Oppenheimer, le physicien éclipsé par la bombe atomique

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Oppenheimer, le physicien éclipsé par la bombe atomique
Oppenheimer, le physicien éclipsé par la bombe atomique

Africa-Press – Madagascar. Celui qui fut l’un des scientifiques les plus célèbres de l’après-guerre est revenu sur le devant de la scène en 2023 à la faveur du monumental biopic que lui a consacré le réalisateur Christopher Nolan. Mais c’est encore comme “le père de la bombe atomique” que l’on présente J. Robert Oppenheimer, directeur scientifique du projet Manhattan, qui a supervisé la construction des premières armes de destruction massive de l’histoire.

Un chercheur et enseignant réputé et respecté

Ce raccourci commode égratigne déjà la réalité: Oppenheimer n’a pas “inventé” la bombe A, il n’a pas découvert le phénomène de fission nucléaire sur lequel elle est fondée, ni mis au point ses mécanismes de détonation. À partir de sa prise de fonction à la tête du “site Y” (nom de code de la ville-laboratoire de Los Alamos au Nouveau-Mexique (États-Unis), où le “Gadget”, ainsi qu’avait été baptisée la bombe, fut élaboré dans le plus grand secret), il est devenu un administrateur efficace, le leader et le catalyseur de la plus extraordinaire concentration de cerveaux scientifiques jamais constituée.

Or, on oublie souvent qu’avant de devenir le “chef” de ces savants d’élite, Robert Oppenheimer était lui-même un physicien brillant, chercheur et enseignant réputé et respecté. Il avait notamment contribué à “importer” aux États-Unis la révolution de la mécanique quantique dont il avait partagé en Europe l’émergence et le triomphe. Pur théoricien , il avait suivi l’enseignement de Max Born à Göttingen (Allemagne), de Wolfgang Pauli à Zurich (Suisse), et côtoyé de jeunes collègues géniaux comme Paul Dirac ou Werner Heisenberg, ainsi que celui qui fut l’idole de toute sa vie: Niels Bohr.

Dès son retour aux États-Unis, deux des plus grandes universités californiennes, CalTech et Berkeley, se partagent l’enseignement d’”Oppie” (ainsi que l’appelaient ses amis et ses étudiants préférés). Adulé par les jeunes doctorants qu’il prend sous son aile, il cosigne avec plusieurs d’entre eux de nombreux articles scientifiques sur des sujets variés. Cette période californienne sera pour lui la plus féconde sur le plan de la recherche. Après avoir apporté sa pierre à l’édifice de la théorie quantique, il va l’appliquer à des domaines aussi divers que prometteurs. Sans pouvoir détailler ici ses principales contributions à la physique du 20e siècle, nous évoquerons deux découvertes majeures auxquelles il a contribué sans en récolter les lauriers: le positon et les trous noirs.

Il développe dès 1925 une obsession pour l’électrodynamique quantique

Depuis sa rencontre avec Paul Dirac à Cambridge en 1925, Oppenheimer avait été fasciné par son jeune collègue, physicien de génie et mathématicien virtuose. Il avait surtout développé une véritable obsession pour une théorie que Dirac avait élaborée en 1928: l’électrodynamique quantique (abrégée en “QED” en anglais), application de la mécanique quantique aux mouvements des électrons et aux phénomènes électromagnétiques.

S’il était ébloui par cette première tentative visant à concilier physique quantique et théorie de la relativité (les électrons se déplaçant à des vitesses proches de celle de la lumière), il avait très vite acquis la conviction que quelque chose clochait dans ces équations. Devenu professeur, il s’était de nouveau penché sur le sujet avec Milton Plesset, un de ses “protégés”. Publié en 1933 avec Plesset, “Sur la production de l’électron positif” inaugure une série d’articles dans lesquels Oppenheimer, en collaboration avec plusieurs de ses étudiants, met au jour les failles de la théorie de Dirac. Il montre notamment qu’elle impliquerait l’existence d’une particule de la même masse que l’électron mais qui serait chargée positivement.

Or, Oppenheimer y voit une preuve par l’absurde des limites de la QED. Il s’avéra qu’il avait à la fois tort et raison. La théorie de Dirac devait bien être améliorée. Ce travail de longue haleine, baptisé “renormalisation de la QED”, sera mené après la guerre par deux jeunes physiciens avec lesquels Oppenheimer avait travaillé, Julian Schwinger et Richard Feynman, et parallèlement par le Japonais Sin-Itiro Tomonaga. Ces travaux vaudront à ces trois chercheurs de partager en 1965 le prix Nobel de physique.

Mais Oppenheimer se trompait sur l’existence de l’”électron positif”, qui fut rebaptisé “positron” puis “positon”. Détectée fortuitement

en 1932 par Carl Anderson dans les rayons cosmiques, cette nouvelle particule dévoila l’existence de l’antimatière, sorte de double en négatif de la matière connue jusqu’alors. Ne croyant pas à son existence, Oppenheimer passa à côté de cette découverte pour laquelle Anderson reçut le prix Nobel de physique en 1936.

