Restaurer Les Puits De Carbone Naturels Pour Sauver Le Climat

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Restaurer Les Puits De Carbone Naturels Pour Sauver Le Climat
Restaurer Les Puits De Carbone Naturels Pour Sauver Le Climat

Africa-Press – Djibouti. Un symbole. La trentième rencontre des parties (COP30) signataires de la convention onusienne de lutte contre le changement climatique s’est déroulée du 10 au 21 novembre dans la ville brésilienne de Belém, aux portes de l’Amazonie. Après deux sessions dans des États pétroliers où l’on a beaucoup parlé d’énergie, la gestion des puits de carbone terrestre et océanique revient en tête des préoccupations des États.

Les végétaux pompent du CO2 dans l’air pour leur photosynthèse. La destruction de cette biomasse, qui représente 83 % des 550 milliards de tonnes d’organismes vivants à la surface de la planète, fait donc augmenter la teneur en CO2. Quand les végétaux se développent mieux et plus, c’est au contraire un retrait plus efficace du principal gaz à effet de serre de l’atmosphère qu’on obtient. L’humain a en main un outil de pilotage du climat, qui reste cependant difficile à manier.

Réuni sous le chapitre à la dénomination austère d' »utilisation des terres, changement d’affectation des terres et foresterie » (Utcatf) dans les rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), le puits terrestre du CO2 est soumis à des pressions divergentes, des usages contradictoires. L’utilisation des terres, c’est le partage de la surface des continents entre zones naturelles (savanes, landes, tourbières…), terres agricoles et forêts. Le changement d’affectation recouvre toutes les modifications entre ces trois compartiments: déforestations d’un côté, retour à un état naturel et reforestation de l’autre.

Les végétaux stockent plus de CO2 qu’ils n’en émettent

D’un côté, les mauvaises pratiques agricoles (comme l’arasement des haies, l’augmentation des surfaces des parcelles, les excès d’engrais et de pesticides), le défrichage de terres naturelles, la déforestation et les effets des incendies et tempêtes sont responsables d’environ 20 % des émissions mondiales de CO2. De l’autre, les écosystèmes préservés et les opérations de reforestation et de réhabilitation de zones autrefois exploitées ont permis d’absorber un tiers des émissions globales de gaz à effet de serre d’origine humaine.

Entre 2014 et 2023, les végétaux ont stocké en moyenne chaque année 4,1 milliards de tonnes de CO2 de plus qu’ils n’en ont émis, selon le Global Carbon Project. Cette équipe internationale délivre même une bonne nouvelle: les émissions annuelles attribuables à une déforestation irréversible ont considérablement diminué lors de cette décennie, même si le niveau reste élevé, à 3,7 milliards de tonnes par an. On commence ainsi à mesurer l’effet des opérations de reforestation (on replante de la forêt sur de la forêt) ou d’afforestation (on replante sur des terres qui n’étaient pas occupées par des arbres auparavant). 2 milliards de tonnes de CO2 par an sont retirées de l’atmosphère par des interventions humaines. Ces dix dernières années, les émissions dues aux destructions de forêts pour mise en culture passagère (comme la culture sur brûlis), estimées à 2,6 milliards de tonnes par an, ont été compensées par l’abandon de zones agricoles reconquises par la végétation naturellement ou avec l’action humaine.

Ces chiffres globaux cachent des réalités contrastées, que mesure de plus en plus finement l’imagerie satellitaire. Outre le ralentissement de la déforestation et les efforts de reforestation (avec notamment les deux grands projets de « muraille verte » en Chine et en Afrique subsaharienne), les satellites révèlent une vigueur nouvelle de la végétation dans les zones tempérées et boréales grâce à un effet rétroactif du changement climatique. En Sibérie, au Canada, mais aussi en Afrique du Sud, la végétation pousse mieux avec la hausse des températures et les teneurs plus élevées de CO2 dans l’atmosphère, qui favorisent la photosynthèse.

Mais on note également des effets inverses comme les méga-incendies, de plus en plus récurrents au Canada et en Russie, provoqués à la fois par des températures plus élevées et des végétaux secs facilement inflammables. Et c’est aussi le cas en Europe de l’Ouest en général, où les incendies ravagent des milliers d’hectares, du Portugal à la Grèce et jusqu’en Suède. À l’échelle mondiale, en 2023, 15 % des émissions de gaz à effet de serre provenaient de ces mégafeux souvent incontrôlables, soit 8,6 milliards de tonnes de CO2. Ces effets positifs et négatifs montrent que nous avons bien à notre disposition un outil puissant de limitation des gaz à effet de serre.

