
Africa-Press – Djibouti. La psilocybine, un composé naturellement produit par de nombreuses espèces de champignons, est l’une des substances psychédéliques les plus étudiées. Elle semble promise à une longue carrière en tant que médicament. Un signal fort émane de la Food and Drug Administration (FDA), l’agence américaine en charge des médicaments, qui a qualifié cette substance hallucinogène de “thérapie révolutionnaire” (“breakthrough therapy”) pour soigner les dépressions résistantes aux médicaments et les troubles dépressifs majeurs par deux fois, en 2018, puis en 2019 ! Cette désignation laudative est en fait une manière très bureaucratique d’accélérer la recherche et le développement de médicaments aux Etats-Unis.
La psilocybine, qu’est-ce que c’est ?
La substance provient de champignons basidiomycètes, des “champignons à chapeau”, que l’on trouve dans le monde entier. La psilocybine est, avec la psilocine, l’un des deux composés actifs et psychotropes présents chez plusieurs types de champignons, appartenant principalement au genre Psilocybe — qui comprend 200 espèces —, ou encore chez des champignons Stropharia ou Panaeolus. Une fois ingérée, elle se transforme dans le système digestif et les reins en psilocine. L’une et l’autre sont chimiquement et structurellement très proches d’un neurotransmetteur, la sérotonine, et interagissent avec les récepteurs de celle-ci dans le corps et le cerveau.
Quels sont les effets des champignons à psilocybine ?
Les effets varient selon les quantités de champignons ingérées et selon les personnes. D’une prise à une autre, le même individu n’expérimente pas les mêmes sensations hallucinatoires. L’état d’esprit et le contexte dans lequel la drogue est consommée sont censés influer sur le type d’expérience vécue.
Des effets physiologiques dont certaines manifestations signent l’impact de la psilocybine sur le système nerveux sympathique :
Au rang des effets physiques modérés : vertiges, nausée, faiblesse, douleurs ou spasmes musculaires, engourdissements (souvent au niveau du visage), frissons, mydriase (dilatation des pupilles), augmentation de la fréquence cardiaque légère à modérée, de la respiration, élévation de la tension artérielle, des réflexes exagérés.
De manière plus violente, des symptômes tels que des maux d’estomac sévères, des vomissements, des diarrhées.
Des effets psychologiques :
La substance, agissant sur le système nerveux central, produit une légère relaxation, des vertiges et étourdissements et un sentiment d’euphorie.
Les perceptions de la réalité sont altérées et peuvent devenir synesthésiques : amplification visuelle où les couleurs semblent plus brillantes, les surfaces et objets deviennent mouvants, “semblent respirer” et s’animer comme une vague. Des hallucinations apparaissent, y compris les yeux fermés.
Et en cas de “bad trip”, le sujet peut délirer. Peuvent se manifester confusion, désorientation, anxiété, attaques de panique, peur ou paranoïa. Si elle n’est pas accompagnée, encadrée, la personne peut s’infliger des blessures et avoir des comportements à risque entraînant la mort.
Beaucoup parlent d’”expérience mystique”, d’émerveillement, de sentiment de gratitude, d’unité et de transcendance.
Redécouverts par des Occidentaux au 20e siècle
La redécouverte de la psilocybine par la science occidentale connaît la même chronologie que l’ayahuasca et d’autres substances dites psychédéliques : elle suscite l’intérêt et la fascination de beaucoup dans les années 1950, pour finir classée comme produit illicite dans les années 1970 où son usage devient complètement confidentiel, entouré de suspicion. La recherche scientifique et clinique ne reprend qu’à la veille du 21e siècle.
Parmi tous les protagonistes de cette redécouverte des champignons hallucinogènes, trois noms sont à retenir : ceux du couple américain Wasson, de Roger Heim et de Albert Hoffmann.
