vitrine d’une dictature éclairée ?

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vitrine d’une dictature éclairée ?
vitrine d’une dictature éclairée ?

Ndimby A., Patrick A.

Africa-Press – Madagascar. La commémoration du trentième anniversaire du génocide rwandais, et la communication effrénée du Président malgache autour de sa participation à l’événement, invite à une réflexion sur la question de trajectoire. Comment un pays atteint par une telle tragédie a réussi en trois décennies à se hisser au rang des relatifs exemples de réussite économique ? Relatif, car le Rwanda est encore classé parmi les pays pauvres par la Banque mondiale avec un pays/habitant en dessous du seuil de $1315 nécessaire pour passer dans les pays à revenu intermédiaire.

Toutefois, le Rwanda a fait des progrès admirables et indéniables depuis la tragédie du génocide. Développement: son PIB qui était de $249 en 1994 a grimpé à $966 en 2020. Le taux de croissance du PIB est en moyenne de 8% par an depuis 1995. Le Rwanda a atteint 20% de ses objectifs dans le domaine des Objectifs de développement durable (ODD) onusiens, en particulier en matière d’action pour le climat. Selon la Banque mondiale, le taux de pauvreté y est passé de 75,2% en 2000 à 52% en 2016, et les succès dans les domaines de la santé maternelle et infantile remplissent les rapports des agences onusienne. Innovation: l’innovation et les nouvelles technologies font du Rwanda un des leaders africains. Volkswagen y a installé une usine d’assemblage, et le pays a aussi une usine de production de smartphones. Civisme: la capitale Kigali a été déclarée par l’ONU meilleure capitale africaine, avec ses routes bitumées et ses quartiers salubres, et selon le magazine Forbes, elle est la ville la plus propre d’Afrique. Umuganda, une journée d’action communautaire obligatoire, a été instituée pour faire participer les citoyens à des actions collectives de nettoyage et autres, ce que Madagascar a essayé de singer sans grand succès avec l’initiative tagnamaro. Donc oui, le Rwanda de Paul Kagamé enchaîne les success stories, ce qui ne peut que rendre jaloux les autres pays, à commencer par Madagascar.

Le Rwanda est donc l’image de ce qu’une dictature éclairée peut apporter en Afrique. Dictature, car Paul Kagamé ne se soucie pas de démocratie, et que le succès du Rwanda fait qu’il peut également se permettre d’ignorer les haussements de sourcil des occidentaux en matière de droits de l’homme et de libertés. Selon Freedom House, « bien que le régime ait maintenu la stabilité et la croissance économique, il a également réprimé la dissidence politique par la surveillance généralisée, l’intimidation, la torture et les restitutions ou assassinats présumés de dissidents en exil ». Mais éclairée, parce que Kagamé a véritablement utilisé son pouvoir pour améliorer le bien-être de sa population et faire progresser son pays. Exemple parmi tant d’autres: la vente du parc automobile de l’État pour économiser les deniers publics. À Madagascar, avoir une 4×4 de fonction demeure la première marque de réussite pour les hauts fonctionnaires.

Besoin d’électrochoc ?

Il y a également un fait qui interpelle. Beaucoup de pays qui ont eu un événement tragique s’en sont sortis ou sont en bonne voie de le faire. On citera entre autres, au côté du Rwanda et de son génocide, l’Éthiopie et sa famine (PIB de $1027 en 2022), le Vietnam et sa guerre (PIB/habitant de $4163 en 2022). Ces événements ont servi d’électrochoc aux dirigeants et à la population. Heureusement ou malheureusement, Madagascar n’a pas vécu ce genre de tragédie, ce qui fait que la quasi-totalité de ses habitants se complait dans une sorte de zone grise permanente: « ni tout blanc ni tout noir, cela pourrait être mieux, mais cela pourrait être pire ». Madagascar a peut-être aussi besoin d’un électrochoc, mais de quel genre ? En attendant, Madagascar est avec un PIB/habitant de $516 pour 2022, alors qu’en 1985 son PIB/habitant était supérieur à celui des trois pays précédemment cités.

Les livres d’histoire démontrent que, partout dans le monde, les dictateurs minables écrasent en nombre les dictateurs éclairés. Pour son plus grand malheur, Madagascar a connu une succession de dictateurs qui n’avaient pas la capacité d’être éclairés. Le seul qui ait un temps montré sa capacité à être suffisamment éclairé pour que, malgré sa propension à l’autocratie, son action profite effectivement à la population fut Marc Ravalomanana. Malheureusement, son ego l’avait amené à franchir certaines lignes qui l’ont rendu vulnérable et critiquable, et l’utilisation du pouvoir pour ses intérêts personnels l’a définitivement discrédité. Quant à l’actuel chef d’État, ses dérives dictatoriales sont évidentes, tout comme les contre-performances dans la gestion du pays: apprenti dictateur, mais loin d’être apprenti éclairé.

En observant le Rwanda, le concept de la dictature éclairée pose une question essentielle: le peuple a-t-il plus besoin de libertés publiques ou de bien-être socio-économique ? Madagascar a résolu la question, car les Malgaches n’ont ni l’un ni l’autre. Il est vrai que passer le cap entre le fait d’être simple dictateur et celui d’être dictateur éclairé exige capacité à avoir une vision, intelligence et patriotisme. Ce ne sont pas nécessairement ceux qui parlent le plus de ces qualités qui en sont les mieux dotés, et les inaugurations de places de la démocratie n’ont jamais transformé un dirigeant ou un pays en démocratie.

Espérons qu’en tant que Président du pays dont la capitale figure au troisième rang des 25 villes les plus sales du monde, Andry Rajoelina ait au moins la volonté et la capacité de s’inspirer de son séjour dans la capitale la plus propre d’Afrique. Faute d’être en mesure d’améliorer la situation de la Jirama ou de juguler l’inflation, il pourrait pour le moins, dans un éclair de lucidité, s’inspirer de la façon dont les Rwandais organisent les camions-bennes et les balais. Son narcissisme et sa mégalomanie pourraient servir de moteur pour rechercher la validation par des entités reconnues comme Forbes de performances réelles dans des domaines essentiels, plutôt que de se complaire dans les awards de pacotille et les dan douteux de karaté.

Source: Madagascar-Tribune.com

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