L’existence d’un troisième ordre magnétique confirmée par une expérience

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L’existence d’un troisième ordre magnétique confirmée par une expérience
L’existence d’un troisième ordre magnétique confirmée par une expérience

Africa-Press – Djibouti. Le phénomène était passé complètement inaperçu. “Sous nos yeux pendant des décennies sans que nous nous en rendions compte”, s’exclame le physicien Thomas Jungwirth de l’Académie tchèque des sciences, dans un communiqué. Avec une vingtaine d’autres chercheurs tchèques, suisses, autrichiens et allemands, il vient d’apporter les preuves expérimentales d’un nouveau genre de magnétisme s’ajoutant aux deux grands types identifiés jusqu’à présent: le ferromagnétisme et l’antiferromagnétisme.

Aimants permanents

Le ferromagnétisme est responsable du phénomène bien connu d’aimantation, observé depuis des millénaires. A l’instar du fer, du nickel ou le cobalt, les matériaux ferromagnétiques sont attirés en effet par les aimants et s’aimantent eux-mêmes en présence d’un champ magnétique. Ils peuvent conserver une partie de cette aimantation même si le champ extérieur disparait, devenant ainsi des aimants permanents comme ceux accrochés sur nos réfrigérateurs.

Cette propriété s’explique par des processus œuvrant à l’échelle microscopique – le comportement des électrons constitutifs des atomes notamment. Outre leur charge électrique, ces particules sont caractérisées par une grandeur purement quantique appelée “spin”. Sans équivalent en physique classique, elle peut être comparée à un minuscule aimant en rotation sur lui-même. “De la même façon qu’un aimant possède un pôle nord et un pôle sud, le spin possède une orientation vers le haut (up) ou vers le bas (down)”, rappelle le CEA. Or dans les matériaux ferromagnétiques, les spins pointent tous dans la même direction. Donc leurs effets s’additionnent, créant un champ magnétique d’une certaine intensité à l’échelle macroscopique.

Protection contre les mines magnétiques

Découverts dans les années 1930 par le physicien français Louis Néel, les matériaux antiferromagnétiques ont, pour leur part, une aimantation totale nulle. Car si les spins des électrons sont eux aussi alignés, ils sont orientés dans des directions antiparallèles et par conséquent s’annihilent. C’est le cas, notamment, du chrome, de l’oxyde de manganèse ou de l’oxyde ferreux qui ne peuvent être aimantés.

Pendant la Seconde Guerre mondiale par exemple, ce type de matériaux a permis de protéger les coques de navires des mines magnétiques rampantes. Il existe certes d’autres ordres magnétiques possibles – dans les matériaux dits diamagnétiques (cuivre, argent, etc.) ou paramagnétiques (aluminium, lithium…) notamment. Mais ces agencements se manifestent uniquement en présence d’un champ magnétique extérieur: ils ne correspondent pas à un ordre magnétique spontané à l’instar du ferromagnétisme et de l’antiferromagnétisme.

Prédictions théoriques

En 2019, une équipe de chercheurs (dont faisait partie Thomas Jungwirth) prédit l’existence d’une structure de spin très étrange dans un cristal inorganique de couleur noire, le dioxyde de ruthénium. Celui-ci était considéré jusqu’alors comme un antiferromagnétique. Mais les calculs suggèrent qu’il devrait se comporter comme un matériau ferromagnétique lorsqu’il est soumis à un courant électrique, sans avoir pour autant une aimantation permanente. Impossible, donc, de le ranger dans l’une des deux grandes catégories existantes !

Symétrie de rotation

Trois ans plus tard, ces physiciens proposent une explication. Les propriétés paradoxales du dioxyde de ruthénium résulteraient, selon eux, d’une combinaison spécifique de la disposition des spins et des symétries cristallines. Les spins seraient certes alternés, d’où l’aimantation nulle. Mais contrairement à ce qu’on observe dans les ferromagnétiques, ils seraient reliés par une symétrie de rotation et non de translation ou d’inversion. Un atome sur deux, autrement dit, pivoterait de 90° et son spin de 180°.

Ce nouveau type de magnétisme alors est qualifié d’”altermagnétisme”. Selon les prédictions des chercheurs, plus de 200 composés pourtant connus et déjà largement étudiés seraient régis par ce troisième type d’ordre magnétique. Ils appartiendraient à des familles très diverses de matériaux allant des isolants aux semi-conducteurs en passant par les métaux ou les supraconducteurs.

Structure de spin

Il restait néanmoins à apporter les preuves expérimentales. Et c’est grâce à la lumière synchrotron extrêmement intense de l’Institut Paul Scherrer, en Suisse, que les symétries de spin prévues par les théoriciens ont pu être dévoilées. L’équipe européenne a sondé, pour cela, des cristaux de tellurure de manganèse, considérés depuis longtemps comme un matériau ferromagnétique mais qui correspondent en réalité à des “alteraimants”.

“Grâce à la haute précision et à la sensibilité de nos mesures, nous avons pu détecter le fractionnement alterné caractéristique des niveaux d’énergie correspondant à des états de spin opposés et ainsi démontrer que le tellurure de manganèse n’est ni un antiferromagnétique conventionnel ni un ferromagnétique conventionnel, mais appartient à la nouvelle branche altermagnétique des matériaux magnétiques”, se réjouit Juraj Krempasky, premier auteur de l’étude.

Nouvelles mémoires magnétiques

Ces travaux pourraient avoir des répercussions majeures dans les nouvelles techniques de stockage de l’information – en particulier la “spintronique” découverte à la fin des années 1980 par le Français et prix Nobel de physique Albert Fert. Alors que l’électronique conventionnelle utilise uniquement la charge électrique des électrons pour enregistrer des données, la spintronique tire profit aussi de leur spin et des états up et down dans lesquels ils peuvent se trouver.

Dès les années 1990, cette technique a permis de lire des informations codées à des échelles bien plus petites qu’auparavant, augmentant d’un facteur 1000 les capacités de stockage des disques durs et les rendant plus économes en énergie. D’autres applications, tels des capteurs de champ magnétique pour l’industrie automobile ou le secteur biomédical, ont été également élaborées.

Le meilleur des deux

Le développement encore plus large de la spintronique est entravé néanmoins par les matériaux ferromagnétiques utilisés. Ceux-ci permettent de manipuler assez facilement le spin des électrons. Mais l’aimantation macroscopique qui en résulte empêche des applications à des échelles relativement grandes. Depuis quelques années, les chercheurs s’intéressaient donc de plus en plus aux matériaux antiferromagnétiques.

Avec l’espoir de bénéficier de l’absence d’une magnétisation nette, même si la manipulation des spins devient alors beaucoup plus complexe. Les alteraimants apparaissent ainsi comme des matériaux très prometteurs pour la spintronique, puisqu’ils réunissent le meilleur des deux autres types de magnétisme et des propriétés que les physiciens pensaient incompatibles jusqu’à présent.

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