Ndimby A., Patrick A.
Africa-Press – Madagascar. La séquence qui a commencé depuis le jeudi 25 septembre a clairement mis en lumière deux processus différents. D’une part, les manifestations pacifiques de la Gen Z Madagascar pour revendiquer la fin des délestages et le respect des droits fondamentaux. D’autre part, les pillages qui ont eu lieu, s’attaquant d’abord aux commerces, puis ensuite aux domiciles de particuliers. Ceux qui ont appelé à répliquer les mouvements qui se sont déroulés à Katmandou il y a quelques semaines auraient-ils obtenu une népalisation, mais inversée?
Avant le 25 septembre, les appels à s’en prendre aux domiciles des hiérarques du pouvoir, en partageant leurs adresses sur les réseaux sociaux, avaient créé un climat de terreur dans les cercles dirigeants. Toutefois, à présent, ce sont les citoyens qui sont les victimes de ce terrorisme: les appels à la violence ont été suivis d’effets. Toutefois, les victimes ne sont plus celles qui étaient désignées d’avance car les pillages s’en prennent aveuglément à leurs cibles. Du moins, presque aveuglément, car on observe que les biens de certains oligarques sont étrangement et systématiquement épargnés.
De toute évidence, les deux processus de revendications et de pillages sont indépendants, même s’ils se déroulent dans la même fenêtre temporelle. On ne peut en aucun cas imaginer que c’est la Gen Z Madagascar, encore en quête d’organisation, qui pourrait être derrière les actes de vandalisme. L’observation du phénomène met en évidence que les pillages ne sont aucunement spontanés et reflètent une organisation orchestrée en sous-main. Les deux questions à creuser sont donc celles-ci: qui et pourquoi?
La question du « qui » a déjà été partiellement abordée dans notre précédente analyse. De par l’expérience de la vie politique malgache depuis la Deuxième République, et notamment au vu de ce qui a été observé pendant la crise de 2009, les regards soupçonneux se tournent spontanément vers le pouvoir en place. Sa motivation serait que la psychose créée par les pillages peut avoir comme effet indirect un bris de la dynamique des manifestations en en réduisant l’affluence, d’une part parce que la population va préférer rester chez elle pour veiller sur ses biens, et d’autre part parce que l’amalgame créé entre pillages et manifestations va finir par discréditer ces dernières.
Il y a toutefois une deuxième hypothèse possible. Les pillages pourraient être l’œuvre de groupes politiques désireux de fragiliser le pouvoir. Le premier réflexe serait de penser à l’opposition politique. Toutefois, l’échec de la « révolution des choux-fleurs » de 2023 montre que l’opposition est faible et ne dispose pas des relais qui seraient nécessaires auprès des bas-quartiers et du milieu du rugby, vivier habituel des gros bras et casseurs depuis des décennies. En revanche, on peut imaginer que ces actes de vandalisme pourraient être à l’initiative de groupes proches du pouvoir, mais qui désireraient se débarrasser d’Andry Rajoelina, et notamment empêcher toute velléité de troisième mandat.
Cette deuxième hypothèse est donc celle d’une guerre interne entre deux clans du même régime, dont l’un souhaiterait accéder de manière plus directe au pouvoir et à ses avantages. L’attrait des prébendes a toujours généré à un moment ou à un autre des Iznogoud parmi ceux qui sont frustrés de « ne manger que des miettes” dans l’ombre de celui qui est en première ligne. En science politique, un coup d’État n’est pas toujours l’œuvre de l’opposition.
La journée d’aujourd’hui s’annonce encore une fois tendue, avec un appel de la Gen Z Madagascar à un large rassemblement au campus d’Ambohitsaina. Depuis jeudi, les forces de l’ordre ont choisi de réprimer dans la brutalité une manifestation pacifique de jeunes aux mains nues. Il est à craindre que les déclarations peu éclairées ce dimanche d’Andry Rajoelina n’encouragent davantage les forces de l’ordre dans la répression, et les gros bras dans les pillages. Les officiers de gendarmerie qui se sont rendus coupables des exactions de la semaine passée savent d’ailleurs que la démonstration de la capacité à maîtriser les manifestations d’opposition dans la Capitale est un accélérateur de carrière. Depuis 2009, tous les colonels ayant eu ce genre de responsabilités à la Circonscription inter-régionale de la gendarmerie à Antananarivo (CIRGN) se sont très vite retrouvés étoilés, de Richard Ravalomanana à Zafisambatra Ravoavy, en passant par Andry Rakotondrazaka. Il est donc prévisible que l’ambitieux lieutenant-colonel Tojo Raoilijon cherche à leur emboîter le pas dans la répression féroce face à la Gen Z Madagascar. Celle-ci ne fait pourtant que revendiquer ce qui devrait être un droit fondamental du XXIème siècle: un accès décent à l’eau et l’électricité.
De ce qui précède, il semble que deux principaux scenarii se dégagent. Première piste possible, comme en 2023, la répression va finir par avoir le dessus et tout va revenir dans la « normalité », délestages y compris, ponctuée de temps à autre de promesses et velirano dont on connaît désormais la valeur. Deuxième hypothèse, le mouvement Gen Z Madagascar pourrait prendre de l’ampleur avec un engagement accru des politiciens et des syndicats, et ce malgré la réticence de la Gen Z. Cette alliance de circonstance risque de savonner la planche sur laquelle marche le régime, avec les effets que l’on a vus à plusieurs reprises dans les crises depuis 1972.
Andry Rajoelina aura donc le choix entre trois options:
– Durcir la répression, avec des effets hasardeux qui pourraient rappeler Ratsiraka, Ravalomanana, Kadhafi, Ben Ali et Moubarak (entre autres). Va-t-il confirmer la prévision commise il y a quelques semaines par notre consoeur Ikala Paingotra: « Pourquoi la dictature reste la seule option pour Rajoelina »? ;
– Chercher une porte de sortie honorable dans le style de la Convention de 1991 ;
– Quitter volontairement le pouvoir et le remettre suivant les procédures constitutionnelles au Président du Sénat pour un intérim transitionnel, quitte à négocier sa remise en selle à travers les habituelles élections mal fagotées.
Ces options sont sur la table et représentent celles où il exerce un choix. Toutefois, il y a une quatrième possibilité dans laquelle la population, ou un larron tapi dans l’ombre, ne lui laisse d’autre alternative que la fuite en exil. Andry Rajoelina avait sans doute envisagé un tel scénario quand il avait demandé son fameux huit centimètres.
Source: Madagascar-Tribune.com
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