Dix ans d’AKAA : l’art africain entre héritage et renouveau

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Dix ans d’AKAA : l’art africain entre héritage et renouveau
Dix ans d’AKAA : l’art africain entre héritage et renouveau

Africa-Press – Guinée. C’est un anniversaire. AKAA (Also Known As Africa) revient, du 24 au 26 octobre 2025, pour sa dixième édition au Carreau du Temple en plein cœur du Marais. La foire dédiée à l’art contemporain africain et ses diasporas s’est ancrée dans le calendrier des collectionneurs et des amateurs d’art. Désormais, elle s’impose comme l’un des rendez-vous incontournables en Europe pour les scènes africaines et diasporiques. Cette année, elle accueille une quarantaine de galeries et plus d’une centaine d’artistes. Au-delà d’un simple événement commercial, AKAA se rêve plus comme une plateforme de partage entre artistes, galeries et collectionneurs, célébrant la diversité et soutenant la création et l’émergence d’artistes.

« La matière », thème central de cette édition

Pour cette édition anniversaire, le nouveau directeur artistique, Sitor Senghor, choisit le retour à l’essentiel: « La matière ». Le bois, pour les sculptures d’Epaphras Toïhen (galerie Vallois), ou les chutes de cuir pour les tableaux d’Abongile Sidzumo (Loo & Lou Gallery), du tissu recyclé façon collage avec Ange Arthur Koua (galerie Olivier Waltman), la matière est à l’origine.

Sur le stand de Primo Marella Gallery, on retrouve deux artistes phares du continent qui travaillent le textile sans relâche: le Malien Aboulaye Konaté et le Malgache Joël Andrianomearisoa. Ce dernier a aussi une œuvre immersive présentée par Art Basel Paris, en accès libre dans la cour de l’Hôtel de la Marine. Les Herbes folles du vieux logis(2020–2025), tout en nuances de vert, est un hommage à l’écrivain Maurice Ramarozaka.

Ghizlane Sahli, chez Christophe Person, brode des œuvres organiques, à partir de déchets. Elle prélève des alvéoles en plastique qu’elle recouvre de fils soyeux extraits de l’aloe vera. Angalia présente Eli Made, un jeune artiste de République démocratique du Congo. Autodidacte, il a créé sa propre technique. Sa peinture à l’eau de javel sur coton noir fait apparaître des portraits saisissants.

Les exposants ont donc respecté la thématique en présentant des créations qui représentent un retour « aux fondements de l’art, à la matière, au travail manuel », conformément à la vision du directeur artistique, Sitor Senghor.

Sitor Senghor, un nouveau souffle artistique

Collectionneur, ancien galeriste et conseiller artistique, le nouveau directeur artistique imprime sa patte, tout en se projetant dans l’avenir. Cette dixième édition, il l’envisage plus comme une année de transition et de renouvellement.

Déjà pour cette année, le comité de sélection était plus orienté vers le marché international de l’art et anglo-saxon avec Mamadou-Abou Sarr, collectionneur et financier, basé à Chicago ; Eve Therond, conseillère artistique et collectionneuse, basée à New York et Paris ; et le Nigerian Andy Amadi Okoroafor, curateur et cinéaste. « Il n’y a pas de galerie dans ce comité, car on ne peut être juge et partie », commente le directeur artistique.

Serge Mouangue, entre Japon et Afrique

Pour cette édition, un espace « Terre Mère » dédié à la céramique met en valeur les œuvres de six artistes. Longtemps marginalisée, la céramique retrouve sa place en tant que médium liant tradition et expérimentations créatives. Un autre espace « Maîtriser » rassemble des œuvres d’artistes, figures majeures de la scène contemporaine africaine. Sur les cimaises, un drapeau de l’Amérique désenchantée de Nu Barreto dialogue avec des tableaux de M’barek Bouhchichi, des personnages noirs, l’air un peu triste et humble. Une sculpture de Ndary Lo se penche sur le visiteur. Pour ces deux espaces, curatés par Sitor Senghor, une participation est demandée aux galeries pour les frais d’accrochage et de médiation.

