Louis-Nino Kansoun
Africa-Press – Gabon. Depuis plusieurs années, un discours dominant présente la jeunesse africaine comme le principal atout du continent. D’ici 2050, selon les projections des Nations unies, le continent devrait doubler sa population, dont la moitié devrait avoir moins de 25 ans, ce qui est censé lui servir à prospérer sur le plan économique. Mais derrière ces déclarations optimistes se cache une réalité bien différente: les taux de chômage stagnent, les jeunes peinent à trouver des emplois formels et la majorité d’entre eux est condamnée à travailler dans l’économie informelle. Si rien de concret n’est fait, le continent risque d’assister à une aggravation de la crise du chômage et des inégalités sociales, alors qu’un nouveau rapport du WEF indique que près de 60 % de la main-d’œuvre mondiale devra être formée ou reconvertie d’ici 2030 pour s’adapter aux mutations profondes du marché de l’emploi.
Une bombe démographique qui alimente le chômage
En Afrique subsaharienne, le taux de chômage moyen a stagné entre 2019 et 2023 à un peu moins de 6 %, touchant un total de 27 millions de personnes, selon l’Organisation internationale du travail (OIT). Derrière ces chiffres, la situation de la jeunesse est alarmante. Environ 9,4 millions de jeunes cherchent un emploi, avec un taux de chômage de 8,9 %. Pire encore, 25,9 % des jeunes, soit 62 millions, sont classés comme n’ayant ni emploi, ni formation, ni éducation. Les données de la Banque mondiale sont encore plus inquiétantes, car selon l’institution 60% des chômeurs en Afrique sont des jeunes, et lorsque ces derniers ont un emploi, une immense majorité travaille dans l’informel.
À la lumière de ces chiffres, les prévisions de croissance démographique de l’ONU pour l’Afrique suscitent davantage d’inquiétude que d’espoir dans l’état actuel des choses. Si la population passe effectivement à 2,4 milliards (dont 50% sont des jeunes de moins de 25 ans), comment évoluera en conséquence le taux de chômage sur le continent ? Et les économies africaines sont-elles préparées à absorber les millions de nouveaux entrants sur le marché de l’emploi ? L’évidence des réponses à ces questions doit interpeller.
Besoins actuels vs besoins de demain
Selon des données de l’Unicef datant de 2022, trois jeunes sur quatre ne disposent pas des compétences nécessaires pour occuper un emploi formel. L’un des problèmes majeurs du marché de l’emploi africain réside dans le fossé énorme entre l’offre de main-d’œuvre et les besoins réels des économies locales. La majorité des jeunes africains ne possèdent pas les compétences recherchées par les secteurs porteurs.
Cette inadéquation est aggravée par des systèmes éducatifs souvent déconnectés des réalités du marché. Les programmes scolaires et universitaires continuent de former des milliers de jeunes à des métiers peu demandés, alors que l’économie numérique et les nouvelles technologies transforment les besoins des entreprises. Se projeter dans les besoins réels du marché de demain amène à se poser d’autres questions. Quels secteurs seront les plus porteurs ? Quelles compétences seront indispensables ? Les réponses à ces questions conditionnent l’avenir économique du continent.
Le cabinet Boston Consulting Group (BCG) estime par exemple que 650 millions d’Africains devront être formés ou recyclés aux compétences numériques d’ici 2030 pour que le continent puisse tirer parti du potentiel énorme de l’économie digitale. Mais derrière l’économie numérique plébiscitée par beaucoup de monde, d’autres secteurs sont également porteurs, notamment l’agriculture, qui emploie encore une majorité d’Africains et où de nouvelles technologies innovantes sont introduites et appellent à une évolution des compétences. Selon la Fondation pour le renforcement des capacités en Afrique (ACBF), une agence spécialisée de l’Union africaine citée en 2020 par Agence Ecofin dans un article, la pénurie en ressources humaines en Afrique se chiffre à plus de huit millions de médecins et de spécialistes, plus d’un million de chercheurs, plus de quatre millions d’ingénieurs et près de 70 000 agronomes.
Transformer les beaux discours en action
Si l’on excepte quelques initiatives éparses dans certains pays, peu de stratégies concrètes sont mises en place pour préparer la main-d’œuvre aux réalités de demain. Selon Akinwumi Adesina, président de la BAD, l’Afrique doit vite agir pour éviter une grande crise du chômage avec seulement 100 millions de personnes employées sur 450 millions en 2030.
Pour éviter cette crise, les gouvernements africains doivent cesser de se reposer sur ce mythe démographique et agir avec détermination. Un potentiel qui n’est ni cultivé ni accompagné reste un simple slogan. Il est temps de passer aux actes, et ce, à grande échelle, car le coût de l’inaction sera insupportable pour les générations à venir. Cela n’implique pas seulement de créer des opportunités d’emploi, mais aussi de s’assurer qu’elles correspondent aux compétences disponibles, et vice-versa. Il est également urgent de concevoir des politiques d’emploi qui incluent tous les segments de la population, en particulier les femmes et les jeunes des zones rurales.
L’Afrique possède un potentiel immense, mais ce potentiel ne se réalisera pas de lui-même. Le continent doit investir massivement dans sa jeunesse et dans les compétences nécessaires pour faire face aux mutations du marché de l’emploi. Car si la bombe démographique n’est pas désamorcée aujourd’hui, elle explosera demain, avec des conséquences qui ne se limiteront pas à l’économie. Le futur de l’Afrique ne se décidera pas dans vingt ans. Il se joue maintenant.
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