« Le secteur agricole et forestier peut offrir un potentiel d’atténuation du changement climatique à un coût relativement bas. Il peut fournir 20 à 30 % des réductions d’émissions supplémentaires dans les scénarios à 2050 qui limitent la hausse des températures à 2 °C « , écrivent les auteurs du Giec. Les techniques qui favorisent les puits de carbone sont bien identifiées: agroforesterie (culture conjointe de plantes et d’arbres), réduction forte des engrais chimiques et des pesticides, très émetteurs de gaz à effet de serre, restauration des zones humides et des tourbières, dont les capacités de stockage du CO2 sont supérieures à celles des arbres.

« La protection, l’amélioration de la gestion, la restauration des forêts, des tourbières, des mangroves, des savanes et des prairies peuvent réduire d’au moins 7,3 milliards de tonnes par an les gaz à effet de serre. L’agriculture est le second poste avec 4,1 milliards de tonnes séquestrées par la gestion du carbone du sol des champs et prairies, l’agroforesterie, l’utilisation du biochar [combustion en anaérobie de déchets verts], l’amélioration de la culture du riz et une meilleure gestion de l’alimentation animale « , estime le Giec. Soit plus du tiers des émissions annuelles anthropiques.

Mais les végétaux ont encore une autre fonction climatique. Ce sont les seuls substituts actuellement disponibles aux pétrole, gaz et charbon en matière de production de chaleur et de carburant, en attendant un déploiement massif des énergies renouvelables, qui commence à s’accélérer. En effet, le bilan de la biomasse est considéré comme neutre. Le végétal brûlé émet du CO2 qui est immédiatement absorbé par les autres plantes. Le bois est la seule énergie à la disposition de près d’un milliard de personnes vivant principalement dans les zones tropicales pour la cuisson des aliments, la production d’eau chaude et le chauffage. Et dans les pays développés, c’est une ressource convoitée pour réduire l’usage du gaz naturel et du fioul pour la période de chauffe hivernale. « Il faut donc trouver un équilibre entre les fonctions de puits naturel du CO2 et les usages en énergie, biocarburant, biochimie « , pose Dominique Vignon, membre de l’Académie des technologies et coauteur d’un rapport paru en mai sur les apports en France dans la transition énergétique.

À Belém, les 195 États devaient avoir déposé au secrétariat de la convention de l’ONU sur le climat leurs engagements de réduction des gaz à effet de serre pour 2035 et 2050. Aux côtés du développement des énergies renouvelables, des actions de sobriété, des politiques d’adaptation au changement climatique, figureront les puits de carbone terrestres. « En 2050, les émissions résiduelles de CO2 dues à l’impossibilité de ne plus utiliser le pétrole et le gaz pour certains usages comme la sidérurgie ou le transport aérien, devront être absorbées par la végétation afin d’atteindre le ‘zéro émission nette’, désormais l’objectif d’une majorité de pays « , rappelle Philippe Delacote, chercheur de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) à l’université de Lorraine et à AgroParisTech.

Pour ce faire, chaque pays doit évaluer la capacité de son couvert végétal à absorber du CO2 et décrire les politiques qui vont permettre de l’améliorer, tout en en réservant une part pour la substitution des énergies fossiles par la biomasse. Ainsi, la France doit passer de 369 millions de tonnes émises en 2024 à 80 millions de tonnes en 2050. Pour atteindre le « zéro émission nette », le puits terrestre devra en effacer autant.

La capacité d’absorption de la forêt française s’est effondrée

Cet exercice, la France le remplit depuis une dizaine d’années avec l’élaboration de la première « stratégie nationale bas carbone » (SNBC). « Outre les productions des énergies nucléaires et renouvelables, la stratégie nationale bas carbone donne une feuille de route pour la production de chaleur et de biocarburants en évaluant en regard l’évolution de la biomasse terrestre « , rappelle Félix Boilève, coordinateur du rapport conjoint des Académies des technologies et de l’agriculture.

