Quelles perspectives d’avenir pour la scène politique gabonaise ?

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Quelles perspectives d’avenir pour la scène politique gabonaise ?
Quelles perspectives d’avenir pour la scène politique gabonaise ?

Anouar CHENNOUFI

Africa-Press – Gabon. Le récent coup d’État militaire s’est produit au Gabon dans des circonstances caractérisées par l’escalade du conflit au sein de la famille du président déchu Ali Bongo, et dans un contexte de baisse du soutien français à son égard, ce qui indique que « Paris a accompagné le coup d’État afin de préserver ses intérêts économiques et stratégiques importants au Gabon ».

Les principales parties régionales africaines ont affiché quant à elles leur compréhension du coup d’État au Gabon, même si les trois pays pivots de la région de l’Afrique centrale, notamment le Congo, la Guinée équatoriale et le Cameroun, sentent le danger du scénario gabonais, en raison de la similitude des situations politiques des trois pays avec le Gabon.

Ainsi, nous pensons que l’avenir de la scène politique gabonaise oscille entre deux voies fondamentales :
• la première est le succès de la phase de transition actuelle dans l’organisation d’un dialogue politique conduisant à une constitution consensuelle et à des élections, conformément aux engagements des nouveaux dirigeants militaires,
• la deuxième voie serait par contre l’aggravation de la crise politique dans le pays en raison du rôle de la famille Bongo et de sa large base sociale.

Pour rappel, le 30 août 2023, il a été annoncé que le régime d’Ali Bongo était tombé lors d’un coup d’État militaire qui pourrait conduire à la fin du règne de la dynastie Bongo qui dirigeait le Gabon depuis 1967. Bien que ce coup d’État s’inscrive dans la série de coups d’État militaires dont l’Afrique a été témoin au cours des deux dernières années, cependant, il présente plusieurs caractéristiques sur lesquels l’article va tenter de lever le voile, avec une analyse des contextes internes et régionaux du coup d’État, des enjeux internationaux qui l’entourent et des perspectives de la scène politique gabonaise.

Premièrement : Le contexte interne

L’État du Gabon constitue un cas particulier dans la région d’Afrique centrale à laquelle il appartient, étant donné que sa superficie géographique n’excède pas 267.667 km2 et que sa population est inférieure à 3 millions d’individus. Le Gabon est considéré comme l’un des pays africains les plus riches en ressources pétrolières (il produit plus de 200 mille barils par jour, ce qui en fait le quatrième producteur africain de pétrole) et en minéraux de toutes sortes (il est le troisième producteur mondial de magnésium après le fer et l’uranium), en plus des ressources agricoles, de l’eau, du bois et de l’élevage.

A noter que ce pays a connu une longue période de stabilité politique, puisque seuls trois présidents l’ont dirigé depuis l’obtention de son indépendance de la France en 1960 :
• Léon Mba (de 1961 à 1967),
• Omar Bongo (de 1967 à 2009),
• et Ali Bongo (de 2009 à 2023).

On peut donc affirmer à ce propos que l’État gabonais est l’une des rares exceptions sur la scène africaine, car il n’a pas connu de régime militaire depuis son indépendance : il a été dirigé par Omar Bongo pendant 42 ans et son fils lui a succédé au pouvoir jusqu’à son renversement par le dernier coup d’État.

Bien que le pays soit passé à un système de pluralisme politique en 1991, le « Parti démocratique gabonais » est passé d’un parti unique à un parti dominant qui contrôle la vie politique et les conseils élus.

Néanmoins, les premières fissures dans le régime au pouvoir sont apparues avec la mort d’Omar Bongo, qui a laissé une soixantaine d’héritiers en compétition pour les postes de pouvoir, même si son fils aîné (Ali) a réussi à s’accaparer du pouvoir. Ces fissures sont apparues lors des trois élections que le pays a connues depuis le décès d’Omar Bongo. En 2009, Ali Bongo a remporté les élections avec 41% des voix, et ces élections ont été suivies par une forte vague de soulèvement civil, centrée dans la ville de Port-Gentil, et on a dit que la sœur du président, Pascaline Bongo, directrice du cabinet présidentiel et ancienne ministre des Affaires étrangères sous son père, y a participé. Lors des élections de 2016, le président Ali Bongo a été déclaré vainqueur face à l’opposant Jean Ping, qui avait rejeté les résultats du scrutin, que la plupart des observateurs considéraient comme frauduleux. Ces élections, selon le journal français Le Figaro, ont reflété l’intensité des contradictions familiales parmi la famille régnante des « Bongo ».

