la superficie de l’Union européenne semble à peine plus petit que celle de l’Afrique. Cette dernière est en réalité plus de sept fois plus vaste et une initiative continentale demande le remplacement de la carte dite de « Mercator ».
Gerardus Mercator était un géographe, cartographe, philosophe et théologien né en Flandres en 1512. Sa carte du monde, dévoilée en 1569, a été conçue pour la navigation maritime et fait référence.
Sa « projection » (représentation plane de la sphère terrestre) conserve les formes et angles des différents continents, permettant aux marins de tracer des itinéraires en ligne droite à travers les océans. Mais elle ne respecte pas les échelles.
« Pendant des siècles, la projection de Mercator a minimisé l’Afrique, alimentant un récit selon lequel l’Afrique est plus petite, périphérique et moins importante », regrette auprès de l’AFP Fara Ndiaye, cofondatrice du groupe panafricain Speak up Africa (Afrique, exprime-toi).
Son organisation a alors lancé en avril la campagne « Correct the Map » (Corrige la carte) avec le groupe Africa No Filter (L’Afrique sans filtre) pour que le continent apparaisse à sa juste taille sur les projections utilisée par les écoles, médias et organisations internationales.
– Casse-tête –
Transformer une sphère, la Terre, en rectangle parfait, est un casse-tête: il faut nécessairement couper, étirer ou omettre certaines parties, expliquent des experts à l’AFP.
Une mappemonde sera également différente s’il est décidé que l’Australie ou la Sibérie en constituent le centre.
Historiquement, les cartes ont donc reflété la vision du monde de leurs concepteurs. Les tablettes d’argile des Babyloniens plaçaient cet empire du VIe siècle av. J.-C. au centre du monde. Les cartes médiévales européennes étaient influencées par la religion.
La projection de Mercator, européo-centrée, étire quant à elle les zones proches des pôles tout en rétrécissant les régions équatoriales, rendant des régions comme l’Europe et l’Amérique du Nord bien plus grandes qu’elles ne le sont réellement.
Cent km2 en Norvège apparaissent quatre fois plus grands que la même superficie au Kenya. Le Groenland semble avoir la même taille que l’Afrique et l’Amérique du Sud. Or l’Afrique est en réalité 14 fois plus vaste que le Groenland. Le Brésil à lui seul est quatre fois plus grand.
Des alternatives à Mercator ont émergé tout au long du XXe siècle. Comme celles de Winkel Tripel en 1921 et d’Arthur Robinson en 1963, qui ont réduit les distorsions mais sacrifié la précision.
La projection Gall-Peters des années 1970 a rétabli les proportions mais étiré les formes.
Tentant de trouver un équilibre, les cartographes Tom Patterson, Bojan Savric et Bernhard Jenny ont lancé en 2018 la projection Equal Earth (Terre égale, NDLR).
L’Afrique, mais aussi l’Amérique latine, l’Asie du Sud et l’Océanie, y apparaissent infiniment plus vastes que sur la projection de Mercator.
« Correct the map » vise à élargir l’utilisation de la carte d’Equal Earth, récemment plébiscitée par l’Union africaine.
« Nos prochaines étapes consistent à promouvoir son adoption dans les programmes scolaires africains (…) et à collaborer avec médias et éditeurs », explique Mme Ndiaye, « nous impliquons aussi l’ONU et l’Unesco ».
– Polémique « naïve » –
Cette carte « préserve les surfaces relatives des continents et, autant que possible, montre leurs formes telles qu’elles apparaissent sur un globe », explique à l’AFP Bojan Savric, l’un de ses concepteurs.
« La plupart des logiciels de cartographie prennent en charge Equal Earth depuis 2018 », pointe-t-il, concédant qu’il est difficile de changer les habitudes.
En outre, en préservant les surfaces, Equal Earth « ne conserve pas les angles », ce qui rend « les calculs de distance ou de direction entre deux points sur la carte plus complexes », observe Ed Parsons, géographe numérique, pour qui « aucune projection n’est exempte de problèmes ».
« Toute affirmation selon laquelle Mercator induit les gens en erreur de manière flagrante semble naïve », fait valoir à l’AFP Mark Monmonier, professeur de géographie à l’Université de Syracuse et auteur de « Comment mentir avec des cartes », soulignant que tableaux et graphiques sont bien plus adaptés pour comparer des pays que des cartes.
« Pour gagner le respect planétaire », l’Afrique doit « s’appuyer sur l’excellence de ses politiques » plutôt que sur sa taille sur une carte, estime de son côté Bright Simons, analyste politique ghanéen, ajoutant que la Corée du Sud, aussi grande ou petite que Mercator la fasse paraître, a à elle seule « presque le même PIB que les 50 pays africains réunis ».
Fara Ndiaye reste convaincue par sa cause: « nous aurons réussi quand les enfants partout ouvriront leurs manuels scolaires et verront l’Afrique telle qu’elle est réellement: vaste, centrale et indispensable. »
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