C’est aussi l’occasion de découvrir l’installation monumentale de Serge Mouangue, artiste camerounais résidant à Tokyo. Étonnamment, il dit avoir découvert la profondeur de ses racines africaines au pays du Soleil-Levant. « Travailler et vivre au Japon m’ont rapproché de l’Afrique. Les Japonais ont de l’Afrique en eux. » Le visiteur tombe sur une mystérieuse procession de « Seven Sisters », des femmes qui portent un masque japonais Punu. Il présente aussi les « gardiens » les « Mamori-gami », des masques de combattants japonais de kendo entrelacés de perles camerounaises. Dans ce que l’artiste appelle une troisième esthétique, il fusionne l’art japonais et africain, mixant les codes traditionnels et les esthétiques.

Les défis du continent et du marché

Au moment de l’accrochage, Sitor Senghor se désespère. Les responsables de Umoja Art Gallery ne sont toujours pas arrivés, bloqués par un visa non délivré à temps. Heureusement, les tableaux de Joseph Ntensibe, des forêts tropicales oniriques, sont bien là et déjà en place. Et ce n’est pas faute de ménager ses efforts. « Depuis cet été, je suis entré en contact avec l’ambassade de France à Kampala, j’ai contacté le cabinet de la ministre de la Culture Rachida Dati, pour que les visas soient délivrés. Cette galerie existe depuis 14 ans, ils ne vont pas rester ici ! Déjà l’an dernier, la galerie n’a pas obtenu les visas, ce qui a représenté une perte de 10 000 à 13 000 euros pour eux », soupire Sitor. Pourtant, nous devons encourager les galeries du continent à venir pour AKAA. » Soulagement, l’équipe de Umoja a pu être là pour l’ouverture.

AKAA s’inscrit dans un marché mondial de l’art en net recul depuis deux ans. « Pour autant, l’art africain n’enregistre pas les mêmes chutes que l’art contemporain, mais ce ne sont pas non plus les mêmes niveaux de prix », fait observer Sitor. Par exemple, pour la foire de Art Basel, Paris, les prix s’échelonnent de 15 000 euros à 23 millions d’euros. Pour AKAA, la fourchette est en gros comprise entre 1 000 et 70 000 euros.

« Le ménage a été fait ses trois dernières années. Les cotes artificielles se sont dégonflées et la qualité est de retour. Sur le marché de l’art contemporain africain, les artistes travaillent plus dans le fond des choses et moins de manière conceptuelle qu’en Occident », constate-t-il.

Un marché qui se stabilise, une qualité retrouvée

Depuis que la FIAC a été remplacée par Art Basel Paris, la capitale française monte en puissance. À côté de cette foire leader se greffent une dizaine de foires spécialisées et des salons, comme Asia Now, Offscreen ou Menart. L’engouement est réel, notamment de la part des étrangers. « À l’ouverture, c’était noir de monde. Tout New York était là », se réjouit Sitor Senghor. « Étant sur les mêmes dates, nous bénéficions de cette dynamique » et il reconnaît que « Basel a développé un service de conciergerie VIP hors du commun. Ils organisent une semaine complète à Paris. Après les JO et la réouverture de Notre-Dame, les touristes, les amateurs d’art, les collectionneurs reviennent à Paris ».

Cet engouement, le succès d’Art Basel Paris, où les galeristes sont venus montrer leurs plus belles pièces, ne doit pas faire oublier les difficultés. Les galeries sont les premières à souffrir. Certaines ferment, d’autres se replient. Par ricochet, les artistes aussi risquent d’être confrontés à un monde en crise.

Chaque année, ce sont 15 000 visiteurs qui passent à AKAA pour prendre le pouls de la création africaine et de ses diasporas. Elle reste foisonnante et inspirante. Et quelle bonne idée aussi d’avoir devant l’entrée du Carreau du Temple une œuvre d’Ousmane Sow.

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