Qu’est-ce que l’holobionte, une des trois solutions pour mettre fin à l’usage des pesticides dans l’agriculture ?

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Qu’est-ce que l’holobionte, une des trois solutions pour mettre fin à l’usage des pesticides dans l’agriculture ?
Qu’est-ce que l’holobionte, une des trois solutions pour mettre fin à l’usage des pesticides dans l’agriculture ?

Africa-Press – Madagascar. Il est probable qu’au cours de l’automne, le Parlement européen adopte le projet de réduction des pesticides de 50% d’ici 2030, porté par la Commission européenne dans le cadre de sa stratégie « de la ferme à la fourchette ». Le débat est âpre au sein des députés, partagés entre ceux qui estiment que l’abandon des pesticides menacerait la rentabilité des exploitations et mettrait à mal la souveraineté alimentaire de l’Union européenne, et ceux qui plaident pour que le secteur agroalimentaire intègre ses impacts sur la biodiversité, l’environnement et la santé humaine dans une approche « une seule santé ». Le travail de prospective mené par 144 chercheurs européens dans le cadre du programme prioritaire de recherche (PPR) « Cultiver et protéger autrement » et en lien avec l’alliance européenne de recherche « Towards a chemical pesticide free agriculture » apporte un éclairage singulier à ce débat. Il trace en effet trois voies possibles et réalistes pour se débarrasser totalement des produits phytosanitaires en 2050.
Premier enseignement : l’agriculture ne pourra pas s’épargner une remise en cause profonde des pratiques actuelles. « La démarche volontaire de réduction de l’usage des pesticides a des effets limités, en France où le tonnage se maintient entre 60 et 70 000 tonnes, et en Europe où il stagne autour de 350 000 tonnes sur la dernière décennie, constate Olivier Mora, ingénieur de recherche à la direction des expertises, de la prospective et des études de l’Institut national de recherche sur l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) et coordinateur de la prospective. Ce constat fait émerger la nécessité d’un changement de paradigme, d’une démarche de rupture profonde pour aller vers des systèmes de culture innovants sans produits chimiques ». Pour déterminer le chemin à emprunter, les chercheurs ont employé une méthode originale. Ils sont partis de l’objectif final en 2050 pour étudier à rebours les outils techniques, les méthodes de travail, les programmes politiques et législatifs nécessaires à la réalisation de cet objectif. Les chercheurs se sont entourés d’ONG, de coopératives, d’agriculteurs, d’associations professionnelles, d’entreprises agroalimentaires pour appréhender les étapes à franchir, les obstacles à vaincre.
Les mutations nécessaires de l’agriculture dépendent de la demande des consommateurs
C’est là qu’émerge le deuxième enseignement. Les changements nécessaires dépendent aussi de l’utilisateur final de la production agricole : le consommateur. « Ce sont ses habitudes de consommation, sa volonté d’aller vers une nourriture saine, de moins manger de viande, de rompre avec les plats préparés et ultra-transformés qui inciteront les agriculteurs à changer leur méthode et la filière agro-alimentaire à modifier ses procédés de transformation des fruits, légumes et céréales », pose Olivier Mora. Une démarche fortement soutenue par l’Union européenne, la FAO et l’Organisation mondiale de la santé (OMS) puisqu’elle permettrait de faire baisser l’incidence de maladies chroniques comme l’obésité, le diabète ou encore les maladies cardiovasculaires.
Le résultat tient en trois scénarios volontairement contrastés. Le premier et le troisième empruntent des voies bien connues et qui se confrontent déjà : celle d’une technicisation toujours plus poussée et celles de l’agroécologie. Le premier scénario décrit la construction à l’échelle européenne de standards de production sans pesticide négociés avec les partenaires mondiaux. Les exploitations ont une taille suffisamment importante et sont très spécialisées dans quelques cultures pour supporter des investissements massifs dans la robotisation, les drones, la télédétection, la modélisation prédictive, les infrastructures numériques. La sélection vers des variétés plus résistantes permet de diminuer la pression des maladies. Mais l’essentiel de la stratégie consiste à renforcer l’immunité de chaque plante en anticipant l’émergence des ravageurs et en mesurant l’état de santé de chaque plante. C’est donc une agriculture très technologique qui est proposée.
