Dialogue de Sourds-Muets

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Dialogue de Sourds-Muets
Dialogue de Sourds-Muets

Ndimby A., Patrick A.

Africa-Press – Madagascar. L’initiative d’Andry Rajoelina de réunir hier les forces vives a fait salle comble à Iavoloha. Cela n’est pas étonnant, entre ceux qui ont essayé d’être visibles au moment de la constitution d’un nouveau gouvernement, ceux qui y ont vu l’occasion unique de se sentir important en pouvant fouler le sol d’un Palais présidentiel, ceux qui ont été forcés à faire acte de présence, notamment les fonctionnaires, sans oublier les partisans du chef de l’État invités à aller le critiquer publiquement. Le mouvement de la Gen Z avait pour sa part déclaré qu’il ne dialoguerait pas avec un pouvoir qui réprime, violente et humilie la jeunesse dans les rues. Ceux qui sont allés à Iavoloha ne représentent donc pas ceux qui manifestent leurs frustrations dans la rue.

Andry Rajoelina tente de reprendre la main pour désamorcer la crise actuelle, après avoir été déstabilisé au point de limoger le gouvernement après cinq jours de manifestations. Il reprend peu à peu les mêmes tactiques cousues de fil blanc, et donc les mêmes erreurs qui ont amené la population dans la rue depuis le 25 septembre: promesses, arrogance, populisme pour dire ce que les gens veulent entendre, organisation d’un rassemblement pour donner l’illusion d’une popularité intacte, sans oublier d’y associer des personnalités symboliques.

Il ne se rend pas compte que la stratégie qu’il est en train de mettre en place a peu de chance de lui faire regagner la légitimité qu’il a perdue. Ni la nomination unilatérale d’un Premier ministre, ni les talk-shows télévisés devant des journalistes sous contrôle, et encore moins la pseudo-concertation organisée à Iavoloha hier, dont le concept est singé sur la rencontre de Montpellier entre représentants de la société civile africaine et le Président Macron (Octobre 2021). La française d’origine malgache Lova Rinel y participait: on la pressent comme future Directrice de Cabinet. Ceci expliquant peut-être cela.

Cette initiative de réunir hier les forces vives à Iavoloha relève de la manipulation, mais a toutefois fait salle comble pour les raisons déjà évoquées en préambule. On a donc eu droit à une floppée d’excentriques: celui qui prétendait pouvoir amener un bailleur de fonds prêt à payer 20 milliards de dollars pour les bourses scolaires et les indemnités des enseignants ; cette « grande gueule » qui s’est vu recruter comme conseiller technique à la suite de son intervention ; ou encore cette enseignante qui a demandé une nouvelle moto comme « souvenir » de la part du chef de l’État. Les réseaux sociaux ont très rapidement éventé les acteurs tels que le fameux Belazaina.

Finalement, on a assisté à un dialogue entre un sourd et des muets. Le premier s’est livré à cet exercice pour montrer qu’il entendait, mais sans écouter. Quant à ceux qui parlaient, ils ne représentaient qu’eux-mêmes, et aucunement ceux qui mènent la fronde depuis deux semaines. À part quelques exceptions comme les victimes de pillage, il y a donc eu très peu d’intervenants crédibles. Mais pour Andry Rajoelina, salle remplie et possibilité offerte de s’adresser directement à lui devant les caméras pour exprimer des doléances suffisent pour le côté esthétique.

Ce fut donc juste un show manara-penitra, mais aux normes Rajoelina: paroles, promesses, interlocuteurs « préparés ». Il a promis encore une fois de faire ce qu’il n’a jamais fait depuis 2009 en matière de bonne gouvernance, ou même en matière de résolution de délestages. Depuis la transition 2009-2013 et la propagande des présidentielles 2018 et 2023, la population a appris à évaluer la crédibilité de la méthode. Quant aux plus mécontents, ils seront probablement ulcérés par certains propos provocateurs, comme l’accusation faite à Rivaldo, manifestant tué par balles à Antsiranana, d’avoir été un pilleur de bijouterie.

On note d’ailleurs que si cinq thèmes avaient été prédéfinis, un thème majeur a été écarté alors qu’il est une cause de frustration depuis des décennies: la démocratie. Or, les arrestations arbitraires, les répressions contre les manifestants aux mains nues, les intimidations de lanceurs d’alerte, sans oublier les fraudes électorales avalisées par la Justice, font partie des maux de ce pays. En poussant ces sujets de côté, le Président a évité les sujets qui fâchent et a canalisé le débat vers ceux sur lesquels il croyait pouvoir avancer des promesses de solutions toutes prêtes. Quelle crédibilité peut-on d’ailleurs accorder à ce dialogue prétendument apaisé et inclusif alors que les vrais manifestants se font enfumer et bastonner?

De telles agitations cosmétiques montrent s’il en était besoin qu’Andry Rajoelina n’a rien compris de la dynamique actuelle. S’il ne comprend pas aujourd’hui, il comprendra trop tard.

Source: Madagascar-Tribune.com

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