Souvenirs Persistants et Évanescents

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Souvenirs Persistants et Évanescents
Souvenirs Persistants et Évanescents

Africa-Press – Mali. Vous souvenez-vous de ce que vous avez mangé le soir où vous avez pris connaissance des attentats du 11 septembre 2001? Ou de la décoration de la salle au moment où vous avez prononcé votre discours en tant que témoin de mariage d’un proche? Des éléments banals mais vécus avant ou après un moment émotionnellement marquant peuvent bénéficier de la même place de choix dans notre mémoire à long terme grâce à un phénomène de marquage au niveau de nos neurones, d’après une étude publiée dans la revue Science Advances.

L’exercice est simple: il faut classer chaque image présentée par les scientifiques dans sa catégorie correspondante. Outil ou animal, les 144 images passent mais l’enjeu diffère. Certaines catégorisations permettent aux sujets de l’étude de gagner jusqu’à cinq dollars américains ! Le lendemain, les chercheurs leur présentent un test surprise de mémorisation. Avez-vous vu ces images hier ou sont-elles nouvelles? Non seulement les 648 participants se rappelaient significativement mieux des images liées aux plus grosses récompenses, mais aussi des images vues avant ou après. « Les événements émotionnels renforcent les souvenirs tant pour les choses qui se sont produites avant eux – amélioration rétroactive – que pour celles qui se sont produites après eux – amélioration proactive », explique à Sciences et Avenir le neuroscientifique Leo Chenyang Lin, premier auteur de ces travaux réalisés à l’université de Boston (Etats-Unis).

Les souvenirs faibles avant et après l’événement marquant peuvent être sauvés… Sous conditions

Mais les chercheurs sont surpris. Pour rester en mémoire, les souvenirs précédant (rétroactifs) et suivant (proactifs) l’événement marquant ne répondent pas aux mêmes critères. « L’amélioration proactive dépend de l’intensité avec laquelle les personnes ont appris l’événement émotionnel: mieux elles l’ont appris, mieux elles se souviennent de ce qui s’est passé ensuite », explique Leo Chenyang Lin. En clair, plus l’événement central a été marquant, et plus ce qui se passe juste après profitera de son empreinte durable dans la mémoire. « L’amélioration rétroactive en revanche suit une ‘règle de similitude’: plus les images neutres qui ressemblaient aux images marquantes ultérieures, mieux elles étaient mémorisées, comme si le cerveau sauvait de manière sélective les souvenirs les plus étroitement liés », ajoute le chercheur, surpris de ce résultat. Les éléments vécus avant le souvenir émotionnellement marquant étaient donc plus susceptibles d’être stockés en mémoire lorsqu’ils avaient des points communs avec le souvenir central, comme une couleur de l’image. Les chercheurs prévoient de vérifier si d’autres types de similitudes, sonores, sémantiques ou multisensorielles avaient la même efficacité que la ressemblance visuelle.

Les événements émotionnellement marquants créent ce que les chercheurs appellent une pénombre temporelle (« temporal penumbra » en anglais). « Imaginez un projecteur puissant qui brille dans la nuit », illustre Leo Chenyang Lin. « Non seulement il illumine ce qui se trouve directement dans son faisceau (le grand événement émotionnel), mais il projette également un halo qui éclaire les objets proches dans l’obscurité. Dans le cerveau, ce « halo » est une fenêtre de plusieurs heures avant et après l’événement. Pendant ce temps, des moments ordinaires peuvent être attirés dans la lueur et mémorisés de manière plus vivante. »

Un marquage neuronal des souvenirs faibles

Les mécanismes biologiques de ce phénomène ne sont pas encore élucidés, mais la principale hypothèse est celle du marquage comportemental, qui suppose que des balises moléculaires s’ajoutent sur des souvenirs faibles lorsqu’ils activent des neurones voisins de ceux qui traitent l’événement marquant principal. « Imaginez qu’un souvenir faible laisse une note autocollante sur certaines connexions cérébrales. À elle seule, cette note s’estompera. Mais si quelque chose de très émouvant ou d’important se produit peu après, votre cerveau libère une multitude de protéines spéciales. Ces protéines peuvent ‘coller’ aux connexions marquées, renforçant ainsi le souvenir fragile et le faisant durer beaucoup plus longtemps », éclaircit Leo Chenyang Lin.

Paradoxe de ce mécanisme de balise synaptique, bien qu’il se base sur le caractère marquant d’un événement, il ne fonctionne que pour « sauver » les souvenirs faibles. Ainsi, un événement marquant qui en suit un autre ne sera pas mieux mémorisé que s’il était isolé. « Un souvenir déjà chargé émotionnellement n’a pas besoin d’être ‘sauvé’: ses marques synaptiques sont suffisamment stables. Le système semble optimisé pour donner la priorité au sauvetage des souvenirs faibles et fragiles », explique le chercheur. Dans de prochains travaux, l’équipe prévoit l’usage d’électroencéphalogrammes, de magnétoencéphalographie et d’IRM fonctionnelle pour suivre l’activité cérébrale lors du marquage des expériences fragiles et identifier les signatures neuronales déterminant si tel ou tel souvenir faible sera sauvé ou non par un événement émotionnel qui surviendrait peu après.

Démence, stress post-traumatique: apprendre à sauver les souvenirs pour soigner les patients

Comprendre et manipuler le fonctionnement de la mémoire est un enjeu dans de nombreuses pathologies. Pouvoir stabiliser des souvenirs en les associant à des expériences marquantes ou significatives a de nombreuses implications, s’enthousiasme Leo Chenyang Lin. « Dans le domaine de l’éducation, les cours destinés aux personnes ayant des difficultés d’apprentissage pourraient être renforcés en les associant à des activités gratifiantes ou émotionnellement engageantes », suggère-t-il. « Dans le cas de la maladie d’Alzheimer et de la démence, les moments quotidiens tels que la reconnaissance d’un soignant ou le souvenir de routines pourraient être ancrés plus solidement grâce à la musique, à des photos ou à de petites récompenses. Enfin, dans le syndrome de stress post-traumatique (SSPT), comprendre comment le ‘débordement’ émotionnel cimente les souvenirs traumatiques pourrait inspirer des thérapies qui atténuent les souvenirs intrusifs et favorisent des associations plus sûres et plus adaptatives. »

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