Robert Gordon Wasson et Valentina Guercken (son épouse) sont des amateurs passionnés de mycologie. Par le biais de leur réseau de connaissances, ils ont vent de l’existence de “champignons narcotiques” utilisés depuis des siècles par les Mazatèques du Mexique. Leurs voyages répétés dans un petit village mexicain leur permettra de goûter aux champignons hallucinogènes. En 1955, Robert Gordon Wasson revient avec son ami Roger Heim, mycologue français et directeur du Museum national d’Histoire naturelle à Paris. Les spécimens que celui-ci rapporte dans ses bagages sont étudiés, cultivés avec soin et baptisés Psilocybe mexicana. Intervient alors le dernier protagoniste de notre histoire : Albert Hoffman, un chimiste suisse travaillant pour le laboratoire pharmaceutique Sandoz. Il a découvert par hasard en 1938 le LSD (acide lysergique), un dérivé des alcaloïdes de l’ergot de seigle, un champignon vénéneux et parasite du seigle sur lequel il travaillait. Roger Heim lui confie des Psilocybe mexicana. Le chimiste isole en 1958 les substances actives du Psilocybe, la psilocybine et la psilocyne. Il permet ainsi la production synthétique de ces substances.
Le genre Psilocybe pousse un peu partout dans le monde. Les mycologues et amateurs de substances hallucinogènes des années 1970 se rendent compte qu’il n’est plus besoin de de s’approvisionner en champignons au Mexique ou de cultiver le Psilocybe mexicana.
Aujourd’hui, la consommation de ces champignons en Occident provient de la cueillette dans la nature effectuée par les utilisateurs. Les champignons et les produits dérivés s’achètent également dans des smartshops, des officines autorisées à vendre des substances psychoactives d’origine naturelle (la vente de substances synthétiques est illégale) en boutique ou sur Internet. L’appellation vient des Pays-Bas où ces commerces proposent de manière légale des drogues issues de végétaux et à usage récréatif, aux côtés de vitamines et de compléments alimentaires.
Où la psilocybine est-elle autorisée pour un usage thérapeutique?
Partout où la psilocybine est dépénalisée, elle est encore considérée comme un médicament expérimental. Et son administration nécessite la formation du personnel soignant : médecins, psychothérapeutes qui suivront les patients après la prise, mais aussi facilitateurs supervisant les patients pendant la prise de la molécule afin d’éviter les effets secondaires déstabilisants. Un psychédélique ne se prend pas comme un simple médicament !
Si la FDA américaine l’a qualifiée de “breakthrough therapy” dans le traitement de la dépression sévère, la psilocybine reste néanmoins illégale aux Etats-Unis. Or, plusieurs villes comme Denver, au Colorado, ont décidé de dépénaliser la substance pour la mettre à disposition des malades. L’Etat de l’Oregon a légalisé en novembre 2020 l’usage de la psilocybine et commence en janvier 2023 à former les futurs accompagnants de patients. Depuis janvier 2022, le Canada encadre de son côté de manière très stricte la prescription de psilocybine par un nombre déterminé de médecins pour des dépressifs que les antidépresseurs classiques ne soignent plus.
L’Etat américain de l’Oregon est devenu le premier pays à autoriser l’usage de la psilocybine dans des centres agréés où un personnel formé accompagnera les usagers. Ici, les futurs “facilitateurs”, soignants en psychiatrie pour une majorité d’entre eux, testent la substance hallucinogène au cours de leur session de formation. © Andrew Selsky/AP/SIPA
L’Australie autorise certains de ses psychiatres à prescrire la psilocybine et la MDMA à partir de juillet 2023. L’annonce semble prématurée pour les psychiatres et chercheurs australiens interrogés par le quotidien national The Age : s’agit-il des effets d’un lobbying intensif, comme semble le suggérer la chercheuse Susan Rossell, surprise par l’annonce de l’Agence du médicament australienne ?
Que faut-il pour qu’un essai clinique sur la psilocybine soit convaincant ?
Les expérimentations et essais cliniques sur la psilocybine se sont multipliées depuis les années 2020. Et petit à petit, elles agrègent les conditions idéales requises pour attester de la rigueur d’un essai clinique.
– Les premières études en double aveugle et randomisées ne sont parues qu’à partir de 2021. Jusqu’alors, les soignants et les patients connaissaient la nature de la substance testé (on parle alors d’essais “ouverts”).
