Ikala Paingotra
Africa-Press – Madagascar. Avec l’alternance politique est venue la saison des canulars, des manipulations et autres intox. La dernière rumeur en date est née lors de la passation au ministère de l’Économie et des Finances pour justifier l’absence de Rindra Hasimbelo Rabarinirinarison: elle aurait déjà pris un nouveau poste à Washington DC. Certains pseudo-fins limiers de Facebook, toujours à l’affût de l’opportunité de faire l’intéressant, ont sorti le résultat de leur “investigation”. La rumeur a donc été amplifiée par un “Communiqué citoyen sur la nomination de Mme Rindra Hasimbelo Rabarinirinarison à la Banque mondiale”, émis par un obscur “Collectif Citoyen pour la Transparence”, et qui a affirmé que la dame aurait été nommée “Directrice exécutive représentant Madagascar auprès de la Banque mondiale”.
Sans même avoir à recouper l’information [1], il suffisait de passer en revue les pages du site internet de la Banque mondiale pour apprendre (au moins) trois choses.
Executive Director (ED) est le titre en anglais donné aux membres du Conseil d’administration de la Banque mondiale (Administrateurs en français), et n’est pas un Directeur exécutif comme pourraient le comprendre des francophones.
comme tous les pays “pauvres”, la Grande Île n’a pas d’ED en son nom propre, et est représentée par quelqu’un qui couvre 23 pays dont Madagascar.
l’ED représentant Madagascar, le Capverdien Harold Tavares et sa suppléante, la Centrafricaine Marlène Nzengou, ont pris leurs fonctions en novembre 2024 pour un mandat de cinq ans.
Rien qu’à ce stade, l’information du “Communiqué citoyen” était déjà non crédible. De toutes manières, il semble que l’information sur son prétendu nouveau poste n’était qu’un prétexte pour dresser un réquisitoire en règle contre l’ancienne ministre. Rindra Rabarinirinarison n’est donc pas ED. On verra avec curiosité dans les prochaines semaines si la fumée a été causée par un feu réel, du genre l’obtention d’un autre poste à la Banque mondiale, ou bien si ce n’était qu’une rumeur, qui a même peut-être été propagée par l’intéressée elle-même pour faire un pied de nez aux auteurs d’IST à retardement.
La mentalité des Malgaches: un terrain propice aux rumeurs
La question qui se pose est la suivante: pourquoi de telles rumeurs gagnent-elles si facilement du terrain à Madagascar? Pour des raisons de faible éducation et de mentalité discutable, les Malgaches sont déjà par nature propices aux tsaho, tondro-molotra et honohono. Le contexte politique actuel exacerbe cela, à cause d’une volonté de revanche et de vengeance contre les hiérarques de l’ancien régime et leurs proches. Des vices tels que lancer des rumeurs, diffamer et calomnier sont donc devenus des vertus aux yeux de nos compatriotes écœurés par les années Rajoelina. Les accusations lancées à tort (mais pas toujours à travers) contre des compatriotes d’être “olon’i Ravatomanga”, les actuelles campagnes anti-maçonniques animées par des ultracrépidariens fanatiques, ou encore les publications de certains Facebookers affirmant que le Professeur Manorohanta est associée aux troubles qui ont eu lieu dernièrement à Antsiranana, montrent juste une chose. Celle de la réalité de la fameuse citation du Professeur Umberto Eco, « Les réseaux sociaux ont donné le droit de parole à des légions d’imbéciles qui, avant, ne parlaient qu’au bar et ne causaient aucun tort à la collectivité. On les faisait taire tout de suite. Aujourd’hui, ils ont le même droit de parole qu’un prix Nobel. C’est l’invasion des imbéciles. ».
On doit aussi pointer du doigt le rôle néfaste de certains « influenceurs » qui contribuent au partage des fake news, dans le but de faire l’intéressant en partageant des scoops croustillants, mais pas nécessairement avec l’objectif de dire la vérité. Le pire est que certains se prétendent « journalistes », mais sans en prendre les normes éthiques et professionnelles. C’est sans doute la grande limite des réseaux sociaux: le véritable moteur est la quantité de l’audience, quelquefois racolée à n’importe quel prix, à coups de mensonges et de vulgarités, et non la volonté de donner de l’information de qualité. Le tout intervient dans un environnement de pertes de valeurs morales et d’une envie de célébrité et d’enrichissement rapides chez les jeunes, fascinés par les exhibitions et distribution d’argent par certaines personnalités du show-biz local au nom du « werawera tsy maintsy mandeha ».
Ces derniers jours, on a également vu un autre canular, quoique dans un registre plus léger: le jeune Betina Bruno a publié un post sur Facebook en prétendant avoir reçu un prix, accompagné d’une photo photoshopée d’un chèque. Les organismes qu’il a associé à son mensonge ont immédiatement réagi en publiant des démentis, tels que l’Onudi, la Chambre de commerce, et le Syndicat des industries de Madagascar. Que pouvait-il y avoir dans la tête de ce jeune homme pour penser qu’un telle manipulation passerait comme lettre à la poste? Mais dans un pays habitué à voir des 6ème dan de complaisance et des titres fosika de champion ou de leaders africains de l’année, il ne faut s’étonner de rien.
Sans doute la “refondation” voulue dans les institutions et les pratiques doit commencer par un changement de mentalité. On aurait pu penser que la propension à croire et partager des fake news était réservée aux couches défavorisées de la population. Mais très bizarrement, l’observation de Facebook permet de constater qu’un tel comportement se retrouve aussi (et surtout?) chez des gens instruits, qui ont voyagé, qui vont à l’Église tous les dimanches, vivent largement au-dessus du seuil de pauvreté, et aiment donner des leçons d’éthique et de morale au monde entier.
Source: Madagascar-Tribune.com
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