Africa-Press – Djibouti. Violence débridée en Norvège, état organisé au Danemark ? Une étude publiée dans le Journal of Anthropological Archaeology pense avoir réussi à démontrer que les sociétés scandinaves de la période viking (entre la fin du 8e siècle et le milieu du 11e siècle) ne formaient pas un groupe homogène du point de vue sociopolitique en s’appuyant sur quatre types de marqueurs identifiables en contexte archéologique.
Le propos des chercheurs, confus et maladroit, s’articule autour de deux notions – violence et hiérarchie sociale – pour établir une distinction au sein de la Scandinavie de l’ère viking entre deux aires géographiques: le Danemark, plus “civilisé”, et la Norvège, plus “violente”. Démonstration réussie ? Encore faudrait-il que les quatre critères retenus soient suffisants, alors même que tout le contexte économique et culturel de ces régions forcément diverses est passé sous silence.
Les Norvégiens de l’ère viking étaient-ils plus violents que les Danois ?
Le principal problème de cette étude repose sur sa méthodologie, car elle cherche à prouver par des éléments archéologiques un principe emprunté à l’histoire culturelle et sociale, relevant du processus de civilisation tel qu’il a été défini par Max Weber ou Norbert Elias. Retenant que ce processus relève d’une mise sous contrôle de la violence par les dépositaires d’une autorité centralisée, les auteurs cherchent à l’appliquer au contexte de la Scandinavie de l’ère viking pour établir une distinction artificielle entre “Norvège” et “Danemark”, en s’appuyant sur des preuves archéologiques susceptibles d’étayer leur démonstration.
Ils retiennent ainsi quatre types de preuves: la quantité de décès par traumatismes et d’épées dans les sépultures signifierait le degré de violence de la société, tandis que le nombre de grands travaux et les inscriptions sur les pierres runiques seraient de bons indicateurs de l’inclinaison de la pyramide sociale.
Deux régions distinctes sur quel plan ?
Mais est-il possible d’envisager la “Norvège” et le “Danemark” en tant que régions homogènes à l’ère viking ? Les auteurs disent qu’ils les considèrent comme des aires géographiques, et non comme des entités politiques. Pour autant, ils ne fondent jamais le caractère arbitraire de ce découpage.
Des épées par milliers en Norvège
Leur argumentation commence par un constat facile à établir: dans les tombes norvégiennes de l’ère viking, les épées se comptent par milliers, tandis que les Danois étaient réticents à enterrer leurs morts avec ces armes, qui ne faisaient pas partie intégrante du rituel funéraire. On en trouve donc très peu, mais cela suffit-il à déterminer leur absence à l’époque ?
Les auteurs admettent que non: “Avec plus de dix fois plus de tombes dotées d’armes en Norvège qu’au Danemark, et une population qui ne représente qu’un cinquième de celle des Danois, nous pouvons conclure que les armes étaient beaucoup plus courantes comme mobilier funéraire en Norvège qu’au Danemark. […] Cela ne prouve pas que les armes en tant que telles étaient plus répandues dans la population norvégienne que dans la population danoise, mais c’est une indication forte que le port d’armes y était un élément plus important de l’identité.”
La violence est contrôlée au Danemark
Les Norvégiens se seraient également plus adonnés à des actes de violence, poursuivent les auteurs. L’examen d’un corpus de squelettes suffit à le prouver: au nord du Skagerrak (le passage maritime entre le sud de la Norvège et le nord du Jutland danois), les traumatismes ante et perimortem sont multiples ; les corps, d’hommes mais aussi de femmes, portent des traces de blessures par armes blanches, soignées et non soignées, tandis qu’au sud, les actes de violence correspondent plutôt à des exécutions, le plus souvent par décapitation.
Voici la preuve d’un déchaînement de violence dans une société norvégienne dénuée de structure sociale coercitive, tandis que le Danemark se caractériserait par la confiscation et la centralisation de la violence, qui serait uniquement exercée par le groupe au sommet de la pyramide sociale.