Le potentiel estimé de la biomasse est à l’origine très élevé. Dans la deuxième SNBC adoptée en 2021, la biomasse devait fournir en 2050.430 térawattheures (TWh) d’énergie directement utilisable comme combustible ou après conversion en biogaz et en biocarburant, pour une consommation d’énergie totale de 1150 TWh. Plus de 40 %, donc, de l’effort de reconversion énergétique, et un sacré coup de collier car la biomasse fournit aujourd’hui 150 TWh, pour une consommation totale de 1650 TWh.

Mais les travaux de la troisième SNBC, en cours de publication par décret, ont ramené l’objectif à 305 TWh. Pourquoi? Des nouvelles alarmantes sont arrivées de la forêt française. Sa capacité d’absorption du CO2 s’est effondrée. Selon les constats de l’Institut géographique national (IGN), les 11,3 milliards d’arbres présents sur les 17,3 millions d’hectares de forêts ont capté en moyenne 39 millions de tonnes par an entre 2014 et 2022. C’est deux fois moins que dans la première décennie du siècle.

« Bien que la forêt reste un puits de carbone à l’échelle nationale, la production biologique a diminué de 4 % par rapport à la période 2005-2013, la mortalité des arbres a crû de 80 % et la récolte a augmenté de 9 %, essentiellement du fait de la récolte accélérée d’arbres dépérissant ou morts. Ces mortalités non prévues abaissent brutalement des stocks de bois sur pied qui ont mis des décennies à se constituer « , explique-t-on à l’IGN. Le phénomène est général au sein de l’Union européenne qui ne pourrait mobiliser que 3000 à 3600 TWh en 2050, contre 4700 TWh espérés. Les maladies causées par des insectes (comme les scolytes) et les sécheresses récurrentes expliquent cette « tempête silencieuse », comme la nomment les forestiers.

Le rapport des deux académies estime donc que le potentiel réel mobilisable en France n’est que de 250 TWh par an en 2050, 100 TWh pour la forêt qui, au mieux, devrait rester stable, et 150 TWh pour l’agriculture qui, elle, a un potentiel de croissance de 30 TWh par an. Le secteur dispose en effet d’un levier: les « cultures intermédiaires à valeur énergétique » (Cive). Entre deux récoltes, les terres peuvent accueillir des plantes qui nécessitent peu d’eau et d’intrants pour pousser, comme le miscanthus, l’avoine, la moutarde. Il va donc falloir faire des choix.

Aujourd’hui, on tire déjà de la forêt 19,6 millions de m3 de bois d’œuvre (meubles, charpente, etc.), 10,5 millions de bois d’industrie (pâte à papier, piquets, etc.), et 18 millions de m3 de bois énergie à 90 % brûlé en bûches chez les particuliers. « Nous avons donc défini des priorités, révèle Félix Boilève. Le biogaz en remplacement du gaz naturel est par exemple essentiel. Le biocarburant pour le transport aérien est à développer modérément. En revanche, l’usage du bois de chauffage doit être limité et la production d’électricité à partir de biomasse doit être arrêtée.  » Ainsi, l’Académie des technologies estime qu’en prélevant environ 10 % de la biomasse française, 1,8 million de tonnes de biokérosène pourrait être produites, ce qui répondrait aux exigences de décarbonation du transport aérien de l’Union européenne de 6 % en 2030.

À Belém, chacun des pays arrivait à la table des négociations avec ses contraintes de protection et d’exploitation de ses forêts et de ses cultures. Si la biomasse végétale peut constituer une réelle béquille dans la lutte contre le changement climatique, elle n’est pas la solution unique. Les peuples premiers de l’Amazonie étaient là pour rappeler que la forêt est aussi un lieu de vie et de biodiversité à préserver.

La mutation des raffineries vers les biocarburants

Comment assurer la pérennité de l’approvisionnement d’une raffinerie de biocarburants? TotalÉnergies engage quatre de ses raffineries dans la production de biokérosène, sortant ainsi ces sites du tout-pétrole. Pour cela, le raffineur a signé un contrat avec Avril, leader agro-industriel de la filière des huiles végétales, pour développer les cultures intermédiaires (Cive) chez ses agriculteurs afin de pérenniser les apports.

Par ailleurs, un autre contrat avec la principale entreprise de collecte d’huiles de cuisson chez les restaurateurs a été signé pour fournir 60.000 tonnes par an de ce produit. TotalÉnergies vise la production de 500.000 tonnes de biokérosène dès 2028 pour satisfaire aux exigences des règlements européens d’incorporation de 6 % de carburant durable dans l’aérien en 2030.

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