Toutefois, lors des dernières élections organisées en août 2023, en l’absence totale d’observateurs internationaux, des contradictions familiales ont émergé, au point que l’éminent magazine « Jeune Afrique » a estimé que le coup d’État mené par le chef de la Garde républicaine, le général Brice Oligui Nguema, s’inscrit dans le cadre d’un conflit familial, compte tenu de la parenté du nouveau chef militaire avec la famille Bongo (du côté maternel), avec l’émergence d’indices que Pascaline Bongo et certains de ses frères soutiennent le coup d’État contre l’aile dirigée par l’épouse française du président Ali Bongo, Sylvia Valentin Bongo, et son fils arrêté, Noureddine Bongo.

Soupçons et confirmation

Le leader de l’opposition « Albert Ondo Ossa »

Contrairement aux coups d’État qui ont eu lieu dans la région africaine du Sahel, on pense que le coup d’État au Gabon a été planifié par certaines ailes de la famille dirigeante pour bloquer la voie à la victoire du candidat de l’opposition, laquelle a soutenu à l’unanimité Albert Ondo Ossa, qui semble avoir réussi le dernier tour de scrutin, même s’il n’a officiellement obtenu que 30,77% des voix électorales. Ossa est un professeur d’université bien connu, un syndicaliste actif et un ancien ministre. Les milieux diplomatiques estiment qu’il a remporté les dernières élections. Il a estimé dans une interview au journal Le Monde que le coup d’État n’était qu’une « révolution de l’intérieur du palais » pour l’empêcher d’accéder au pouvoir, même si sa victoire était un fait incontestable. Il semble en effet que le coup d’État militaire au Gabon ait été principalement motivé par le blocage de la transition du pouvoir en dehors de la famille Bongo et des hauts plateaux de « l’Ogooué », région d’origine de la famille et de ses partisans.

Deuxièmement : Les multiples intérêts français « intouchables » au Gabon

Il apparaît trop clair que la France et l’Occident n’ont pas perdu leurs positions dans ce pays, mais ont simplement changé de visage, et le coup d’État était tout simplement une mesure préventive visant à freiner les manifestations de rue et de l’opposition contre les résultats des élections (jugés frauduleux).

Il importe de rappeler également que l’État du Gabon était auparavant au centre de la politique africaine française, et le président Omar Bongo a été le principal homme de la France sur le continent pendant quarante ans. Les entreprises françaises contrôlent entièrement le secteur pétrolier et minier au Gabon, et le franc CFA (lié au Trésor français) est l’unité monétaire utilisée au Gabon et dans les pays francophones d’Afrique centrale.

Selon les estimations disponibles, 110 entreprises françaises exercent des activités d’investissement et commerciales au Gabon, dont 89 groupes géants français qui ont des succursales locales au Gabon.

Parmi ces sociétés figurent :
• la société minière « Eramnet », qui contrôle 90 % des mines de magnésium,
• les sociétés pétrolières « Perenco, Total Energie et Morel et Prom »,
• le fonds d’investissement « Meridiam »,
• et la société « Orano », qui exploite les mines d’uranium.

Selon les estimations annoncées, les entreprises françaises emploient 14.000 salariés et leur balance commerciale annuelle atteint 3,5 milliards d’euros.

Tout cela donne une idée de l’ampleur des intérêts français dans ce riche pays africain, qui dispose d’une base militaire française comptant jusqu’à 350 soldats, et son intérêt dépasse le Gabon et s’étend à l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale.

Et d’après les informations qui circulent, « les intérêts stratégiques français ne regardaient pas d’un œil rassurant le président déchu Ali Bongo », qu’ils considèrent comme faible et financièrement corrompu, même s’ils l’ont soutenu lors des élections de 2009 avant de l’abandonner en 2016 et de lui chercher un remplaçant, lorsqu’il avait été sujet à une grave crise de santé en 2018 qui a nécessité son long séjour à l’étranger pour se faire soigner.

Il semble même que, depuis quelques années, le président Bongo avait ressenti le déclin du soutien français à son régime et « a donc présenté la candidature de son pays pour intégrer le Commonwealth », ce qui s’est effectivement produit en juin 2022, et celà a été perçu négativement dans les cercles supérieurs français.

Bien que le gouvernement français ait pris l’initiative de condamner le coup d’État militaire au Gabon, ce qui constitue une position automatique et de principe, il n’a pas assimilé sa condamnation à la mise en œuvre des décisions de boycott ou des sanctions militaires et économiques imposées. Au contraire, il a implicitement reconnu sa légitimité (c’est-à-dire le coup d’État), étant donné que le processus électoral qui a été stoppé par le coup d’État était « frauduleux ».

Dans un entretien au journal Le Monde, la ministre française des Affaires étrangères Catherine Colonna avait déclaré que le processus électoral au Gabon « soulevait quelques questions et que la mission de la France était de rechercher des solutions politiques et non d’être la gardienne des pays africains », tout en ouvrant la voie à l’intervention des organisations régionales.

