Africa-Press – Gabon. Usant du pseudonyme «Le Binational», un auteur ayant requis l’anonymat a fait parvenir à GabonReview le texte suivant. Explorant les enjeux de l’inclusivité et de la diversité dans le contexte gabonais, critiquant vivement les propositions nationalistes du Dialogue National Inclusif (DNI) qui menacent l’unité et le vivre ensemble du pays, il appelle à une réconciliation avec le passé et à une réforme des institutions pour bâtir un Gabon véritablement inclusif et prospère, loin des pratiques de discrimination et de favoritisme qui ont longtemps gangrené la nation.
Le Gabon notre pays a depuis toujours été une terre d’accueil et d’ouverture. Le nom de sa capitale « Libreville » témoigne d’ailleurs si c’était encore nécessaire, de cet héritage. Les pères fondateurs de notre pays ont reconnu et défendu l’importance pour nous de demeurer ouverts aux autres et de créer les conditions permettant à ceux-ci d’apporter leur contribution au développement du Gabon.
La nouvelle ère qui s’offre à nous, avec l’arrivée du CTRI, est porteur d’espérance pour le développement de notre pays. Les gabonais et gabonaises ont de bonne raison de fonder en ce nouvel élan beaucoup d’espoirs pour renforcer notre vivre ensemble et surtout pour prioriser le développement harmonieux, inclusif, et équitable de notre pays au détriment de la satisfaction des intérêts personnels, familiaux ou ethniques. Le Dialogue National Inclusif (DNI) auquel nous venons d’assister est, de cette perspective, une initiative salutaire. Il a livré ses conclusions qu’il revient à chacun de juger de la pertinence car celles-ci sont supposées alimenter la fondation de notre essor vers la félicité.
Tout en saluant la fécondité des réflexions et le travail accompli par les participants et participantes au dit Dialogue, il serait irresponsable de garder le silence devant certaines propositions pour le moins iniques car dénotant d’un nationalisme dévoyé et abject avec pour seul objectif l’exclusion et le rejet de l’autre, et pour conséquence, saper notre vivre ensemble. Il s’agit notamment des propositions relatives à la question de la nationalité et parmi lesquelles celles concernant les enfants nés de parents dont l’un serait étranger.
En effet, comment peut-on demander à une République, au 21eme siècle, celui qui a connu l’effectivité du village planétaire, qui appelle à plus d’ouverture, qui impose plus d’interdépendance et de rapprochement entre les peuples, etc. d’exercer la discrimination négative sur ses propres enfants du fait de leur ascendance. Où dans nos us et coutumes, du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest, des 9 provinces de notre pays, trouve-t-on les bases d’un tel raisonnement ou de telle pratique. Notre culture Bantu ne fait pas et n’a jamais fait d’acception des enfants selon que l’un ou l’autre parent serait étranger.
Que des Gabonaises et des Gabonais aient choisi d’épouser des non-gabonais(e)s ne constitue pas un délit encore moins un crime et cela ne fait pas non plus de leur progéniture des personnes ayant une propension à la prédation, ou à moins de patriotisme, vis à vis de l’Etat gabonais au point de justifier que celle-ci soit d’office exclue de certaines hautes fonctions de la République (la Constitution existant jusqu’à présent ayant déjà suffisamment encadré la question pour ce qui est de la fonction de Chef de l’Etat). C’est abject, irresponsable, contraire à notre culture, au bon sens et dangereux pour notre vivre ensemble.
D’aucuns, lors du DNI, ont avancé comme justification à leur proposition inique et d’une xénophobie acerbe, le pillage qu’aurait effectué des naturalisés et binationaux dans notre pays. On ne saurait nier que des naturalisés et binationaux ont pillés ce pays. De même qu’on ne saurait affirmer que tous les naturalisés et binationaux sont des pilleurs. Il y’a même fort à penser que plusieurs des binationaux et des naturalisés dans notre pays vivent loin des cercles du pouvoir, n’occupant aucune fonction publique, évoluant dans le privé ou étant très souvent promoteurs d’entreprises privées qui emploient des milliers de gabonais et de gabonaises.
La colère contre la prédation des richesses de notre pays est fortement justifiée et partagée. Cependant, il faut savoir raison garder. A qui la faute ? Une simple analyse de l’histoire récente de notre pays témoigne d’un grand mépris de nos dirigeants. Au lieu de servir le peuple, ils ont érigé un système d’obligés et de courtisans. Ils ont adopté ou fait adopter des lois pour concentrer les pouvoirs entre les mains d’une seule personne afin de créer un système de courtisans, de lèches culs, d’encenseurs… en contrepartie des nominations sans aucune obligation de résultats d’intérêt pour la population. L’intérêt du « prince » étant le seul qui compte.