Les grands chantiers de construction
Pour confirmer l’existence de cette différence en termes de pouvoir, les auteurs s’attachent à d’autres types de preuves, visibles dans le paysage. Si les Norvégiens ont construit des milliers de gigantesques tumuli, c’était plus par esprit de concurrence, puisque leur société était divisée en clans rivaux. Les constructions danoises relèvent pour leur part de l’ingénierie, souvent militaire, défensive ou offensive (fortifications, remparts, remblai du Danevirke, ponts…), argumentent-ils.
Les inscriptions runiques révèlent la structure sociale
Enfin, les pierres runiques, seules sources textuelles contemporaines, sont de bons indicateurs de la structure sociale. Leur examen comparé montre que les inscriptions norvégiennes ne font mention que de liens de parenté, ce qui signifie que la région était structurée selon un type d’organisation clanique fondé sur la loyauté.
L’ordre social qui apparaît en filigrane sur les pierres danoises, plus fréquentes, est tout autre. Elles ont été érigées non par des pères ou des maris, mais par des rois ou pour entretenir la mémoire de personnages désignés par des titres, comme les thegns, qui ont sans doute joué un rôle administratif de haute importance.
La démonstration est lacunaire
Ces preuves une fois réunies sont-elles pour autant suffisantes ? Il nous semble au contraire qu’il manque bien des éléments dans ce tableau. Car la société ne repose pas uniquement sur l’exercice et le contrôle de la violence, ni sur l’exercice d’un pouvoir apte à mobiliser une main d’œuvre suffisamment importante pour édifier des constructions monumentales ou pour faire graver une pierre destinée à faire perdurer le souvenir de sa lignée ou de ses propres mérites.
Puisque les auteurs nous disent que les populations étaient essentiellement composées de fermiers, qu’en est-il de leur organisation ? Sur quoi reposait l’économie des deux régions concernées ? Lorsqu’on évoque la société de l’ère viking, c’est l’image d’une masse indistincte de féroces guerriers qui s’impose, mais les auteurs n’ont pas évoqué leur rôle sociopolitique en Scandinavie, ni s’il y avait des conflits internes dans la région.
Des espaces géographiques distincts qui impliquent des occupations distinctes
Il semble également que les auteurs aient finalement négligé de considérer les deux régions distinguées en tant que zones géographiques, malgré leur précaution d’usage. Alors même qu’ils mentionnent que la Norvège et le Danemark n’ont rien à voir en termes de surface, ils omettent de prendre en compte que cette disparité induit nécessairement des différences tant dans l’occupation et la valorisation de cet espace, que dans les comportements humains.
Par exemple, les sols norvégiens ne sont fertiles que sur la côte, tandis que le Danemark est recouvert de champs. Les conditions de vie ne sont pas les mêmes, l’exposition au danger non plus. Les auteurs livrent d’ailleurs une interprétation arbitraire des défenses danoises afin de conforter leur préjugé: “Ces fortifications sont situées dans les parties méridionales du Danemark, à la frontière du continent. Cela indique que, plutôt que la concurrence interne, c’est la menace externe qui a motivé les investissements dans les travaux de terrassement au Danemark. Cette constatation va dans le même sens que l’argument du sociologue Charles Tilly, selon lequel les menaces extérieures ont motivé la pacification interne des premiers États modernes.”
Or pour les spécialistes du monde viking, ces constructions défensives ont également pu servir contre des menaces internes en Scandinavie, où les rois et chefs pouvaient se faire la guerre entre eux. Enfin, les auteurs oublient de mentionner un aspect potentiellement important de cette “pacification”: l’influence du christianisme, qui réussit à s’imposer tant au Danemark qu’en Norvège.
Une surprise bien préparée
Au terme de leur étude, les auteurs affirment être surpris de constater une différence au sein de la société scandinave de l’ère viking, “que l’on croyait jusqu’alors homogène” – un argument par ailleurs non étayé. “Le prisme de la violence révèle des sociétés scandinaves aux configurations sociales et politiques distinctes”, écrivent-ils, après s’être appliqués à établir eux-mêmes ces distinctions et les critères pour les fonder…
Mais dans quel but ? Celui de penser le Danemark comme une forme de proto-État moderne, et de fournir une méthodologie apte à déterminer la violence et l’exercice du pouvoir dans d’autres contextes archéologiques. Pas sûr qu’il faille mettre en pratique cette méthode peu convaincante.
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