C’est à la fin de ces années 1930 si fructueuses en découvertes qu’Oppenheimer aborda un des thèmes de recherche les plus intéressants, bien qu’il fallût encore des années pour que la communauté scientifique en mesure l’importance. Il s’agissait de sa première incursion dans un domaine alors nouveau pour lui: l’astrophysique. Il se pencha sur les transformations subies par les étoiles massives en “fin de vie”, lorsqu’elles ont épuisé leurs réserves de combustible (l’hydrogène) et qu’elles se ramassent sur elles-mêmes sous l’effet de leur propre gravité.

Dans les deux premiers d’une série de trois articles sur le sujet, publiés entre 1938 et 1939, il étudiait ce qu’on pensait être alors l’ultime stade de cette évolution: les étoiles à neutrons. Mais c’est surtout le dernier volet de ce triptyque qui suscite aujourd’hui encore l’admiration des physiciens… et qui aurait sans doute pu lui valoir le Nobel s’il avait vécu assez longtemps pour jouir de cette reconnaissance. Car le phénomène étrange et fascinant qu’il y décrit en compagnie d’Hartland Snyder est depuis passé du stade de la spéculation théorique à celui de “star” de la physique.

Poussant la densification de la masse stellaire au-delà de celle des étoiles à neutrons, cette “singularité” où le temps s’étire à l’infini et qui attire à elle jusqu’à la lumière, recevra quelques années plus tard un nom inspiré par une geôle de Calcutta, en Inde, dont on disait que les détenus ne sortaient jamais vivants: “trou noir” !

Le 1er septembre 1939, la physique cède la place à l’histoire

En appliquant les équations de la relativité générale d’Einstein à ce cas limite du bestiaire cosmique, Oppenheimer et Snyder venaient sans le savoir d’ouvrir un des chapitres les plus glorieux de la physique du 20e siècle. Mais leur travail, qui eut déjà à l’époque un retentissement limité – on n’y voyait qu’un brillant exercice mathématique sans en soupçonner les implications dans la compréhension de l’Univers – , fut de plus éclipsé par un événement aux répercussions immédiates et dramatiques: le jour même de la parution de leur article, le 1er septembre 1939, les journaux du monde entier annonçaient l’invasion de la Pologne par les troupes du IIIe Reich, marquant le début de la Seconde Guerre mondiale.

Pour Oppenheimer, la physique venait de céder la place à l’histoire, qui allait trois ans plus tard sceller à jamais son destin en le propulsant à la tête d’un projet scientifico-militaire sans précédent. Il ne revint jamais tout à fait à la recherche “civile”. Après la guerre, il prit la tête de l’Institut d’études avancées de Princeton (États-Unis), qui accueillait entre autres Albert Einstein. Il y joua certes un rôle important dans plusieurs avancées majeures en physique, mais plus comme un catalyseur et un organisateur que comme un chercheur à part entière.

Son implication dans la politique nucléaire américaine, puis la révocation de son habilitation de sécurité en 1954, en pleine chasse aux sorcières maccarthyste, contribuèrent à l’écarter encore davantage du monde de la recherche théorique. Jouissant toujours d’une grande célébrité, il se consacra pendant les dernières années de sa vie à la vulgarisation et à la diffusion des sciences, ainsi qu’à la philosophie. Il est vrai que la littérature et les humanités l’avaient toujours passionné, presque autant que la physique.

À un cheveu du Nobel

Quand il décida de confier la direction scientifique du projet Manhattan à Oppenheimer, le général Leslie Groves, qui en assurait la supervision pour l’armée, vit un seul obstacle majeur à sa nomination: il n’était pas “nobélisé”. L’officier craignait que cette lacune le gêne pour mener une équipe de scientifiques formée des plus brillants représentants de leur discipline, dont beaucoup de lauréats du prestigieux prix suédois. Bien qu’il fût pressenti à trois reprises pour remporter le Nobel de physique – en 1946, en 1951 et juste avant sa mort en 1967 -, “Oppie” n’obtint jamais cette distinction. Il a pourtant côtoyé toute sa vie des nobélisés, qui furent soit ses mentors et ses compagnons pendant ses années de formation soit ses “employés” à Los Alamos, soit encore ses étudiants.

Pourquoi passa-t-il ainsi à côté du Nobel ? Une raison vient de la diversité des sujets qu’il a abordés, un éclectisme qui fut à la fois un atout et un handicap. Car s’il explorait tous azimuts, souvent avec brio, il abandonnait souvent un champ de recherches après.

l’avoir à peine défriché, laissant à d’autres la récolte des résultats, des honneurs et des lauriers. Le contexte politique a pu aussi jouer un rôle. Entre l’ombre de l’arme atomique qui lui restait attachée alors que la menace nucléaire pesait sur le monde et la révélation de ses sympathies communistes en pleine période du maccarthysme, il était sans doute devenu un candidat un peu trop “sulfureux” pour le comité Nobel…

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