Ainsi, le petit pont fait dans tel sous quartier, la petite voirie aménagée (et qui sera détériorée en moins de 3 mois), la peinture refaite sur le mur de l’école du village, le carburant mis dans le groupe électrogène du village (qui ne fonctionnera que pour les quelques jours que durera la campagne électorale), le kit de médicaments livré à tel hôpital (sans oublier qu’il y a un budget pour), et même l’exposition de populations devant les écrans pour recevoir quelques sacs de riz (vraiment triste – et dire que nos médias continuent à relayer de tels images dégradant de notre population), etc. étaient tous des « dons du Chef de l’Etat ». Oui, parce que ce dernier n’est pas au service du peuple. Il n’a que des faveurs à faire au peuple. Ainsi, pour cette élite, l’eau, la route, l’électricité, la santé, l’éducation, etc. ne sont pas des droits pour les citoyens gabonais mais des faveurs… et dire que ce n’est pas le fait des naturalisés, des binationaux ou encore des enfants nés de parents dont l’un est étranger.
De quelques raisons de notre échec
Que dire de la faiblesse de nos institutions. C’est la couardise, la flagornerie, la complicité et l’indifférence (face à la souffrance du peuple) de ceux et celles qui les ont dirigées… c’est aussi le mépris des lois de la République, l’absence de culture de reddition des comptes, et surtout une totale impunité qui ont créé et entretenu les conditions à toutes sortes de gabegies dans notre pays. Il suffit pour s’en convaincre de regarder le sort réserver aux rapports de la Cour des Comptes, lorsqu’ils existent, de l’inaction des entités chargées de la lutte contre l’enrichissement illicite, etc.
Ce ne sont pas les binationaux, les naturalisés, encore moins les gabonais d’ascendance étrangère qui ont dirigé la Cour Constitutionnelle qui pendant des années a contribué à priver le peuple de l’alternance démocratique tant rêvée et pour laquelle de nombreux compatriotes sont morts.
Ce ne sont pas les binationaux, les naturalisés et les enfants dont l’un des parents n’est pas gabonais qui ont orchestré le tripatouillage électoral dans notre pays, ou qui ont transformé notre loi fondamentale en une sorte de machin modifiable à souhait, au gré des désiderata du « prince », mettant davantage en péril la sécurité juridique de notre pays.
Affirmer que le pillage de notre pays a été le fait des gabonais et gabonaises de toutes origines et en particulier des gabonais et gabonaises de souche est une lapalissade. Malheureusement, les participants au DNI semblent avoir identifié les seuls coupables – les naturalisés, les binationaux, et les gabonais et gabonaises nés d’un parent non-gabonais. Avec recul, cela se comprend, car les participants au DNI, ont choisi, contre toute logique, de ne pas faire la lumière sur les errements orchestrés à la tête de notre pays aux cours de la dernière décennie. La proposition d’établissement d’une Commission Vérité, pour faire la lumière sur les années tristes de notre pays, ayant tout simplement été rejetée. Espérons que la CTRI aura la sagesse de revoir la copie.
Perspective pour notre pays
Comment comptons-nous construire notre nouvel vivre ensemble sans nous réconcilier avec notre passé ? Combien de gabonais et de gabonaises sont morts pour l’alternance dans ce pays ? Aucune lumière sur les causes de leur mort. Aucune reconnaissance. Même pas des excuses de l’Etat sensé les protéger. Que dire des budgets votés pendant des années et jamais exécutés ? etc.
Quelle histoire contemporaine du Gabon nos enfants apprendront dans nos écoles ? Comment semer les germes d’un sursaut national en faveur du « Plus jamais ça » si aucune lumière n’est faite sur ce triste passé.
Si les participants du DNI ont vite fait de trouver des boucs émissaires trop faciles et moins risqués à indexer, à savoir les naturalisés, les binationaux, les enfants gabonais issus de parents dont l’un est étranger, nous devons avoir le courage d’affronter notre passé, et pour cela il faut lui faire toute la lumière, et assumer notre part de responsabilité devant l’histoire et la nation.
Conclusion
L’histoire des peuples du Gabon est une histoire de métissage. Nous devons préserver cet héritage pour améliorer notre vivre ensemble.
Le patriotisme ne se transmet pas par le sang (un tel gène n’existe pas !), il se cultive par l’éducation, par le partage d’une histoire commune et inclusive. C’est à dire une histoire dans laquelle l’action et la bravoure des gabonais et gabonaises de souche, des naturalisés, des binationaux et des enfants dont un seul parent est gabonais, pour le rayonnement de notre pays est racontée et valorisée. C’est aussi une histoire dans laquelle les errements des gabonais et gabonaises de souche, des binationaux, des naturalisés et des enfants dont un seul parent est gabonais trouve également toute sa place pour être dénoncée.
Le principal garde-fou contre l’absence de patriotisme, les errements dans les fonctions publiques ou la prédation de l’Etat, c’est la force de nos institutions et le sérieux dans l’application effective et indiscriminée de nos lois. La xénophobie et le nationalisme dévoyé sont au mieux de la diversion, et au pire un danger contre notre essor.
Oui au nouveau Gabon !
Non au nationalisme dévoyé !
Non à l’exclusion !
Oui à la diversité !
Pour notre essor vers la félicité.
Auteur: Le Binational
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