Par ailleurs, des informations rapportées par la radio Europe1, ont indiqué que des instructions ont été données par le gouvernement français aux forces militaires au Gabon « pour qu’elles traitent positivement les autorités militaires au pouvoir » et s’assurent « que la France ne soit pas impliquée dans le problème interne gabonais ».

Mais bien au contraire, des informations circulent dans les cercles diplomatiques africains confirmant que « la France était bien au courant du coup d’État avant qu’il ne se produise et qu’elle aurait pu l’encourager dans la pratique ».

A son tour, le candidat de l’opposition, Ossa, a confié avoir déclaré au ministère français des Affaires étrangères qu’il s’attendait à ce qu’un coup d’État se produise depuis l’intérieur du palais, selon les données qu’il avait obtenues, mais il semble qu’il ait accepté le changement et l’ait béni. Après le coup d’État, le nouveau président militaire a montré sa volonté de poursuivre des relations privilégiées avec la France, selon ce qui a été rapporté dans la presse gabonaise après la rencontre du général Nguema avec l’ambassadeur de France à Libreville. Alors, se demande la Gabon Review : « cela représente-t-il un retour triomphal de la France au Gabon ? »

Troisièmement : Le contexte régional

Le Gabon appartient au bloc de pays d’Afrique centrale qui comprend le Cameroun, le Congo et la Guinée équatoriale. Comme le Gabon auparavant, ces pays sont gouvernés par des dirigeants de longue date présents au centre du pouvoir, et ce sont tous des pays pétroliers et riches en pétrole qui appartiennent à la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (qui comprend également le Tchad et la Centrafrique). Le Cameroun est dirigé par Paul Biya (90 ans) depuis 1982, le Congo est dirigé par Denis Sassou-Nguesso (80 ans) de 1979 à 1992 et de 1997 à ce jour, et la Guinée équatoriale est dirigée par Teodoro Obiang Nguema Mbasogo (81 ans) depuis 1979.

Dans ces pays, les changements internes sont plus susceptibles de se produire par l’intermédiaire de l’armée. Selon certaines attentes, la France pourrait recourir à des coups d’État préventifs au Congo et au Cameroun pour empêcher un mouvement rebelle échappant à son contrôle, comme cela s’est produit dans la région africaine du Sahel, tandis que son influence en Guinée équatoriale ne semble pas décisive.

Perspectives de la future scène politique au Gabon

Il est encore difficile de prédire l’issue de la situation politique au Gabon, car de nombreuses données restent inconnues, notamment le projet de coup d’État des autorités qui ont pris le pouvoir et ont promis d’organiser des élections libres et équitables, sans préciser la durée de la période de transition, ni sur la nature des réformes constitutionnelles qu’ils entendent soumettre à un référendum populaire. Le général Nguema pourrait ne pas se présenter aux prochaines élections, mais il pourrait soutenir un candidat proche ou opposé à la famille Bongo, même s’il n’est pas prévu qu’il soit un membre de cette famille. De facto, même si le candidat de l’opposition aux élections précédentes, Albert Ondo Ossa, se considère toujours comme le vainqueur du scrutin et exige que les autorités militaires le couronnent, le bloc d’opposition qui le soutenait a commencé à s’effriter, selon ce que rapportent les journaux gabonais.

La France est-elle réellement derrière le coup d’État au Gabon ?

Dans ce contexte, la conseillère du Centre Al-Ahram des Etudes politiques et stratégique, et experte des affaires africaines, Amani Taouil, a déclaré que : « Le coup d’Etat du Gabon est soutenu par le cousin du président Ali Bongo, et ceci voudrait dire que l’influence de l’Etat profond n’est pas trop menacée, et que les relations avec la France se poursuivent, et ses intérêts seront préservés, contrairement à ce qui s’est passé au Niger ».

Taouil a ajouté dans sa déclaration : « Il est possible que le coup d’Etat porte l’empreinte de la France, surtout que la santé de Ali Bongo s’est tellement dégradée ces dernières années, et que son fils Noureddine fait l’objet de poursuites judiciaires pour corruption. C’est donc pour cette raison que Paris a paniqué, et a soutenu cette tentative pour sauvegarder les intérêts français, par le biais du renouvellement de l’élite politique de gouvernance dans le pays ».

L’experte souligne, entre-autres, que : « La fabrication des coups d’Etat n’est pas un fait nouveau pour la France, qui était et continue dans cette voie depuis l’indépendance des pays du continent africain dans les années 1960 du siècle dernier, avec comme objectif la préservation de ses intérêts stratégiques ».

Ainsi, et pour conclure, on peut d’ores et déjà mettre en avant que le coup d’État était une mesure préventive pour éviter que la colère ne prenne de l’ampleur, et que les manifestations de rue et de l’opposition n’éclatent contre le résultat « faussé » des élections, et que cette colère populaire ne pointe du doigt la France.

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