Maître Alain Raondry : « Tout le personnel judiciaire n’est pas à l’abri d’un mouvement de justice populaire »

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Maître Alain Raondry : « Tout le personnel judiciaire n’est pas à l’abri d’un mouvement de justice populaire »
Maître Alain Raondry : « Tout le personnel judiciaire n’est pas à l’abri d’un mouvement de justice populaire »

Africa-Press – Madagascar. Tout juste élu à la tête de l’ordre des avocats de Madagascar, Alain Raondry partage le contour de ses projets pour les deux prochaines années. Entretien.

Midi Madagasikara

: Quels seront vos chantiers prioritaires à la tête de l’ordre des avocats de Madagascar ?

Alain Raondry

: Plusieurs réformes sont à entreprendre à partir du 1er janvier 2022, date de ma prise effective de fonctions, je n’en citerai ici que quelques-unes. Le premier chantier sera d’actualiser la loi N° 2001-006 du 09 avril 2003 organisant la profession d’avocat et le règlement intérieur du Barreau en fonction de l’évolution de la réalité sociale et professionnelle. Le deuxième sera axé sur l’intensification de la publicité fonctionnelle qui consiste à porter à la connaissance des personnes physiques et morales tous les aspects de la profession aussi bien en tant que conseil juridique qu’en tant que défenseur devant tous les organismes disciplinaires et les juridictions…Le troisième est l’aspiration de l’Ordre des avocats à être un interlocuteur naturel des institutions publiques et des partenaires techniques et financiers en matière d’élaboration de textes. Leur qualité de praticiens du Droit fait que les avocats sont des témoins au quotidien de l’impact du droit positif sur les justiciables et les incidences éventuelles des modifications envisagées. Je pense entre autres aux débats sur l’interruption thérapeutique de grossesse et à la modification de l’ordre de succession en cas de décès.

M-M

: La justice est pointée du doigt par son taux de perception de la corruption élevé par rapport aux autres secteurs. Quels sont les impacts de cette situation pour votre métier?

A-R :

La survie de la profession dépendra de l’efficacité de la politique de lutte contre la corruption. Certains justiciables préfèrent approcher les personnes qui leur promettent illicitement une obligation de résultat sans avoir conscience que tout le monde sortira perdant à long terme. En effet, certaines personnes ont pu blesser mortellement un membre de la magistrature à Tuléar il y a quelques années et les justices de rue ne semblent s’arrêter parce que la confiance envers la Justice a déjà pris un sacré coup. Les avocats ainsi que tout le personnel judiciaire doivent être très vigilants car aussi bien leurs enfants qu’eux-mêmes ne sont à l’abri d’un mouvement de justice populaire pour quelque raison que ce soit. Le seul moyen de l’éradiquer, c’est de rétablir la confiance du peuple envers sa Justice.

M-M

: On sait que le métier d’avocat est victime d’usurpation. Qu’allez-vous faire pour résoudre ce problème?

A-R

: Actuellement, pour devenir avocat, une personne doit étudier huit ans après le baccalauréat : quatre ans d’études de Droit au moins et quatre ans d’études et de stage portant uniquement sur le métier d’avocat. Cette formation porte sur la compétence technique et sur le respect de la déontologie. Alors, a fortiori, lorsque certaines personnes n’ont pas du tout bénéficié de formation juridique et/ou de formation portant sur le métier de la défense, on imagine la qualité de la prestation qui sera fournie aux justiciables. L’article premier alinéa 2 de la loi N° 2001-006 dispose que les avocats seuls ont le droit de plaider et de représenter les parties. Les cabinets juridiques n’ont le droit ni de plaider ni de représenter les parties bien que quelques actions en justice aient été constatées après avoir été introduites par ces derniers. Nous faisons un appel aux différents responsables pour que ces représentations illicites cessent. Des actions en justice seront entreprises à l’encontre de toutes personnes physiques et morales usurpant la profession d’avocat en dehors des exceptions prévues par des lois particulières. Ensuite, bien qu’il ne s’agisse pas d’usurpation, un avant-projet de loi instituant les défenseurs des Droits de l’Homme est en gestation, cela est une très bonne chose car la promotion et la protection de ces droits sont primordiales surtout à Madagascar, les avocats en sont témoins dans l’exercice quotidien de leur profession. Là où le bât blesse, certaines dispositions de cet avant-projet de loi sont ambiguës sur ce que peuvent ou ne peuvent pas faire les défenseurs des Droits de l’Homme en matière d’assistance et de représentation. L’Ordre des avocats devrait être associé plus activement dans l’élaboration de ce projet de loi car cela concerne les droits de la défense. Enfin, une proposition de loi envisage la création d’un Ordre des consultants. Ce genre d’aventurisme législatif est très dangereux d‘un point de vue pédagogique, technique, social, politique et de promotion de l’intégrité car cela reviendrait à dire que tous les Ordres professionnels existants (médecins, géomètres experts, experts comptables, psychologues, ingénieurs, avocats, pharmaciens…) ne servent à rien. Nous appelons tous les métiers qui se sentent concernés à s’ériger contre cette proposition de loi.

M-M

: Près de 70% des avocats exercent actuellement à Antananarivo. Comment expliquez-vous cette proportion qui peut affecter, dans certaines mesures, l’égal accès des justiciables au droit à la défense?

A-R

: Cela s’explique par le caractère libéral de la profession. L’Ordre ne peut pas enjoindre un membre du Barreau à s’installer dans une localité déterminée, cela relève du libre choix de l’avocat. Des mesures incitatives d’aide financière à l’installation sont prévues dans mon programme pour les avocats qui décideront d’exercer dans une juridiction auprès de laquelle aucun ou très peu d’avocats exercent. Il faut reconnaître que certaines localités n’attirent pas pour diverses raisons non cumulatives : manque de diversité des dossiers existants, faible pouvoir d’achat, localité enclavée, manque d’infrastructures en matière de santé et d’éducation…

Recueillis par Rija R.

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