– Les études portent encore sur des cohortes restreintes. La revue britannique Nature dresse le bilan de 6 essais cliniques entre 2011 et 2021 portant sur des dépressifs sévères et des malades atteints de cancer développant de l’anxiété ou une dépression. Ces toutes petites études ne permettent pas, malgré leurs résultats encourageants voire excellents, l’autorisation de mise sur le marché d’un médicament.
– La difficulté de choisir un placebo à la hauteur de la psilocybine. Les patients recevant le placebo savent à quoi s’attendre en cas d’ingestion d’un psychédélique, et ne “voyant” rien venir, leurs réactions peuvent fausser l’interprétation des résultats.
– Il faut un personnel important pour accompagner les participants des essais cliniques. D’abord, au moment de l’assimilation de la psilocybine, il s’agit de superviser sur plusieurs heures un “trip” qui peut mal tourner. Après le traitement, l’expérience se prolonge par une séance d’intégration, d’interprétation des ressentis. Cette phase de bilan psychologique encadrée par le personnel médical permet aux participants de revisiter leur voyage psychédélique.
La psilocybine, pour soigner quoi ?
Avec son effet antidépresseur en une seule prise, la substance hallucinogène représente un espoir dans le traitement de dépressions sévères ou résistantes aux médicaments classiques. Les résultats d’un essai clinique international de phase 2 ont été analysés en novembre 2022 dans le New England Journal of Medicine. Cet essai porte sur 233 personnes, réparties en trois groupes, recevant au hasard et en une seule prise 1 mg, 10 mg ou 25 mg de psilocybine synthétique. L’expérimentation s’accompagne d’un suivi psychologique pour les participants. Une bonne proportion du groupe ayant bénéficié du plus fort dosage connaît “une amélioration significative de [son] état” trois semaines plus tard. Juste après l’ingestion du médicament, on a demandé aux participants de porter des lunettes teintées afin d’observer au moins six heures de calme. Des effets secondaires (maux de tête, nausées, anxiété) ont été observés mais se sont vite dissipés.
Une étude randomisée en double aveugle parue dans JAMA en août 2022 permet de démontrer que l’on peut réduire l’addiction à l’alcool avec la formule psilocybine accompagnée d’une psychothérapie. L’effectif des participants reste modeste cependant : 95 personnes au total, divisées en deux groupes, le groupe de contrôle prenant un antihistaminique comme placebo.
Dès 2021 une équipe internationale, associée au projet européen Psi-Alc, s’attelle à la compréhension sur un modèle animal des mécanismes neurologiques en présence d’un psychédélique : que se passe-t-il dans le cerveau, après absorption de psilocybine, qui puisse réduire l’envie de boire de l’alcool ? Celle-ci, d’après leurs conclusions, serait capable de restaurer l’activité d’un gène, diminuée chez les alcoolodépendants. Ce gène mis en sourdine par l’alcool code pour une protéine dite récepteur métabotropique de type 2 du glutamate ou mGluR2, explique le magazine de l’Inserm. La psilocybine aurait donc un effet bénéfique sur les mécanismes d’addiction en s’insérant dans les effets en cascade qui composent le fameux circuit de la récompense.
La substance psychédélique peut être une clé pour soulager et maîtriser plusieurs types d’addictions et de troubles du comportement : tabagisme, troubles obsessionnels compulsifs, stress post-traumatique et anxiété face à un évènement, ou encore une maladie au stade final.
La substance est encore loin d’obtenir une autorisation de mise sur le marché. Une fois celle-ci devenue médicament, les systèmes de santé dans le monde devront former du personnel, fournir un accompagnement coûteux en ressources financières, imaginer des prises en charge financières et psychothérapeutiques sur le long terme pour les plus démunis. Et reste une inconnue de taille : les bénéfices à long terme de la substance. Ceux qui ont déjà sauté le pas, comme l’Etat américain de l’Oregon, sont loin de ces axes de réflexion : tout individu de plus de 21 ans peut venir consommer de la psilocybine dans un centre agréé, sans nécessité de prescription et de condition médicales.
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