Dans un trou noir, l’espace et le temps existent-ils encore ?

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Dans un trou noir, l'espace et le temps existent-ils encore ?
Dans un trou noir, l'espace et le temps existent-ils encore ?

Africa-Press – Djibouti. L’espace et le temps existent-ils encore dans un trou noir ?”, nous demande Sandy Rucheton sur notre page Facebook. C’est notre question de la semaine. Pour y répondre, (re)découvrez ci-dessous notre article publié initialement dans le magazine Les Indispensables de Sciences et Avenir n°209 (daté avril/ juin 2022) et intitulé “Voyage au centre d’un trou noir : est-ce que le film Interstellar est réaliste ?”.

Un trou noir, une machine où le temps et l’espace n’existent plus ?

L’une des péripéties du film Interstellar (2014) voit l’astronaute Joseph Cooper s’approcher de Gargantua, trou noir central d’une galaxie imaginaire. Il passe sans encombre le disque de matière qui ceint l’astre et plonge au-delà de ce qu’on appelle son horizon des événements, seuil de la région qui l’entoure d’où rien ne peut s’échapper, pas même la lumière. Cooper est alors brinquebalé vers le centre de l’objet céleste, que Christopher Nolan, le réalisateur, décrit comme une machine où le temps et l’espace n’existent plus…

Un scénario réaliste ? Peut-être… ou peut-être pas. Car, surchauffé à des millions de degrés, le disque de matière qui gravite généralement autour de tels trous noirs supermassifs émet des rayons X délétères. “Sauf si ce disque ne s’était pas alimenté en matière extérieure depuis des millions d’années, ce qui est peu probable, Cooper serait à coup sûr grillé avant d’aller plus loin ! commente Alain Riazuelo, chercheur à l’Institut d’astrophysique de Paris. Le film a cependant raison sur un point : Cooper ne sentirait pas l’effet des forces de marée, inévitable.”

“L’espace entre l’horizon et le centre est donc… vide”

Les forces de marée, ce sont les effets dus à l’attraction différentielle des points d’un solide : par exemple, la Lune attire davantage le côté le plus proche de notre planète que son centre, et encore plus que le point opposé. La Terre est étirée dans le sens de l’axe Terre-Lune. Dans le cas d’un trou noir, la puissance de cet effet détermine l’étirement du corps qui s’en approche, un phénomène que le physicien Stephen Hawking a appelé spaghettification. S’il s’agit d’un trou noir d’une à dix masses solaires, le problème est vite réglé : les effets de marée déchirent tout corps constitué bien avant qu’il n’atteigne l’horizon des événements.

En revanche, près de l’horizon d’un trou noir de 225 millions de masses solaires tel que Gargantua, les forces de marée se font encore peu sentir, car leur intensité varie en proportion inverse du carré de la masse centrale. Cooper peut traverser l’horizon sans même s’en rendre compte ! “C’est comme émettre un chèque, sourit Alain Riazuelo. On ne prend conscience du prélèvement qu’après avoir reçu le relevé de la banque.” Les signaux que Cooper pourra émettre seront de plus en plus faibles à mesure qu’il s’approche de l’horizon. Passé cette limite, aucun photon ne pourra en parvenir, et l’astronaute deviendra pour toujours invisible aux yeux d’un observateur extérieur. Il pourra cependant continuer à recevoir des messages.

Pour le héros d’Interstellar, s’en suit une chute vertigineuse vers le cœur de l’astre. Dans la réalité, elle se déroulerait tout autrement. “Rien ne résiste à l’attraction immense du centre, décrit Éric Gourgoulhon, directeur de recherche à l’observatoire de Meudon. Tout tombe très vite vers lui. L’espace entre l’horizon et le centre est donc… vide.”

Et ensuite ? Mystère. Ce qui se passe au centre demeure une énigme. Car les trous noirs restent une des curiosités les plus déconcertantes de notre Univers. Les plus massifs comme Gargantua, qui siègent au centre des galaxies, se sont formés en même temps que leur galaxie-hôte. Ceux dont la masse se situe entre 1 et 10 masses solaires sont la forme ultime d’une étoile massive en fin de vie. Quand celle-ci explose en supernova, son cœur se contracte tellement qu’aucune force nucléaire ne peut plus assurer la cohésion des atomes. Le cœur s’effondre irrémédiablement. “Selon les équations de la relativité générale, mise au point par Albert Einstein en 1915, l’effondrement aboutit à un endroit de densité et courbure infinies, ce que les mathématiciens appellent une singularité”, rappelle Éric Gourgoulhon.

Le trou noir, un objet céleste éternel ?

