Africa-Press – Djibouti. L’association interprofessionnelle brésilienne des producteurs d’agrumes et industriels de jus Fundecitrus a publié le 10 septembre 2024 ses prévisions de récolte d’oranges à jus pour 2024. Et ce n’est pas bon. La production est estimée à 215,78 millions de “box” (l’unité de mesure des récoltes d’agrumes, qui représente 40,8 kilos). En mai dernier, une première estimation espérait encore 232 millions de box. 2024 est donc pire que 2023, avec une baisse de 30% des volumes.
Une sécheresse historique au Brésil
C’est la quatrième année de suite que le “citrus belt”, la grande région agrumicole des Etats de São Paulo et du Minas Gerais au Brésil, connaît un effondrement des rendements. En cause: “Principalement les conditions de grosses chaleurs et de temps sec. Les fruits sont de très petites tailles du fait du manque de pluie”, commente l’organisation agricole.
Le secteur agrumicole est la victime d’une sécheresse historique pour le Brésil. Et c’est le changement climatique qui est en cause. Dans une étude de l’institut des géosciences de l’université de São Paulo publiée en février 2024 dans Nature, les chercheurs affirment que les besoins en eau des végétaux dans cette région du centre-est du Brésil ne sont plus remplis par les précipitations depuis les années 1970, amenant à une situation permanente de stress hydrique sur la principale région agro-industrielle du pays. Les chercheurs ont par ailleurs démontré que la période de sécheresse actuelle n’avait eu aucun équivalent au cours des 720 dernières années.
“Ces résultats confirment les prémisses d’une sévère sécheresse de long terme dans les zones subtropicales de l’est de l’Amérique du Sud qui a de forte de chance d’être exacerbée dans le futur, du fait de son lien avec l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre”, concluent les auteurs. Cette situation vieille d’un demi-siècle est par ailleurs aggravée par la transition d’un phénomène El Niña (refroidissement des eaux tropicales de l’ouest de l’océan Pacifique près des côtes péruviennes) en 2022 vers un El Niño (réchauffement de ces mêmes eaux) en 2023, qui a provoqué une sécheresse historique sur l’Amazonie, selon une autre étude parue également dans la revue Nature, en avril 2024.
Avec la disparition des vergers de Floride, le Brésil est devenu le principal producteur de jus d’orange
A ces paramètres climatiques s’ajoutent des problèmes sanitaires. Le HLB fait des ravages dans les vergers brésiliens. HLB signifie “Huanglongbing” soit “maladie des pousses jaunes” en chinois. Les Américains l’ont bizarrement traduit par “citrus greening” (verdissement des citrus) quand cette maladie vectorielle est arrivée dans les deux Amériques, en 2004. Elle est causée par une bactérie disséminée par des petits moucherons, les psylles, et tue les arbres par millions. Le secteur agrumicole de l’Etat de Floride aux Etats-Unis n’y a pas résisté. “La Floride a disparu du marché international du jus d’orange”, regrette Tristan Pasquet, responsable des achats de jus au sein de la multinationale Suntory, spécialisée dans la production et la commercialisation de boissons rafraichissantes.
La Chine, deuxième producteur mondial, réservant sa production à son marché intérieur, seul le Brésil continue de nourrir le marché mondial du jus d’orange. Or, au réchauffement climatique, s’ajoute désormais le HLB. Le 10 septembre, Fundecitrus a révélé que le niveau de contamination était passé de 38,06% des arbres en 2023 à 44,35% en 2024 dans les principales régions productrices du Brésil. Les exploitants ont longtemps lutté par l’usage d’insecticides (jusqu’à 46 traitements dans la même année), mais cela n’a pas suffi à freiner la pandémie et des résistances des insectes aux produits sont apparues.
L’effondrement de la récolte brésilienne a des répercussions mondiales et… nationales. “Le prix du jus d’orange pressé au Brésil a triplé lors de ces deux dernières années”, déplore Tristan Pasquet, qui sécurise l’approvisionnement grâce à des contrats de long terme avec les producteurs. Suntory est une entreprise familiale créée au Japon en 1899, qui est l’un des leaders mondiaux des boissons non alcoolisées. Les boissons vendues par le groupe sont différentes selon les pays puisque les goûts des consommateurs ne sont pas les mêmes. En France, près de trois quarts des volumes vendus contiennent du jus d’orange concentré dans des proportions variant entre 6,5 et 9% (Orangina et Oasis sont les plus connues). “La France est le marché de Suntory qui utilise le plus d’orange dans ses produits”, révèle Tristan Pasquet.
“La situation est vraiment préoccupante”
La solution ne viendra pas de la production européenne. Les orangers du pourtour méditerranéen sont aujourd’hui les derniers à être indemnes du HLB. Mais, outre que l’Europe ne représente que 10% de la production mondiale, sa production est à 80% réservée à la consommation “de bouche”. De plus, l’insecte vecteur du HLB a été signalé au Portugal, en Espagne et à Chypre. La maladie ne devrait plus tarder à s’installer.
“La situation est vraiment préoccupante”, s’alarme Tristan Pasquet. Bien que n’étant pas directement propriétaire d’orangeraies, Suntory a décidé de rejoindre le front de lutte constitué des différents laboratoires de recherche partout dans le monde et des producteurs d’agrumes. Un partenariat a ainsi été signé en janvier 2024 avec le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) pour créer des variétés d’agrumes plus tolérantes à la maladie.
“Il faudra plusieurs décennies pour arriver à une variété qui soit totalement résistante au HLB, mais nous pouvons cependant tenter d’améliorer la tolérance des arbres à la maladie, ce qui permettra d’augmenter leur durée de vie”, estime Raphaël Morillon, chercheur au Cirad et porteur d’un programme européen de recherche contre la maladie.
“Trouver des variétés tétraploïdes d’oranges douces plus tolérantes à la maladie”
La piste explorée repose sur la polyploïdie, un processus courant de multiplication des chromosomes pouvant survenir naturellement chez les plantes et déjà testé avec des résultats prometteurs sur les oranges amères qui servent notamment dans la fabrication d’alcools. Le Cirad et d’autres équipes de chercheurs ont pu observer que ces arbres appelés “tétraploïdes” pouvaient présenter des propriétés supérieures d’adaptation aux contraintes environnementales.
Avec l’appui de Suntory, l’idée est désormais d’étudier cette méthode sur des orangers produisant des oranges douces, c’est-à-dire les variétés utilisées pour la consommation ou la fabrication de jus. “Trouver des variétés tétraploïdes d’oranges douces plus tolérantes à la maladie et aux effets du changement climatique, c’est la piste que nous allons financer”, poursuit Tristan Pasquet. Les premiers croisements issus de ce programme de six ans seront testés dans des champs expérimentaux dès avril 2025 en Guadeloupe, puis en octobre 2025 au Brésil. Des spécimens seront aussi plantés en Espagne pour vérifier leur adaptation aux conditions climatiques européennes et atténuer ainsi la contamination probable du bassin méditerranéen.
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