Africa-Press – Mali. Avec ses 109 milliards d’euros d’investissements privés promis, le sommet pour l’IA de février 2025, à Paris, est considéré comme un franc succès pour le secteur de l’intelligence artificielle (IA) à la française. EDF a proposé 4 sites sur ses propres terrains pour accueillir de nouveaux datacenters, le gouvernement en a listé 35 prêts à être raccordés au réseau électrique et les Emirats Arabes Unis, via le fonds souverain MGX, vont injecter 50 milliards d’euros dans un campus dédié à l’IA en région parisienne, incluant un datacenter géant et du calcul haute performance.
Mais dans toutes les annonces, un chiffre ne figure pas: celui de l’augmentation des besoins en électricité provoquée par les datacenters. Aujourd’hui, ces derniers représentent 2% de la consommation électrique du pays, soit 10 TWh, équivalents à 2,5 millions de foyers. Si les tendances se poursuivent, ce chiffre va quadrupler d’ici 2035 et représenter 7,5% de la consommation nationale. Entre 2020 et 2035, RTE (Réseau de Transport d’Electricité) projette un surplus de demande de la part des datacenters de 18 TWh ; c’est 12% du surcroit de consommation totale figurant dans le bilan prévisionnel du gestionnaire du réseau.
Une évolution pas du tout anticipée
C’est The Shift Project, groupe de réflexion sur la décarbonation et la transition énergétique, qui alerte sur ces tendances. Il s’est plusieurs fois intéressé au numérique, avec des rapports sur le secteur dans son ensemble, sur les mondes virtuels, sur la sobriété numérique, sur la vidéo en ligne ou encore les constellations satellitaires. Mais c’est la première fois qu’il étudie les centres de données, leur impact en matière d’émissions de CO2 et les problèmes qu’ils posent dans les plans de transition énergétique.
La raison de cette focalisation? L’intelligence artificielle, qui provoque une augmentation des infrastructures et de leurs capacités. Or, cette évolution n’est, selon The Shift Project, pas du tout anticipée.
« Un des grands risques au niveau monde, c’est la contribution des datacenters au dérèglement climatique mais en France, c’est celui du conflit d’usages de l’électricité », explique Pauline Denis, ingénieure de recherche. Autrement dit: le risque, sur un territoire donné, de devoir choisir à quoi on utilise l’électricité (habitation, transports, centres de données, industries…) faute d’en avoir assez.
Une feuille de route pour les datacenters
C’est pourquoi l’organisation appelle à une planification, en France, de la transition énergétique de la filière centre de données, en lui attribuant une feuille de route de décarbonation dédiée. « Jusqu’à il y a un an, la trajectoire de décarbonation des datacenters était fondue dans celle du secteur tertiaire puis RTE l’a transférée dans le secteur industrie parce qu’on s’aperçoit que des datacenters ont une puissance unitaire de l’ordre de 1 gigawatt, c’est le même ordre de grandeur que les grands sites industriels », précise Hugues Ferreboeuf, chef de projet Numérique.
A l’appui de son signal d’alarme, The Shift Project pointe le cas de l’Irlande qui, après avoir favorisé l’implantation de datacenters (pas moins de 34 pour le seul Amazon Web Services) par sa politique fiscale, se retrouve confrontée à une explosion de la consommation électrique. La croissance de celle des datacenters est passé de 5% à 18% entre 2015 et 2022. « C’est complètement atypique par rapport aux autres secteurs, qui stagnent depuis une dizaine d’années, continue Hugues Ferreboeuf, et l’Irlande est elle-même totalement atypique par rapport au reste de l’Europe avec une consommation qui a bondi de 23% par an contre 7% en moyenne en Europe. »
D’où un « moratoire de fait » autour de Dublin jusqu’à 2028 où l’opérateur EirGrid refuse de connecter de nouveaux sites tant qu’il n’y aura pas désaturation. Sauf qu’au lieu de dissuader les nouvelles implantations, celles-ci continuent mais associées à des centrales électriques au gaz dédié à leur seul usage. Avec tout ce que cela implique en terme d’émission de gaz à effet de serre.
Pour The Shift project, ce scénario est exactement celui qui menace l’Europe, où la croissance de la consommation électrique des datacenters devrait tripler d’ici 2025: « A cette date, l’Europe a prévu de se passer de 200 TWh d’électricité produite à partir du gaz, relève Hugues Ferreboeuf. C’est précisément la consommation supplémentaire des datacenters qui, aujourd’hui, n’est pas planifiée. Si on ne fait rien, il y a fort à parier que ces 200 TWh ne soient pas supprimés ».
Amplification par les usages de l’IA
La consommation d’électricité induites par l’IA était un temps essentiellement due aux phases d’entrainement des algorithmes. Ce n’est plus le cas. « Le phénomène IA gonfle aujourd’hui la phase d’inférences, les usages, car ils sont encouragés pour rentabiliser la phase d’entrainement, qui a couté cher », explique Maxime Efoui-Hess, coordinateur du programme Numérique.
D’où la nécessité de définir une trajectoire pour ce secteur et activer des leviers permettant de la respecter: développer des modèles d’IA légers, ou « frugaux », prioriser des fonctionnalités, repenser les usages voire savoir se passer d’une application d’IA quand il existe d’autres solutions plus simples. Un discours, qui, les experts de The Shift Project en ont conscience, va à l’encontre du discours ambiant. « Il est extrêmement facile aujourd’hui d’avoir des budgets pour faire de l’IA, souligne Hugue Ferreboeuf, il est bien plus compliqué d’en avoir pour faire de la transition environnementale ».
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