Ce lieu peut avoir plusieurs formes selon la sophistication des modèles. Le plus simple – mais le moins réaliste ! – est un trou noir statique qui n’avale aucune matière. Il est dit de Schwarzschild, du nom du physicien allemand qui en avança le premier l’hypothèse. En ce cas, le centre du trou noir est un point de densité infinie. Une description bien plus réaliste est à porter au crédit du Néo-Zélandais Roy Kerr et de l’Américain Ezra Newman qui, en 1963 pour le premier et 1965 pour le second, envisagèrent le cas d’un trou noir en rotation et de charge électrique non nulle, proposition qui présente cependant elle aussi un défaut : elle suppose que le trou noir n’a pas été créé et ne reçoit pas de matière. Bref, qu’il est éternel.

Dans ce modèle, la singularité n’est plus un point mais un anneau – une théorie qui suscitera les idées les plus farfelues, comme les “trous de ver”, tunnels reliant deux points de l’espace-temps, ou le passage d’un univers à un autre. Aborder cet anneau est très difficile, car plus on s’approche du centre, plus la vitesse de rotation est grande. Et avec elle, les forces centrifuges qui tendent à repousser la particule qui s’approche. Il arrive alors une zone, l’horizon de Cauchy, où les forces centrifuges l’emportent. Tout ce qui s’approche est rejeté vers l’extérieur. C’est un mur de rayonnement infranchissable. Dans le cas de notre astronaute interstellaire, “Cooper devrait alors recevoir une quantité de rayonnement infini en un temps infiniment bref”, assure Alain Riazuelo.

Cependant, aucun de ces modèles ne permet aux physiciens de se débarrasser de la singularité. Ce qui leur pose problème, car ils ne savent pas jongler avec des caractéristiques infinies. De plus, ils reconnaissent que leur description du centre du trou noir est fausse, car elle ne se base que sur la théorie de la relativité générale, qui ne peut s’appliquer à ces densités extrêmes. Règne alors en maîtresse la physique des particules, décrite par la mécanique quantique, une théorie probabiliste. Selon les calculs d’Alain Riazuelo, pour un trou noir d’une masse solaire, ces effets quantiques interviennent 10-24 seconde avant d’atteindre la singularité.

Voyager dans le temps ?

Pour réconcilier ces deux sœurs ennemies de la physique, certains astrophysiciens tentent depuis les années 1960 d’élaborer la théorie des cordes, dans laquelle les particules ne sont plus ponctuelles mais ressemblent à des cordes, à une dimension. D’autres, comme Carlo Rovelli ou Aurélien Barrau, construisent une théorie de la gravitation quantique à boucles, dans laquelle l’espace-temps est granulaire. La taille du plus petit élément est alors l’échelle de Planck, soit 10-35 mètre, longueur à laquelle la théorie de la gravitation cesse de s’appliquer. L’espace-temps n’étant plus continu comme dans la relativité générale, il n’est plus question de singularité de densité infinie. Reste cependant à construire une théorie prédictive et à la vérifier par de multiples tests. Cooper parviendrait-il alors à voyager dans le temps, comme le pense Christopher Nolan ? Peut-être ! Il rejoindrait alors Buzz l’Éclair “vers l’infini… et au-delà”.

Les formes du trou noir

Pour un observateur extérieur, le trou noir est délimité par son horizon des événements : au-delà de cette limite, aucun objet, ne serait-ce qu’un photon, ne peut en ressortir. Cet horizon présente une forme quasiment sphérique – plus le trou noir tourne vite, plus cette sphère s’aplatit. Son rayon est proportionnel à la masse de l’objet central. Pour un trou noir d’une masse solaire, il mesure 3 kilomètres. Pour Gargantua, de 225 millions de masses solaires, il serait de 775 millions de kilomètres. À l’échelle du Système solaire, il engloberait tout jusqu’à Jupiter !

Par ailleurs, à l’intérieur du trou noir, l’espace est complètement perturbé. En effet, la courbure de l’espace-temps y est extrême : la notion de distance au centre n’est plus pertinente. “C’est comme une bouteille vue du dessus, prévient Carlo Rovelli, professeur à l’Université Aix-Marseille. L’observateur extérieur ne voit que le bouchon alors que le volume intérieur est bien plus grand.” Cette notion de volume est à manier avec prudence, car elle ne s’entend que pour des objets statiques l’un par rapport à l’autre. Or, dans un trou noir, tout tombe vers le centre… Tout est donc en mouvement.

Un trou noir est délimité par son horizon des événements (en bleu), en deçà duquel aucune particule ne peut ressortir. Ses autres couches dépendent de sa vitesse de rotation. Pour un trou noir statique (en haut), le centre est un point de densité infinie (en rouge). Pour un trou noir tournant à la moitié de la vitesse de la lumière (au milieu) ou à 90% de la vitesse de la lumière (en bas), le point se transforme en anneau et on note un autre horizon, celui de Cauchy, sur lequel les particules butent du fait des énormes forces centrifuges. Crédits : R. T. CAVALCANTI, SAGEMANIFOLDS PROJECT

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