A l’inverse, le troisième scénario voit l’agriculture européenne se convertir à l’agroécologie sur une grande échelle. Les tailles des exploitations et des parcelles diminuent. Les plantations de haies et de bandes enherbées redonnent à la biodiversité 20% des surfaces dédiées aux espaces semi-naturels. Les rotations des cultures s’allongent avec la généralisation des légumineuses. La lutte contre les ravageurs s’opère au niveau des paysages en évitant que de grands espaces soient consacrés aux mêmes plantes, mais aussi dans la parcelle soit par des semences au patrimoine génétique divers, soit par la plantation dans le même champ de plantes différentes apportant des services de régulation (stratégie push-pull, habitats pour les ennemis naturels des pathogènes…). La gestion des maladies se fait par la prophylaxie et par la régulation biologique assurée par d’autres organismes comme des auxiliaires des plantes ou des microorganismes du sol. La généralisation des amendements organiques implique le maintien d’un élevage important et un arbitrage doit donc s’opérer avec la baisse nécessaire de la consommation de viande. La filière de distribution fait la part belle aux circuits courts et des accords multilatéraux encadrent le commerce international.
Mieux comprendre la cohorte des espèces vivant en contact avec les plantes
La voie médiane est la plus originale, et c’est celle où les besoins de recherche sont les plus importants. Il s’agit de baser les chaînes alimentaires européennes sur la connaissance des holobiontes des plantes, des microbiomes des sols, mais aussi des aliments pour fournir des aliments et des régimes sains. Holobiontes? « Les plantes vivent en interactions étroites avec un cortège de bactéries, champignons, oomycètes ou encore des protistes dont certains ont une action bénéfique, d’autres nocives et d’autres encore n’ont pas d’effet connus, explique Christophe Mougel, chercheur à l’Institut de Génétique Environnement et Protection des Plantes de l’Inrae de Rennes. C’est tout cet ensemble de la plante et des microorganismes qui lui sont associés, que l’on appelle l’holobionte. Comprendre comment il fonctionne permet de jouer sur les équilibres et de favoriser les organismes bénéfiques et de limiter ceux qui sont néfastes pour obtenir des plantes en meilleure santé ». Au contraire de la lutte chimique qui ne fait aucune distinction entre la maladie ciblée et l’écosystème complexe dans lequel elle se développe, cette stratégie porte au contraire sur une connaissance fine d’une niche écologique où les espèces microbiennes luttent pour leur espace vital et modulent l’immunité de la plante.
Cette piste n’est pas réellement nouvelle. Les produits de biocontrôle, de stimulateurs de défense des plantes, de biostimulants tentent d’agir sur l’environnement de la plante en repoussant les agresseurs et en favorisant les auxiliaires ou en modulant l’immunité de la plante. « Mais il s’agit là de comprendre vraiment le fonctionnement d’ensemble des microorganismes organisés en communautés : comment la plante recrute ses microbiotes et quelles sont les fonctions microbiennes mobilisées dans la défense des végétaux contre les bioagresseurs, poursuit Christophe Mougel. Il faut pousser les recherches sur ces interactions entre la plante et son microbiote qui induit un bon état général, tout comme le bon équilibre du microbiote intestinal de l’Homme influe sur sa bonne santé ».
Un champ de recherche foisonnant
Depuis les années 1970, de nombreuses études s’intéressent ainsi à la vie bactérienne des sols, foisonnante et complexe. Ainsi, le piétin échaudage, un champignon du sol qui contamine les racines de blé, peut être contré par des processus écologiques de limitation de ses populations par des bactéries productrices d’antibiotiques. Des travaux datant des années 1980 ont montré qu’on pouvait limiter l’extension de la fusariose du melon par des interactions avec les microbes du sol grâce à des processus de compétition pour les nutriments (fer et composés carbonés). Des travaux récents de décembre 2022 ont montré que la fusariose de la tomate était plus ou moins virulente en fonctions de certaines interactions entre espèces bactériennes et de champignons. « C’est en comprenant mieux ce qui se joue derrières ces interactions entre la plante, son microbiote et ses bioagresseurs qu’on apportera des solutions permettant de réduire l’usage des pesticides tout en ayant des plantes en bonne santé sans détruire l’environnement », plaide Christophe Mougel.
La stratégie de l’holobionte des plantes n’est évidemment pas exclusive : elle est incluse dans les scénarios agro-industriels et agroécologique. C’est en tout cas un outil important pour aider à la nécessaire mutation de l’agriculture telle qu’elle est aujourd’hui : destructrice de biodiversité, polluante et dangereuse pour la santé humaine à cause des pesticides, émettrice de gaz à effet de serre. Les chercheurs ont d’ailleurs calculé l’effet de l’élimination des pesticides sur les impacts environnementaux, mais aussi la sécurité alimentaire.
En matière de gaz à effet de serre, le scénario agro-industriel permet une réduction de 8%, celui de l’holobionte de 20% et celui de l’agroécologie de 37%. Les trois voies ne menacent pas l’autonomie alimentaire européenne et au contraire la renforce pour les scénarios holobionte et agroécologie. Ces travaux de prospectives démontrent ainsi qu’on peut se passer de pesticides sans pour autant affamer les populations.

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